Suicides : des enseignants à mauvaise école ?

Paris, le mardi 18 octobre 2011 – Les cours ne reprendront pas avant la rentrée des vacances de la Toussaint au lycée Jean Moulin de Béziers où la semaine dernière un professeur de mathématiques de 44 ans s’est immolé devant ses élèves au milieu de la cour de récréation. Le bouleversement des adolescents et de ses collègues est en effet encore trop vif pour entrevoir une reprise normale de l’activité de l’établissement alors qu’ont été célébrées hier les obsèques de cette femme prénommée Lise.

Professeurs : les oubliés de la médecine du travail

Pendant cette période de deuil, les commentaires risquent cependant d’être encore très nombreux. En effet, si des informations contradictoires ont pu être distillées concernant la « fragilité » psychologique de l’enseignante, les syndicats n’ont pas tardé à voir dans ce geste tragique un symbole du malaise grandissant existant au sein de l’éducation nationale, notamment parce que cette femme a choisi de mettre fin à ses jours au sein même de l’établissement, ce qui représente un acte rare (moins d’une dizaine de cas ont été recensés ces dix dernières années). Pour les organisations représentant les syndicats, il apparaît donc urgent de mettre en place un « cordon sanitaire » autour des enseignants afin de prévenir dépressions et actes désespérés. Le suicide du professeur de Béziers a ainsi tout d’abord été l’occasion une nouvelle fois pour le Syndicat national des enseignants du secondaire (SNES) d’interpeller le gouvernement sur la nécessité de mettre en place « une véritable médecine du travail dans l’Education nationale ». Cependant, aujourd’hui, la médecine du travail dans ce secteur souffre d’une très forte désaffection : sur les 80 postes ouverts par le ministre Luc Chatel cette année, seuls 17 ont en effet trouvés preneurs.

Les enseignants ne veulent plus être profs !

Néanmoins, des cellules d’écoute proposées notamment par la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) tendent à se développer partout en France. Les pouvoirs publics participent à l’essor de ces structures d’aide, à travers notamment le réseau « P.A.S » (Prévention aide et suivi) souvent mis en place en partenariat avec la MGEN. Cependant, la diffusion de ce dispositif est encore loin d’être optimale, tandis que les cellules d’écoute MGEN souffrent d’un manque certain de publicité. En outre, pour les syndicats, ces systèmes ne doivent pas être les seules solutions offertes aux professeurs « en souffrance » : leur offrir la possibilité de changer de voie doit également constituer une priorité, alors qu’un récent sondage réaliser par le syndicat d’enseignant SE-UNSA auprès de 5 000 professeurs  (dont 80 % âgés de moins de 35 ans) a révélé que 45,7 % aimeraient changer de carrière !

Rien de pire, si ce n’est d’être dans la police !

Si ces différentes propositions sont destinées à répondre à un malaise que tous affirment grandissant au sein de l’Education nationale, il n’en reste pas moins nécessaire de déterminer, ici encore, si réellement les professeurs représentent une population à risque vis-à-vis du suicide. Peu surprenant : les chiffres du ministère et ceux avancés par les syndicats diffèrent nettement sur ce sujet. Du côté des pouvoirs publics, le chiffre de 6 suicides pour 100 000 enseignants est souvent répété. Les syndicats eux se réfèrent plus certainement à une étude conduite par l’INSERM en 2002 et qui évoquait un taux de 39 cas pour 100 000 professeurs (bien supérieur au taux national de 16,2 pour 100 000 habitants). Ces résultats de l’INSERM faisaient de la carrière professorale la plus à risque de suicide après celle de policier !

De fait, d’autres signaux semblent marquer une claire souffrance chez les professeurs de l’Education nationale. Ainsi, dans le dernier bilan très récemment publié du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, l’Agence nationale de l’évaluation et de l’éducation en santé observe : « une sur notification des troubles mentaux par rapport aux autres pathologies apparaît dans les analyses brutes et ajustés dans les secteurs suivants : activités financières, commerces et réparation automobile (…) et éducation ».

On ne se suicide pas pour des raisons professionnelles, ni personnelles mais parce qu’on est malade

Néanmoins, l’analyse de Viviane Kovess-Masfety, directrice du département d’épidémiologie et de biostatistiques à l’Ecoles des hautes études en santé publique tend quelque peu à nuancer la portée de ces différents chiffres. Interrogée par le Monde au lendemain du suicide du professeur de Béziers, elle observe : « Les enseignants ne représentants pas, à priori, une population « à risque » pour les troubles psychiatriques, ni pour le suicide (…) Cela n’empêche pas les fragilités (…). Derrière cette réalité globale se cachent des situations très diverses et parfois dramatiques avec des enseignants soumis à un stressé élevé, face à des parents et des élèves difficiles, pas toujours soutenus par leur institution » analyse-t-elle. Par ailleurs, tandis que sur ce cas, une nouvelle fois, a émergé la querelle destinée à déterminer la part des raisons « personnelles » des raisons professionnelles, elle remarque : « A partir des données des autopsies psychologiques sorte de diagnostic rétrospectif que l’on pratique dans le cadre de la recherche sur le suicide (…), il apparaît que 90 % des personnes qui se sont suicidées souffraient d’au moins une maladie mentale. Les 10 % restant présentants des profils très similaires. Pour prévenir le suicide, il faudrait, entre autres, arrêter de stigmatiser ces troubles ». Et ne plus cacher sous l’ambiguë cause « personnelle », l’existence d’un trouble psychiatrique.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Troubles psy chez les enseignants

    Le 20 octobre 2011

    En 40 ans de consultation, j'ai constaté qu'il y a beaucoup d'enseignants qui souffrent de troubles psychiques récurrents.
    Cela ne date pas d'aujourd'hui, je suis à la retraite depuis 20 ans !

    Pierre Dinouart-Jatteau

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