Simulation et aggravation

Luc De Smet, Ilse Degreef, Nathalie Van Meir,

Service d’Orthopédie, UZ Leuven, KUL

 

Contrairement à ce que l’on rencontre en médecine curative, la médecine d’assurances est souvent confrontée à l’exagération et à la simulation, voire aux pathologies auto-induites. La distinction entre les différents tableaux n’est pas toujours aussi claire.

En cas d’aggravation, le patient décrira ses plaintes de manière plus expressive que ce qu’elles sont en réalité; en cas de simulation, il feint une pathologie et en cas d’automutilation, il s’occasionnera lui-même des lésions. La littérature anglosaxonne utilise l’expression «malingering». Le fameux syndrome de Münchhausen consiste également à simuler une pathologie. Cette simulation va parfois tellement loin que le patient se soumet à des traitements inutiles.

Illustration : Le baron de Münchhausen en route vers la lune.

Introduction

L’aggravation et la simulation constituent un gros problème en médecine (d’assurances). Alors que l’activité médicale est basée sur une confiance et une collaboration réciproques, celles-ci font totalement défaut dans les situations où un médecin est désigné pour établir les lésions et contrôler l’incapacité de travail. L’exagération ou la simulation d’une maladie, de signes pathologiques et de lésions physiques est une donnée ancienne. Néanmoins, elle a en premier lieu constitué un moyen permettant d’échapper à certaines obligations, principalement le service militaire et autres. Ce n’est qu’au vingtième siècle que l’on a fait état de l’aggravation et de la simulation pour en obtenir certains avantages (financiers) (1). Toutefois, ce processus paralyse et entrave un traitement et une revalidation de qualité. Le patient se sent trompé et le médecin d’assurances fait tout pour minimiser les lésions et soupçonner la simulation et l’aggravation chez tous les patients. Ce système implique également qu’il s’auto-entretient, et même qu’il se renforce. Il faut néanmoins partir du principe que l’aggravation et la simulation relèvent juridiquement de la fraude.

Définitions

Les définitions figurent en partie dans la littérature médicale et en partie dans la littérature juridique. Dans le Dorland’s Medical Dictionary, on parle de «l’exagération volontaire et frauduleuse ou de la simulation de symptômes ou d’une maladie à des fins conscientes». Dans le Words and Phrases Legally Defined, on parle de la «fausse présentation d’une maladie ou d’une limitation, du fait de se blesser, de blesser quelqu’un d’autre sur demande et de faire ou ne pas faire des choses pour prolonger ou aggraver une maladie existante, tout ceci pour échapper au service militaire». Selon le DSM IV, il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’un trouble ayant le numéro de code V65.2 (production intentionnelle de symptômes physiques ou psychologiques inauthentiques ou grossièrement exagérés, motivés par des incitations extérieures telles que: éviter les obligations militaires, éviter de travailler, obtenir des compensations financières, éviter des poursuites judiciaires ou obtenir des drogues). La CIM 10 attribue le numéro de code Z76.5 [personne feignant d’être malade (avec une motivation évidente)] (1). La teneur de toutes les définitions est similaire. Il s’agit de ce que l’on appelle également souvent le bénéfice secondaire (secondary gain): un gain (excessif ou injustifié) découlant d’une perte (réelle ou non).

Fréquence Personne ne sera surpris d’apprendre qu’on ignore les chiffres exacts. Quelques tentatives ont été faites pour calculer les fréquences, mais ceci relève encore souvent de l’approximation. Dans une étude de Baro (2), on a supposé une aggravation chez 24 patients souffrant de douleur chronique sur 52. Leavitt et Sweet (3) ont fait une enquête auprès de neurochirurgiens et d’orthopédistes pour savoir ce qu’ils pensaient de la véracité des plaintes chez des patients souffrant de lombalgies: 60% supposaient que seuls 5% de leurs patients simulaient, 10% des praticiens évoquaient un chiffre de 25% de simulateurs et un chirurgien pensait que 75% des patients se plaignaient à tort. Quelques autres études portant sur la douleur chronique ont trouvé une aggravation chez 5% à 22% des patients.

Classification

On peut distinguer plusieurs manifestations de cette situation. La simulation (malingering) ou l’exagération des symptômes est une réaction assez normale et compréhensible, certainement chez les patients dont la faculté d’expression est limitée ou lorsque les plaintes sont interprétées comme non crédibles, minimes ou dénuées d’importance. Le syndrome de Münchhausen est un trouble lors duquel le patient simule des états pathologiques (parfois assez précis) et subit ainsi des traitements médicaux (inutiles ou excessifs). En cas d’automutilation, le patient ne simule pas les symptômes, il les provoque réellement. Le DSM IV veut établir une distinction entre la simulation (malingering) et les troubles factices (factitious disorders). En pratique, cette distinction n’est toutefois pas toujours claire et il est fréquent qu’il y ait un chevauchement, voire une transition d’une situation vers l’autre. Cependant, le DSM IV affirme que ceci va le plus souvent (toujours?) de pair avec des troubles de la personnalité. On ne sait pas non plus toujours clairement si le bénéfice secondaire est conscient ou inconscient. Travin et Protter (4) font une différence entre les others deceivers, qui trompent consciemment les autres et gardent le contrôle sur leur comportement, les mixed deceivers, qui ne sont que partiellement conscients du fait qu’ils dupent les autres et qui se trompent également partiellement euxmêmes et les self deceivers, qui sont à peine conscients du fait qu’ils dupent les autres, et qui se trompent essentiellement eux-mêmes.

