Zéro Covid : solution réaliste ou science-fiction ?

Paris, le mardi 16 février 2021 - Depuis le début de la pandémie, s’opposent, schématiquement, trois approches pour lutter contre la circulation de SARS-CoV-2 et de ses variants.

La piste de l’immunité collective suppose de limiter les restrictions de circulation (si ce n’est la protection des plus fragiles). Contrariée par l’apparition de variants qui altère la solidité de l’immunité naturelle (et vaccinale), tandis que cette dernière pourrait en outre être érodée par le temps, elle n’a réellement été mise en œuvre nulle part (à l’exception de l’état de Manaus en Brésil, avec des résultats aujourd’hui déplorables).

La stratégie de « vivre avec le virus » ou de « mitigation » (pour reprendre l’expression du Pr Antoine Flahault) combine dans la plupart des pays d’Europe depuis la fin du printemps, des mesures ponctuelles et plus ou moins coercitives pour empêcher la saturation des services hospitaliers tout en conservant une vie économique, éducative et sociale, qui implique donc une circulation active des virus.

Enfin, la stratégie Zéro Covid a pour objectif une élimination quasiment complète de SARS-CoV-2 et de ses variants et suppose donc de le traquer de façon systématique et d’imposer quarantaine et confinement à la moindre résurgence. C’est la voie adoptée dans la Chine dictatoriale, mais également dans des pays libres comme l’Australie, la Nouvelle Zélande ou encore Taïwan (trois iles). Aujourd’hui, un nombre croissant de spécialistes en Europe et en France prônent l’application de la stratégie Zéro Covid sur notre territoire. Un appel dans ce sens a ainsi été récemment publié dans The Lancet tandis que cette semaine, Le Monde propose une tribune exhortant les pouvoirs publics à faire ce choix. « Viser l’objectif zéro Covid constitue un moyen clair de traverser la pandémie en minimisant les dégâts » écrivent ainsi une vingtaine de médecins et scientifiques, dont Antoine Flahault (directeur de l’Institute for Global Health, Suisse) et le professeur Karine Lacombe.

Zéro Covid : mode d’emploi

En quoi consiste la stratégie du Zéro Covid ? D’abord, un confinement extrêmement strict (plus encore qu’en mars) afin de faire chuter les contaminations. Ici l’objectif est une incidence de 10 cas pour 100 000 habitants. Dès lors, peuvent être définies des zones où la circulation est nulle ou quasi-nulle et des zones encore concernées par la circulation du virus. Dans les premières, tout peut reprendre : écoles, restaurants, vie sociale et culturelle. Cependant, pour pénétrer dans ces espaces depuis une zone critique, un test PCR et une quarantaine sont indispensables. Par ailleurs, le moindre cas doit donner lieu à une réaction rapide et forte : isolement des personnes infectées et confinement localisé éclair. Si la perspective d’un confinement très strict pendant quatre semaines peut être rebutante, les tenants de cette stratégie font valoir que celle d’une large réouverture doit guider les politiques.

Aujourd’hui, le « vivre avec le virus » qui prévaut en France paraît en effet être un semi-confinement perpétuel. « On essaie en vain de contrôler l’épidémie, il y a sans cesse des résurgences et donc des confinements supplémentaires, et personne ne peut rien planifier, pour partir en vacances, se marier ou investir dans la création d’un restaurant. En outre plus le virus circule, plus on s’expose à l’apparition de mutations. On ne peut pas continuer avec une troisième, quatrième, quinzième, vingtième vague » plaide ainsi cité par le Huffington Post, Martin McKee, professeur de santé publique à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Les partisans du Zéro Covid défendent également la pertinence de leur approche en signalant la probable incapacité des vaccins à nous permettre de sortir de la crise. Les signataires de la tribune du Monde n’hésitent pas même à affirmer : « L’histoire nous a prouvé que la vaccination ne peut, à elle seule, éliminer un virus ».

Trop tard et trop dur

Les critiques contre ces appels sont nombreuses. Sur LCI, le Dr Martin Blachier hier n’hésitait pas ainsi hier à qualifier ces propositions concernant la France de « science-fiction ». Au-delà de cette appréciation qui reflète probablement la perception d’un grand nombre de praticiens, les arguments contre cette stratégie ne manquent pas. D’abord, certains font valoir pragmatiquement que le niveau des contaminations est aujourd’hui trop élevé pour envisager sérieusement une telle mesure. Cette limite est reconnue même par les partisans du Zéro Covid tel le professeur Flahault qui admet : « L’Europe a manqué l’occasion d’adopter une stratégie de type Zéro Covid à la fin du premier confinement et a préféré profiter de l’été ».

