Vouloir la pratique avancée infirmière que l’on ne peut éviter

En avril, l’Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée (UNIPA) dévoilait les données de son recensement auprès des universités proposant la formation aux pratiques avancées infirmières. Mais alors que ce cursus n’est proposé que depuis 2018, il apparaît que son attractivité s’essouffle déjà. Ainsi, « seuls » 648 infirmiers sont inscrits en M1 de pratique avancée (pour la rentrée de septembre), un chiffre en baisse par rapport à 2021 où ils étaient 729. Si l’on estime qu’environ 90 % de ces inscrits sortiront diplômés, on peut s’attendre à ce que le nombre d’infirmiers de pratique avancée diplômée en 2024 sera inférieur à 600. Dans ce contexte décevant, l’UNIPA suggère une réforme qui permettrait le développement des pratiques avancées qui sont sans nulle doute l’une des armes dans la bataille pour l’accès aux soins.

Par Tatiana Henriot
Présidente de l’UNIPA

Créée en 2018, la profession d’infirmier en pratique avancée (IPA) donne enfin la possibilité aux infirmiers d’exercer de nouvelles missions avec des compétences élargies. Mais surtout, elle permet de répondre à des enjeux majeurs de réorganisation nécessaire du système de santé.

La profession d’infirmier en pratique avancée, qui donne la possibilité aux infirmiers d’exercer des missions avec des compétences plus élargies, constitue une innovation organisationnelle saluée par la plupart des acteurs du système de santé. Elle participe, en effet, à la transformation du système de santé en facilitant l’accès aux soins essentiels, dans un contexte de développement bien connu des maladies chroniques.

Cette évolution est, en outre, désirée par les soignants eux-mêmes qui sont dans une logique de développement professionnel et personnel. Elle peut offrir aux infirmiers une possibilité de développement de leur carrière dans la clinique, ce qui en définitive ne leur était que très rarement possible.

Une formation spécifique exigeante pour intégrer la profession

Pour rejoindre la profession d’infirmier en pratique avancée, les infirmiers doivent suivre une formation spécifique de deux ans, reconnue au grade de master et sanctionnée par un diplôme d’État. Cette formation est fondée sur 120 ECTS** d’enseignement, soit 3600 heures d’enseignement. Ouverte à tous les infirmiers en soins généraux exerçant depuis au moins 3 ans, elle est proposée dans plusieurs domaines : l’oncologie-hématologie, la néphrologie, la dialyse et la maladie rénale chronique, la psychiatrie et la santé mentale, les pathologies chroniques stabilisées, la prévention des polypathologies courantes en soins primaires, et enfin l’urgence. Ce sont des maladies qui touchent des patients au parcours souvent complexes, et face auxquelles les médecins sont souvent seuls. Ils auraient pourtant besoin, avec leurs patients, d’un soutien de professionnels soignants aguerris et bien formés.

Un accès à la formation diversifié

Toutes les régions proposent désormais une offre de formation pour répondre aux enjeux de formation en pratique avancée. À ce jour, 27 universités sont accréditées et les territoires ultra marins devraient venir compléter rapidement l’offre de formation.
La diversité des offres universitaires permet à chacun de s’engager selon ses possibilités, à temps plein ou à mi-temps. L’accompagnement financier est assuré, selon les situations, par divers organismes dont les ARS, Pôle emploi, les opérateurs de compétences (OPCO), les établissements de santé, le fonds interprofessionnel de de formation des professionnels libéraux (FIFPL).

Une formation encore mal soutenue

Quand les infirmiers en pratique avancée ont commencé leur nouvelle activité à l’été 2019, l’objectif était de former 5 000 IPA avant 2022. A l’été 2022, les IPA seront 1700 diplômés. Nous sommes donc encore loin du compte ! La bonne idée de la pratique avancée est encore à concrétiser. Le manque de moyens ne rend pas très attractive la profession même si le rêve d’exercer le soin de cette manière est attirant pour des soignants en quête de sens. Il est indispensable de mener plusieurs actions conjointes pour réussir le pari de la pratique avancée. Tout d’abord, il serait utile d’accompagner chaque étudiant dans son projet professionnel. Ensuite, il conviendrait de favoriser le recrutement d’IPA par des rémunérations attractives. Dans le secteur libéral, les revenus espérés sont nettement insuffisants et ne permettent pas de vivre décemment. Or, pour paraphraser Sénèque, « il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ». Actuellement, les infirmiers libéraux hésitent à rejoindre la formation car les aides financières ne couvrent que très partiellement la perte de revenu subie pendant la formation. Et pourtant, la mixité d’hospitaliers et de libéraux est une richesse qu’il nous faut favoriser.