  Figure 1.
Extension et flexion actives des doigts après une fracture du
scaphoïde parfaitement guérie. On n’a pas trouvé d’anomalies anatomiques. Le patient était clairement un simulateur désirant obtenir une incapacité de travail prolongée.

Dans le groupe caractérisé par l’aggravation et la simulation, l’appât du gain est plus évident, tandis qu’en cas de troubles factices, la personne désire davantage obtenir le statut de patient (Figure 1).

Simulation et douleur chronique

La douleur est subjective et est par définition un trouble fonctionnel (ICF b280) qui n’est pas directement mesurable et dont la reconnaissance – ou non – repose sur la confiance entre le patient et son médecin. L’expression de la douleur est liée à l’âge et à la personne. Les influences culturelles ne sont pas non plus étrangères à une expression exubérante. Il y a cependant un gradient de simulation, selon que l’on envisage l’aggravation ou la protection. Il est compréhensible que, lorsqu’un patient présentant des plaintes justifiées se heurte à un mur d’incrédulité, il accentuera ses plaintes lors d’une prochaine occasion. Dans la littérature, on fait état de la douleur organique (et donc «réelle») et de la douleur non organique (donc psychogène ou feinte). Le tout est de savoir si l’on peut affirmer ceci de manière aussi simple. Ceci est en tout cas en contradiction avec les concepts modernes relatifs à la douleur chronique et au modèle socio-psychobiologique. Beaucoup d’efforts ont été consentis pour objectiver la douleur ou démasquer la douleur non organique. Les questionnaires sont les plus utilisés et ils sont aussi les plus faciles à utiliser. Quelques études ont évalué la validité et la fiabilité de ces questionnaires, et les résultats ne sont pas sûrs. La question portant sur la composition du groupe témoin est également déterminante pour le résultat. Utilise-t-on des volontaires sains qui simulent, des patients à qui on demande d’exagérer, ou les deux, ou se fie-t-on à la conviction de l’examinateur pour distinguer les simulateurs des autres? On a utilisé l’examen clinique, l’expression du visage, les tests mécaniques, la thermographie, les blocs sélectifs et les injections de thiopental, avec des résultats variables. En d’autres termes, il n’existe aucun test sûr pour éliminer tous les simulateurs (5, 6).

Simulation d’une faiblesse ou d’une perte de force

Là où la limitation des mouvements est (plus) difficile à simuler, il n’en va pas de même de la force. La coopération du patient est nécessaire pour réaliser une mesure correcte, ce qui explique également la méfiance des médecins des assurances vis-à-vis de ce test.

 Figure 2.
Tableau d’oedème dur.

La répartition des valeurs normales est assez importante et n’est pas utilisable pour évaluer un patient individuel (7, 8). Au fil du temps, on a développé quelques trucs pour démasquer les simulateurs. Les mesures impliquant un élargissement croissant de l’empan de la main (9) donnent une courbe «en forme de cloche»; les écarts sont suspects. Plusieurs auteurs ont affirmé que les répétitions de la mesure doivent donner des résultats similaires (10-12).

Cependant, il est rare que l’on communique des chiffres à propos des résultats. Le rapid exchange grip test de Lister (1984) (13) doit donner une variation de 25% maximum, tandis que le test de préhension bilatérale simultanée en donne une de 16%. Les répétitions après un intervalle plus long (quatre semaines) (14, 15) peuvent affiner ces variations, mais ne sont pas infaillibles.

Affections simulées – automutilation – le syndrome de Secrétan

En 1901, un médecin d’assurances suisse, Henri Secrétan, a décrit onze cas d’oedème dur persistant du dos de la main. Cet oedème existait depuis longtemps et n’était pas proportionnel au traumatisme indiqué. Tous les patients étaient assurés. Ces anomalies ont rapidement été mises en relation avec des traumatismes répétitifs et/ou des compressions circulaires que le patient s’infligeait à lui-même. Depuis cette description, on a mentionné des cas sporadiques (jusqu’en 1976, seuls huit cas documentés dans la littérature anglophone). En raison d’une augmentation de la pression sociale et économique, ces simulations et automutilations deviennent manifestment plus fréquentes. De toute évidence, la main est la plus touchée, même si d’autres parties du corps sont décrites: la main est facilement accessible et elle est extérieurement clairement visible. On distingue trois types dans ces situations auto-induites (16-18). En premier lieu, il y a le tableau d’oedème dur, caractérisé par un gonflement assez induré au dos de la main. On trouve souvent des ecchymoses et différents degrés d’évolution. L’oedème englobe parfois toute la main (en gant de boxe ou boxing glove) (Figure 2).