L’impossibilité du Zéro Covid serait également liée à la rigueur des dispositifs qui devraient s’imposer, peu compatibles avec la préservation des libertés individuelles, déjà fortement amoindries, même si l’Australie et la Nouvelle Zélande sont des états démocratiques. « Les gouvernements ont déjà contraint les gens à rester chez eux plusieurs semaines. Cela sera acceptable si on dit qu’après ce sera fini », défend dans Le Monde Tomas Pueyo, un centralien franco-espagnol, entrepreneur de la Silicon Valley, qui fait partie des promoteurs de cette doctrine. L’acceptabilité est de fait l’un des points d’achoppement majeur, d’autant que beaucoup pourraient une nouvelle fois s’interroger sur la proportionnalité de ces mesures, alors que la létalité de la Covid demeure très modérée. Mais Antoine Flahaut estime qu’on pourrait aujourd’hui exagérer « l’opposition des Français au confinement, comme on avait exagéré leur crainte des vaccins ». Cependant, les données de mobilité d’Orange montrent néanmoins un respect de moins en moins strict des différentes règles.

L’Europe peut-elle devenir une île ?

Les critiques du Zéro Covid font encore valoir que la plupart des pays démocratiques qui ont mis en œuvre cette stratégie avec succès sont des îles, connaissant des échanges plus limitées avec l’extérieur. « En Australie et en Nouvelle-Zélande, nous avons des avantages naturels qui ne sont pas reproductibles ailleurs, en particulier notre isolement et l’absence de frontières terrestres » remarque ainsi le professeur Archie Clements (Université Curtin de Perth) cité par le Huffington Post. « Toutes les démocraties ayant atteint l’objectif “zéro Covid” sont des îles. C’est un avantage indéniable. Pour que la stratégie soit transposable en France, il faut donc faire de l’Europe de Schengen une sorte de presqu’île qui doit rendre hermétiques ses frontières » insiste Antoine Flahault, ce qui relève probablement de la gageure quand on connaît les extrêmes difficultés des pays européens à harmoniser leurs dispositions en la matière (ne serait-ce aujourd’hui qu’aux frontières entre l’Allemagne et la Moselle !).  

D’autres considérations peuvent encore conduire à s’interroger sur la pertinence de la stratégie Zéro Covid. Le climat pourrait ainsi avoir une influence sur la circulation de SARS-CoV-2 permettant également en partie d’expliquer le succès des pays souvent cités.

Se donner du temps pour agir

Pour les partisans du Zéro Covid, toutes ces réserves, bien que souvent très concrètes, traduisent une hostilité plus « psychologique que technique » selon l’expression de Tomas Pueyo. Cependant, les promoteurs du Zéro Covid veulent croire que leurs arguments finiront par convaincre. Tous, en effet, n’estiment pas que la décision doive se prendre dans l’urgence. « Cette période est idéale pour en débattre, car nous ne sommes pas en situation de crise aiguë, exponentielle. Le Parlement devrait se saisir de la question et ouvrir une discussion sur les scénarios possibles », remarque Antoine Flahault. Pourquoi ne pas profiter de la décrue observée ces derniers jours en Europe pour s’interroger plus sérieusement sur cette stratégie, dont la faisabilité pourrait être alors plus importante, plaide-t-il encore.

Le Zéro Covid illusoire, alors que de nombreux outils plus simples à décider ne sont pas utilisés

Au-delà de la stratégie Zéro Covid, de nombreux épidémiologistes n’ont de cesse d’exhorter le gouvernement à adopter des dispositifs plus actifs contre l’épidémie. Une tribune signée par le collectif Du côté de la science dans le Monde évoque ainsi le recours aux capteurs de CO2 pour évaluer la qualité de l’air, le traçage rétrospectif, la fermeture des classes dès le premier cas positif, le large déploiement des tests salivaires et le traçage géolocalisé. Mais pas plus que la stratégie Zéro Covid n’est à l’ordre du jour (elle ne l’est dans aucun pays d’Europe, sauf peut-être en Allemagne où cette piste est néanmoins très contestée), ces différents outils ne semblent pas aujourd’hui devoir s’imposer dans la stratégie du gouvernement. Pourtant, leur combinaison pourrait permettre si ce n’est d’atteindre le but sans doute utopique (voire inutile) d’une circulation nulle du virus, de permettre un meilleur contrôle. Concernant le traçage géolocalisé, Antoine Flahault fait par exemple valoir dans Le Figaro : « Ces politiques de suivi des traces digitales en Asie ne sont pas conformes avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) européen. Mais ces entorses liées à un contexte exceptionnel et qui ne concernent que les personnes suspectes d’être infectées par le virus sont-elles plus liberticides que l’assignation à résidence de toute la population lors des alternances couvre-feu/confinement ? ». D’une manière générale,  qu’ils croient en la possibilité et en la réussite du Zéro Covid ou qu’ils la mettent en doute, beaucoup partagent le sentiment que notre échec réside dans notre incapacité à appliquer le fameux tryptique « tester, tracer, isoler », dont la rigueur est pourtant indispensable pour l’accomplissement d’une stratégie Zéro Covid. Ainsi l’épidémiologiste Mahmoud Zureik (université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines) observe dans Le Monde « Si on se lançait maintenant, on irait à l’échec, car on n’a pas tiré les leçons de notre incapacité à tester, tracer, isoler efficacement, pour vraiment réussir la sortie du confinement. Si on ne s’y prépare pas dès maintenant, on n’aura qu’une accalmie de courte à moyenne durée ».

Aurélie Haroche

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