Enquête sur un médecin auteur de polars. Quatre questions au Docteur Olivier Kourilsky

« Elémentaire, mon cher Watson » avez-vous peut-être parfois envie de souffler in petto quand vous parvenez enfin à établir un diagnostic après avoir longuement interrogé votre patient, écarté certaines pistes et traqué les indices. Cette comparaison entre enquête médicale et policière, le docteur Olivier Kourilsky, néphrologue, l’a revisitée en devenant auteur de romans policiers. Avec "Dernier homicide connu", il signe son cinquième « polar », avec toujours autant d’enthousiasme et de talent. S’il n’est pas nécessaire d’avoir hanté aussi longtemps que lui les couloirs d’hôpitaux pour savourer les intrigues de ce conteur né, il n’échappera à aucun lecteur que la médecine est une source d’inspiration constante pour l’écrivain, comme il nous le confie dans cette interview, qu’il s’agisse de retrouver les réflexes de l’enquêteur médical, d’interroger l’humanité blessée ou encore de camper des personnages de praticiens  toujours en quête de savoir et d’aventures.

 

JIM : Vous avez reçu en 2010 le Prix Littré qui salue les ouvrages « exaltant les valeurs de l’humanisme médical ». Comment cette notion d'humanisme médical transparaît-elle, selon vous, dans vos romans ?

Docteur Olivier Kourilsky : À première vue, on pourrait effectivement s’étonner de voir cette récompense attribuée à un polar (Meurtre pour de bonnes raisons) racontant une histoire de tueur en série ! Mais l’héroïne du livre est une jeune femme chirurgien très attachante, exerçant son métier avec dévouement et une profonde humanité, et qui est confrontée à des événements remontant à l’époque de la guerre d’Algérie.

L'idée que je me fais de la médecine

Dans mes romans, surtout les quatre premiers, l’action se déroule dans le milieu hospitalier que je connais bien, et même si les histoires sont fictives, j’y ai intégré beaucoup de mon expérience personnelle, et certains personnages correspondent à l’idée que je me fais de la médecine. Pour moi, cela reste un métier à part, un des plus beaux du monde malgré ses contraintes, qui nécessite un engagement permanent et l’amour des autres. Et bien sûr, ce n’est pas parce qu’on exerce à l’hôpital que l’humanité doit être au second plan ! Alors, oui, j’espère que cette notion transparaît dans mes romans car elle est chère à mon cœur.

JIM : Il est sûr que la médecine a une influence certaine dans vos romans. Pensez-vous que la néphrologie a plus particulièrement des résonances avec le genre de l’enquête policière ?

Dr Olivier Kourilsky : Pas particulièrement la néphrologie, bien que ce soit une discipline très scientifique, mais l’exercice de la médecine en général a des points communs avec une enquête policière… La recherche d’indices, l’interrogatoire (parfois qualifié dans les "questions" de « policier » !), l’établissement d’un diagnostic relèvent d’une démarche très proche (on parle également « d’enquête étiologique »). Et je ne parle pas de la médecine légale qui collabore directement avec la police scientifique.

JIM : N’avez-vous jamais été tenté d’installer un personnage de médecin récurrent dans vos romans ?

Dr Olivier Kourilsky : Il existe déjà : un des étudiants en médecine de Meurtre à la morgue, que l’on croise aussi dans Meurtre avec prémédication et Meurtre pour de bonnes raisons, est professeur, pré retraité dans le cinquième polar (Dernier homicide connu).

Les héros sont fatigués

D’une manière générale,  j’aime bien insérer quelques personnages récurrents dans les romans successifs, cela confère une certaine unité à l’ensemble. Mais, contrairement à San Antonio ou SAS, mes personnages vieillissent … Cinquante ans séparent les intrigues de Meurtre à la morgue et Dernier homicide connu. Les héros sont fatigués ! Je vais devoir faire intervenir leurs enfants dans le sixième… ou donner dans le fantastique !

JIM : Vous avez dit au Parisien qu’écrire des romans policiers vous avait permis d’éviter « d’assassiner des membres de l’administration » ! Quelle autre influence l’écriture a-t-elle sur votre pratique quotidienne de la médecine ?

Dr Olivier Kourilsky : C’est évidemment une boutade qui a fait la joie de quelques journalistes… J’ai gardé de bons amis parmi les membres de l’administration,  j’en revois régulièrement. Ils sont dans le même bateau que nous, soumis à des contraintes budgétaires qui ne font que croître. Mais lorsque d’autres voulaient m’imposer des décisions avec lesquelles je n’étais pas d’accord, je le faisais savoir haut et fort, et le cas échéant j’entrais en résistance ! Cela dit, c’était avant la loi HPST…
On m’a posé une fois cette question sur cette influence éventuelle de l’écriture. Honnêtement, je crois qu’elle n’en a eu aucune. C’est plutôt la médecine qui baigne mes histoires, au moins jusqu’au quatrième ouvrage (Homicide par précaution).

Des jeunes femmes ayant eu recours à un avortement clandestin

J’avais envie de témoigner de certaines choses touchant justement à mon exercice quotidien. Par exemple, pendant mes gardes d’externe (1965), nous recevions toutes les nuits plusieurs jeunes femmes ayant eu recours à un avortement clandestin dans des conditions plus ou moins catastrophiques. Plus tard, lorsque j’étais chef de clinique en réanimation, nous avons été confrontés, plusieurs fois par mois, à des conséquences encore plus effroyables de ces avortements, entraînant parfois la mort de jeunes mères de famille, des hystérectomies d’hémostase en urgence, la mise en dialyse chronique… Lorsque la loi sur l’interruption volontaire de grossesse a été votée en 1975, ces drames ont cessé en moins de trois mois. Quelle que soit la position personnelle qu’on ait sur ce sujet, on ne peut que se réjouir de ne plus voir ça. Mais les plus jeunes, qui n’ont pas connu cette période, peuvent avoir l’impression que cette évolution s’est faite en douceur. Voilà pourquoi j’en ai parlé dans les deux premiers romans. Idem pour la peine de mort, abolie en 1981. Le genre policier peut aussi servir de prétexte pour faire passer certains messages beaucoup plus sérieux…

Propos recueillis par Aurélie Haroche

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