Primo prescription et accès direct

Enfin, de manière plus générale, il est indispensable de doter la profession d’un cadre législatif pour permettre la primo prescription et l’accès direct de la population cible. Les IPA, formés en cinq ans, peuvent instaurer une collaboration étroite et moderne avec les médecins partenaires. Le médecin, fort de son savoir est centré sur le diagnostic médical et la stratégie thérapeutique. L’IPA peut l’être sur le soin, l’accompagnement et l’intégration du patient dans un environnement complexe qui est hostile pour sa santé.

Ensemble

Nous soutenons l’idée d’un véritable aggiornamento. Créons ensemble, sans hésiter, en confiance et avec volontarisme les conditions favorables pour le développement de cette formation et donc de cette profession tournée vers l’avenir. Elle constitue une des seules innovations organisationnelles du moment. Les pouvoirs publics doivent se saisir de cette chance et ne pas désespérer les promoteurs de cette révolution organisationnelle. Les médecins, pour leur part, peuvent avec les IPA repenser le soin et les parcours de patients lourds et difficiles à traiter. Le jeu en vaut la chandelle.

*Décret n° 2018-633 du 18 juillet 2018 relatif au diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée
** ECTS : European Credit Transfer and accumulation sont des unités d’enseignement

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (7)

  • Il n’y a pas que les urgences qui brûlent

    Le 11 juin 2022

    « La question centrale est celle de la régulation des patients. Quelle politique faut-il appliquer ? Dans les pays nordiques, exemple que tout le monde évoque, elle est gérée en partie par des infirmières. En France, on ne leur confie pas de responsabilités, car le conseil de l’Ordre et le Syndicat des médecins libéraux s’y opposent. Mon propos n’est pas de dire qu’il faut leur donner la charge de la régulation dès demain, mais qu’il faut les former. Et pas seulement parce que l’on manque de personnel, mais parce que c’est normal de pouvoir avoir une évolution de carrière. À mon sens, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les soignants désertent l’hôpital. Vous ne pouvez pas avoir comme perspective de rester pendant trente ans à être cantonné à faire des perfusions et des pansements indéfiniment. Les gens ont besoin d’évoluer. Certains infirmiers, avec de l’expérience et des formations universitaires externes, pourraient assurer une activité clinique en autonomie et également l’orientation des patients ».

    Extrait de l’article « les Urgences brûlent »
    https://www.jim.fr/medecin/jimplus/posts/e-docs/les_urgences_brulent_et_nous_regardons_ailleurs_parce_que_nous_le_savons_deja__192853/document_jim_plus.phtml

    Tout est presque dit dans ce résumé
    Pourquoi une telle opposition ?
    Laisser nous des responsabilités, des actes !
    Offrez nous une réelle possibilité d’évolution et de reconnaissance de nos compétences acquises au fil des ans, et pas un ersatz d’IPA.
    Qu’auriez vous fait au cours de votre internat sans l’infirmière pour vous épauler ?
    Arrivée quasi en fin de carrière,les possibilités offertes pour progresser étaient quasi nulles, l’école des cadres ou cet IPA qui n’offre pas vraiment des débouchés et une reconnaissance financière
    Je pense qu’il va falloir encore beaucoup de temps pour que les mentalités évoluent.

    Anna CANNAVACCIUOLO (IDE)

  • Et oui il va falloir du temps

    Le 11 juin 2022

    Mais vous avez raison, c'est dans l'ordre des choses.
    Les plus jeunes médecins, je pense, comprendrons mieux les enjeux.

    Mais oui pour beaucoup de nos boomers actuels, vous restez des piques-assièttes.

    Dr Gregory Cuffel

  • Un erzatz de médecine

    Le 21 juin 2022

    " Certains infirmiers, avec de l’expérience et des formations universitaires externes, pourraient assurer une activité clinique en autonomie et également l’orientation des patients »."
    Entièrement d'accord : " formations universitaires externes" = Faire médecine ! Sinon ces infirmiers ne pourront que pratiquer un erzatz de médecine.

