
Paris, le mardi 19 mars 2013 – Depuis plus d’un an, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a multiplié les mises en garde, parfois sévères, concernant des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Qu’il s’agisse de s’inquiéter de l’utilisation du baclofène dans le sevrage alcoolique, de la recommandation assez stricte d’éviter les prescriptions hors AMM dans la prise en charge du surpoids de critiquer l’emploi fréquent du misoprostol pour le déclenchement des accouchements ou de Diane 35 comme contraceptif, l’ANSM s’est montrée à chaque fois très sourcilleuse. Au-delà de l’analyse particulière de chaque cas, cette attitude semble pourtant aller à l’inverse de pratiques très courantes dans le monde médical.
Le sondage réalisé sur notre site suffit à s’en convaincre. Interrogés du 6 au 18 mars, 429 professionnels de santé internautes (très majoritairement des médecins) ont en effet été 37 % à déclarer prescrire « souvent » hors AMM, tandis que 41 % ont indiqué le faire « rarement ». Ainsi, seule une minorité de médecins (19 %) affirment ne jamais aller au-delà de l’indication strictement reconnue.
Un signe de bonne santé du médecin !
La très grande proportion de praticiens déclarant prescrire hors AMM (78 %) ne peut surprendre quand on connait les nombreuses situations susceptibles de favoriser ce type de pratique. On considère en effet que sont faites hors AMM, bien sûr toutes les prescriptions en dehors des indications reconnues, mais également celles précisant un dosage ou une fréquence d’utilisation différents de l'AMM ou qui concernent un groupe de patients qui n'est pas spécifié (ce qui explique notamment la très grande proportion de prescriptions hors AMM en pédiatrie). Outre ces dernières « adaptations », recommander un médicament en dehors de ses indications est souvent le signe d’une pratique dynamique et d’un médecin bien informé.
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Sondage réalisé du 5 au 17 mars 2013 auprès de 429 professionnels de santé |
C’est en effet au regard des données récentes de la littérature scientifique que se font fréquemment ces prescriptions en dehors du cadre, afin de faire bénéficier le plus tôt possible aux patients d’innovations testées et prouvées scientifiquement sans avoir à attendre les recherches complémentaires de l’industrie et l’aval des autorités. C'est ainsi que l'on peut considérer que la prescription de misoprostol pour déclencher un accouchement ou un avortement s'appuie sur de très nombreuses études randomisées internationales (mais dont les résultats n'ont pas été inclus dans le dossier d'AMM par le laboratoire qui l' a développé). Ainsi, s’expliquent notamment le fait que la cancérologie et les maladies rares soient très fréquemment concernées par les prescriptions hors AMM.
Une jurisprudence favorable à la prescription hors AMM
La multiplication des alertes de l’ANSM à l’égard de prescriptions hors AMM pourrait cependant susciter l’inquiétude des praticiens quant à la légalité de tels actes. En réponse à l'affaire du Mediator, le législateur souhaitait par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé encadrer plus strictement les prescriptions hors AMM. Celles-ci n’étaient en effet pas expressément réglementées, même si le principe de la liberté de prescription était établi. Cependant, la jurisprudence, avant la loi de décembre 2011, à travers des arrêts du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation a admis à plusieurs reprises que le « médecin pouvait établir une prescription hors AMM dès lors que le traitement est reconnu comme efficace et non dangereux par la communauté et la littérature scientifiques » et que le « médecin est en mesure de justifier son indication et son geste au regard de l’état du patient, de sa demande et des connaissances scientifiques du moment » rappelle la MACSF (Sou médical). Dès lors, cette dernière considère-t-elle que la loi du 29 décembre 2011 a permis d’entériner cette jurisprudence et de poser clairement le principe de la possibilité de prescription hors AMM.
Un encadrement assez strict
La loi impose cependant deux conditions : aucune alternative médicamenteuse bénéficiant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ne doit exister. Par ailleurs, soit une recommandation temporaire d’utilisation a été établie par l’ANSM, soit le prescripteur « juge indispensable au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient ». La réglementation impose par ailleurs une information spécifique du patient (sur l’absence d’AMM du traitement et l’inexistence d’alternative médicamenteuse autre notamment). Le praticien doit également préciser que cette prescription ne peut donner lieu à une prise en charge par l’assurance maladie (en dehors de quelques exceptions [à l’hôpital existence d’un protocole thérapeutique temporaire et en ville procédure concernant une maladie rare ou une affection de longue durée]). Enfin, la loi impose au praticien d’apposer la mention « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » (cette obligation est vraisemblablement peu respectée afin de pas pénaliser les patients) et d’expliciter dans le dossier médical la raison de cette dérogation.
Liberté surveillée
Ainsi, on le voit, désormais plus rigoureusement encadrée, la prescription hors AMM est néanmoins possible et la jurisprudence semble garantir aux praticiens une certaine protection. Néanmoins, le législateur a paru vouloir restreindre le champ des prescriptions hors AMM par un autre biais. Dans certains cas en effet, les titulaires d’AMM dans leur convention signée avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) peuvent devoir s’engager à limiter pour quelques indications la prescription hors AMM. Ils peuvent notamment être tenus de dispenser sur ce sujet une information spécifique aux prescripteurs. Ces cas concernent notamment les utilisations qui iraient à l’encontre des recommandations de l’ANSM. Ainsi, la liberté de la prescription hors AMM, très majoritairement exercée par les praticiens comme le montre notre sondage, paraît aujourd’hui une liberté surveillée.
Aurélie Haroche