
Bon nombre de preuves suggèrent le rôle important des formes solubles de peptide Aβ dans la neurotoxicité associée à la maladie d’Alzheimer (MA). L’apolipoprotéine E (ApoE) agit normalement pour aider à la formation de HDL qui favorise l’élimination des formes solubles d’amyloïde-β. Son expression est sous la régulation des récepteurs PPARγ (peroxisome proliferator-activated receptor gamma), LXRs (liver X receptors), et RXRs (retinoid X receptors). Des travaux antérieurs ont montré des effets positifs de l’administration chronique d’agonistes de PPARγ et de LXR sur les taux d’Aβ et les fonctions cognitives dans des modèles murins de MA. Stimuler l’activité transcriptionnelle des RXR pourrait induire une augmentation de l’expression d’ApoE et faciliter l’élimination d’amyloïde-β.
Partant de cette hypothèse, une équipe de l’université Case
Western (USA ) dirigée par Gary Landreth a étudié dans des modèles
murins de MA, essentiellement la souris APP/PS1, l’efficacité d’un
agoniste sélectif de RXR qui passe la barrière hémato-encéphalique,
le bexarotène, anticancéreux utilisé contre le lymphome cutané à
cellules T. Publiés dans Science il y a quelques mois (1), les
résultats montraient en résumé qu’une administration chronique de
bexarotène en traitement oral à 100 mg/kg diminuait les formes
solubles de Aβ dans l’hippocampe et le cortex en augmentant leur
clairance d’une façon ApoE-dépendante à des stades précoce ou plus
tardif de la maladie (souris de 2, 6, 9 et 11 mois). Dans la
plupart des cas, pas dans tous, on retrouvait également une
réduction des plaques amyloïdes. Au final aux 2 stades, on
observait des améliorations cognitives et comportementales,
corrélées à des diminutions d’environ 30 % des taux de Aβ soluble,
et aucunement aux concentrations de Aβ insoluble.
Science publie 4 commentaires techniques d’équipes indépendantes
qui ont cherché à reproduire ces résultats spectaculaires en faveur
d’un rôle des récepteurs RXR, de l’ApoE, des peptides Aβ solubles,
dans les processus neuropathologiques qui mènent à la MA. Les
chercheurs utilisent des modèles murins similaires et la même dose
de bexarotène.
Confirmation d’une amélioration des déficits cognitifs
Nicholas Fitz et coll. (2) confirment que le bexarotène améliore considérablement les déficits cognitifs et diminue significativement les formes solubles de Aβ, réduction du même ordre que celle rapportée par Cramer et coll., et liée à l’ApoE. Cependant les chercheurs ne constatent pas de conséquence sur les plaques amyloïdes, ni sur les peptides Aβ40 and Aβ42 insolubles. Pour eux, il est possible que le bexarotène exerce son effet non pas en modifiant les plaques amyloïdes, mais en réduisant les oligomères solubles dans le cerveau ou par un mécanisme non lié à Aβ. Indépendamment de toute divergence, ces chercheurs considèrent les données comme pertinentes pour une approche thérapeutique ciblant l’APoE au niveau transcriptionnel.
On remarquera que les 2 équipes utilisent la formulation commerciale médicamenteuse du bexarotène, micronisée, et dont les propriétés pharmacocinétiques et toxicologiques sont parfaitement connues.
Utilisant une formulation de bexarotène solubilisé avec du DMSO, de l’éthanol et un dérivé de propylène glycol, Ashleigh Price et coll. (3) ne mettent pas en évidence de résultat sur la charge amyloïde (Aβ soluble+ oligomérique + insoluble), ni sur les plaques. Ils relèvent une variabilité considérable de leurs résultats concernant la charge amyloïde chez les animaux les plus jeunes (7 mois vs 11 mois). La validité de leur préparation de bexarotène est notamment vérifiée par l’augmentation de l’apoE.
Ina Tesseur et coll. (4) observent que les taux de différents
peptides Aβ40 et 42 solubles ne sont pas affectés par le
bexarotène, ni les plaques, ni l’ApoE. Cette équipe est la seule
avec celle de Fitz à avoir recherché les répercussions cognitives.
Elle note un impact possible sur la mémoire mais sans pouvoir en
tirer de conclusion définitive en raison d’effets secondaires
toxiques importants chez les animaux auxquels a été administrée une
formulation solubilisée grâce à des cyclodextrines. Pour elle, la
formulation du médicament est un point critique.
Veeraraghavalu et coll. constatent des améliorations de taille
moyenne à très importante sur les peptides Aβ solubles dans 3
modèles animaux, dont les souris APP/PS1 à 2 âges différents, et de
moindre intensité sur les peptides insolubles. Aucun impact du
bexarotène n’est constaté sur les plaques.
Uniformiser les conditions d’expérimentation
Au final, pour reproduire des résultats publiés il semblerait souhaitable que dans un premier temps les chercheurs de différentes équipes utilisent les mêmes conditions, relatives aux modèles animaux, aux techniques de dosage et aux espèces mesurées, tout en administrant le même produit. Des divergences sont observées dans chacun des commentaires techniques, même si nous ne les détaillons pas ici.
Un résultat du bexarotène sur les formes solubles de Aβ est observé par 2 équipes, une 3ème n’a pas évalué cet effet et la 4ème utilise une préparation toxique qui ne permet pas d’augmenter l’ApoE.
Dans un droit de réponse, Gary Landreth et coll. (6) relèvent que les données reproduisent et valident leur conclusion majeure : le bexarotène stimule l’élimination de peptides Aβ et entraîne des améliorations comportementales. Ils n’expliquent pas l’impossibilité à réduire les plaques amyloïdes, en dehors du fait qu’ils l’ont déjà notée, chez des souris de 9 mois, et qu’une variabilité importante est aussi remarquée par plusieurs auteurs étudiant des agonistes des LXR. Ils soulignent que la formulation utilisée par Tesseur résulte en des concentrations 20 fois plus importantes de bexarotène dans le plasma et le cerveau, d’où des effets toxiques. Pour terminer, des essais cliniques de phase 1 et 2 sont en cours avec le médicament.
Dominique Monnier