    Dr Claude Salmon

  • Métier

    Le 05 novembre 2022

    Être médecin diagnostiqueur et prescripteur est un métier. Être infirmier est un métier. Chacun a choisi une voie et a passé des diplômes spécifiques correspondant a une formation spécifique. Et surtout des responsabilités spécifiques.
    Si un ou une infirmier(e) veut soigner des patients et prescrire, il peut aller étudier la médecine a la faculté de médecine ou en Roumanie, à Kluj Napoca (il n'y a pas de concours, quand on a des mauvaises notes on redouble). A Kluj Napoca on obtient un diplôme de médecin valable dans toute la communauté européenne. La Belgique a fermé ses portes aux étudiants étrangers (francais par exemple) il y a dix huit mois.
    Nous sommes dans l’ère des vérités alternatives et dire que les études de médecine sont remplaçables, je n'y crois pas. Faire piloter un 747 par quelqu’un qui n'est pas pilote n'attirerait pas les voyageurs.
    Qu'est ce qui empêche un(e) jeune, un(e) infirmier(e) ou n'importe quel professionnel de débuter des études de médecine... le temps, l'argent ? Il y a les emprunts, les banques, c'est ce que font les étudiants dans beaucoup de pays. A partir de la fin de la cinquième année on est payé, et les années précédentes on est en stage a mi-temps a l’hôpital et on peut travailler a temps partiel. Ce n est pas l'argent, c'est la sélection de la première année.
    Cette création du métier d'IPA montre que la première année sélective en médecine ("examen" ou 10 % des candidats seront admis en médecine, interdiction de redoubler) est un réel obstacle voulu et qui profite aux pouvoirs publics et aux comptes de la Sécu. Être IPA est un boulot de sous médecin sous-payé et qui ne devrait pas exister au vu des responsabilités en jeu. Mais son existence profite aux finances publiques, alors on tolère des agents de santé sous payés et on continue a limiter l’accès au diplôme de médecin en prétendant avoir supprimé le concours d'entrée en médecine ce qui est faux ; comme en témoignent beaucoup d'étudiants actuels... Le système de Kluj Napoca est bien plus transparent que la première année en France.
    Que ceux qui veulent être médecins et ont validés leurs connaissances par des examens et des stages pratiques aient le droit d'exercer satisferait un grand nombre de patient et éviterait de sous-payer des filières parallèles.

    Dr I Herry

  • IPA en psychiatrie

    Le 05 novembre 2022

    En psychiatrie, les infirmières ambulatoires font déjà un travail d'IPA sauf pour les traitements. Pour ceux-ci, il faut faire des protocoles et je pense qu'on connaît mal le cadre légal de leur travail et, avec un manque de 30 % de médecins dans le service public de la deuxième ou troisième plus grande ville de France, il est difficile de trouver du temps pour organiser ces nouvelles fonctions dans de bonnes conditions.

    Dr J-D Nicolas

  • Faux derches

    Le 14 janvier 2023

    Le gouvernement ne prend que dix pourcent des candidats de la première année en médecine, et désormais interdit une deuxième chance, c'est à dire un redoublement. Les conditions de l'admission en médecine sont donc pires qu'il y a 4 ans en France. Oui le gouvernement veut baisser l'offre et la consommation médicale et ne fait rien pour remplir les déserts, se défausse sur les municipalité et les départements pour faire des cadeaux a d’éventuels arrivants.
    Les seuls professionnels non limités à ce jour car peu existantes sont les IPA, dont on espère je ne sais quoi... car elles/ils ne sont pas médecins.
    Je ne crois personnellement pas que c'est une bonne option, mais c'est celle qu'a choisi le gouvernement tout comme il a choisi de désertifier le territoire en médecins et de rendre leurs études encore plus pénibles en y rajoutant une année dans un désert médical -alors qu'ils ne sont même pas diplômés.
    Le gouvernement se moque des malades et ment, doit-on encore écouter les fadaise que sont leurs décisions ?
    Je conseille à mes jeunes patient de s'inscrire en fac de médecine à Cluj en Roumanie, ou en Espagne, ou à Lisbonne et de laisser tomber la France le temps de leurs études, ce n'est pas la peine de recevoir des claques quand elles sont inutiles et qu'on ne les mérite pas. Vouloir être médecin ne signifie pas endurer une liste interminables d’épreuves désagréables.
    Quand aux bureaucrates de l'ARS et du ministère, ils sont aujourd’hui discrédités a juste titre aux yeux du public.

    Dr I Herry

  • Erzatz de médecine

    Le 29 janvier 2023

    Je suis d’accord avec ce que dit le Dr Herry : l’état organise la pénurie de médecins pour nous faire soigner par des infirmiers moins payées, moins formées et beaucoup plus dociles. Un malade polypathogique a plus besoin d’un vrai suivi médical (à condition que le médecin soigne son patient plutôt que son ordinateur) que d’être suivi par un infirmier n’ayant pas suffisamment de compétences pour le prendre en charge. Un domaine où il serait intéressant d’associer des ostéopathes compétents est l’orthopédie car le traitement ne peut se résumer à la prescription d’antiinflammatoires et les ostéos savent palper un traumatisé. De plus, que voulez-vous faire en 15 min chrono ?! Nombre de mélanomes vont échapper aux consultations, car il n’est plus de mise de se déshabiller pour se faire examiner. Il y aurait bien d’autres exemples : le volvulus du colon pelvien resté au stade de gastro ou de douleurs abdo par constipation...

    Dr M Segonnes

Réagir à cet article

Les réactions sont réservées aux professionnels de santé inscrits et identifiés sur le site.
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.


Lorsque cela est nécessaire et possible, les réactions doivent être référencées (notamment si les données ou les affirmations présentées ne proviennent pas de l’expérience de l’auteur).

JIM se réserve le droit de ne pas mettre en ligne une réaction, en particulier si il juge qu’elle présente un caractère injurieux, diffamatoire ou discriminatoire ou qu’elle peut porter atteinte à l’image du site.