
Bloomington, le samedi 20 avril 2013 – Ils sont gentiment naïfs quand ils ne sont pas horripilants de naïveté ceux qui nous parlent à longueur de journée de lutte contre les addictions. Ils oublient souvent que si ces dernières sont si difficiles à combattre c’est parce qu’elles trouvent leur origine dans le plaisir. Si l’on fume, boit ou pire, c’est d’abord parce que l’on en espère une sensation agréable. Le cercle de la dépendance ne vient qu’après (et sans doute en partie à cause du plaisir initialement ressenti).
Juste une question de goût
Heureusement, une étude qui a fait beaucoup parler d’elle pourrait peut-être inciter les bien-pensants de l’anti-toxicomanie à revoir leur schéma de pensée. Une équipe américaine de l’Université de l’Indiana dont les résultats sont publiés dans la revue Neuropsychopharmacology a étudié en les soumettant à un PET scan les niveaux de libération de dopamine de 49 hommes lorsqu’ils consommaient de l’eau, une boisson énergisante ou de la bière. Les volumes « ingurgités » étaient très faibles : quinze millilitres en l’espace de quinze minutes ce qui excluait que le niveau d’alcoolémie lié à la bière grimpe en flèche.
Résultat : la libération de dopamine est la plus élevée avec la bière qu'avec les autres boissons. Ce qui suggère selon les auteurs que le plaisir (le bonheur ont même écrit beaucoup) lié au « bon goût » de la bière est déterminant dans l’envie d’en consommer de nouveau, avant même que ne se fassent sentir les effets de l’alcool. « Il est bien connu que toutes sortes de signaux, dont le goût, l’odeur, les images et les habitudes augmentent l’envie de boire. Cette étude démontre que le goût seul a un impact sur les fonctions cérébrales associées au désir. Ce n’est pas surprenant – si le goût augmente le désir, il a un impact sur les fonctions cérébrales » a analysé Peter Anderson de l’université de Newcastle sur BBC News.
Evoquer le rôle de l’hédonisme dans l’addiction n’est pas de « la psychologie de bas étage »
Mais l’étude permet également d’en savoir plus sur le lien entre « plaisir » et addiction et sur l’impact de l’hérédité dans la pathologie alcoolique. les chercheurs ont en effet pu constater que les niveaux de dopamine libérés étaient plus importants chez les hommes présentant des antécédents familiaux d’alcoolisme. Autant d’éléments qui ne surprennent pas outre mesure le psychiatre spécialiste de l’alcoolisme Michel Lejoyeux, président de la Société française d’alcoologie. « C’est la preuve que l’effet d’une substance psychoactive ne se limite pas à la chimie, mais que l’addiction est un phénomène plus complexe, qui tient aussi au goût (qu’il s’agisse du tabac ou d’une boisson alcoolisée), au plaisir et au contexte. (…) Tout ce qui touche au plaisir et à la relation entre l’individu et le produit doit aussi être pris en compte pour mettre un terme à l’addiction. Cette étude est d’ailleurs le signe que mentionner l’hédonisme n’est pas de la psychologie de bas étage : si le simple goût de la bière provoque la libération de dopamine, c’est bien qu’il joue sur le biologique, que l’effet plaisant de la bière a des conséquences neurobiologiques. (…) C’est pour cela que l’on ne peut parler de prévention en addictologie en considérant l’alcool éthylique comme un poison. Mais il faut prendre en compte le plaisir fort que peut apporter le goût, ainsi que le contexte de consommation » explique-t-il dans une tribune publiée sur le site « Le Plus » du Nouvel Observateur.
Vous pouvez lire ici une présentation plus détaillée (et un peu [?]
plus technique) du protocole et des résultats de
l’étude
Aurélie Haroche