  Figure 3.
Psychoflexed hand avec maintien de la mobilité du pouce et de l’index
et contracture des trois doigts ulnaires.

La présence d’une zone de transition assez nette entre l’aspect normal de l’avant-bras et la main oedémateuse indique l’application d’un bandage compressif. Lorsqu’on interroge le patient au sujet de ses plaintes, on remarque que la douleur n’est pas réellement à l’avant-plan. Manifestement, l’aspect clairement anormal lui paraît suffisant pour étayer sa pathologie. Il faut toutefois être attentif aux causes organiques: les diagnostics différentiels les plus évidents sont l’infection du carpe, la dystrophie sympathique réflexe, l’oedème après une mastectomie et la ténosynovite des extenseurs (d’origine rhumatismale, infectieuse ou mécanique). En outre, citons également les contractures dystoniques, que l’on appelle psychoflexed hand (contracture psychogène de la main) ou clenched fist (Figure 3). On trouve souvent une contracture en flexion du majeur, de l’annulaire et de l’auriculaire, avec préservation de la fonction du pouce et de l’index.

Le même groupe englobe également la flexion complète de tous les doigts, la contracture en flexion ou en extension du coude, le stiff index et une inverse psychoflexed hand (contracture en flexion du pouce et de l’index avec contracture en extension des autres doigts). Enfin, et ce tableau est nettement plus agressif, citons les patients qui s’infligent des blessures (brûlures de cigarettes, substances chimiques – le plus souvent à usage domestique –, grattage) ou qui manipulent des plaies existantes (grattage ou ouverture de plaies chirurgicales, introduction de corps étrangers dans une plaie en voie de cicatrisation) (Figure 4). Sur le plan de la structure psychologique de base du patient, on distingue deux types: les patients hostiles-agressifs et les patients émotionnellement dépendants. Cette dernière classification n’est pas seulement scientifiquement importante pour étudier la psychopathologie et la dynamique des personnalités, elle a aussi une signification pronostique claire. Chez les patients hostilesagressifs, les chances de guérison (et de reprise du travail) sont quasi nulles.

  Figure 4.
Ulcère chronique provoqué par des substances chimiques; après le traitement et la sortie de l’hôpital, cette patiente a fait une grave tentative de suicide en s’injectant un détachant par voie intra-abdominale.

Si le diagnostic n’est pas toujours évident, le traitement est jusqu’à présent ingrat et ses résultats ne sont certainement pas prévisibles. La plupart des auteurs sont d’accord sur les principes suivants: (1) il faut éviter les examens techniques et les traitements inutiles, (2) le patient doit être hospitalisé, (3) la confrontation du patient avec sa pathologie et sa cause n’est pas indiquée.

Des examens psychologiques et psychiatriques sont recommandés, mais leur efficacité est douteuse. Le renvoi du patient à un psychiatre suscitera certainement la résistance de bon nombre de patients, et le risque d’arrêt du traitement instauré est réel.

Conclusions

La simulation n’est pas un diagnostic médical. Aucun test ne suffit pour prouver, confirmer ou nier avec une absolue certitude qu’un patient est (ou non) fiable. La norme est celle du tribunal qui affirme si quelqu’un fraude ou non. Ce jugement ne peut reposer sur les seules bases médicales. Le médecin, en tant qu’expert ou témoin expert, peut attirer l’attention sur des contradictions au niveau de l’histoire, de l’examen clinique et des examens techniques. On peut se demander (à juste titre) si le médecin doit démasquer le simulateur. Le thérapeute est supposé voir le monde à travers les yeux du patient et lui accorder tout crédit. Cela diminue par contre les chances de traitement fructueux basé sur la revalidation et la réintégration.

Références

1. Mendelson D, Mendelson D. Malingering pain in the medicolegal context. Clin J Pain 2004;20:423-32.
2. Baro W. Industrial head and back injuries – the neurological and psychiatric viewpoint. Ind Med Surg 1950:19:69-71.
3. Leavitt F, Sweet J. Characteristics and frequency of malingering among patients with back pain. Pain 1986;25:357-64.
4. Travin S, Protter B. Malingering and malingering-like behaviour: some clinical and conceptual issues. Psychiatr Q 1984;56:189-97.
5. Fishbain D, Cutler R, Rosomoff H, Rosomoff R. Chronic pain disability exaggeration/malingering and submaximal effort. Clin J Pain 1999;15:244-74.
6. Khostanteen I, Turks E, Goldschmidt C, et al. Fibromyalgia: can one distinguish it from simulation? An observer controlled study. J Rheumatol 2000;27:2671-6.
7. Harkonen R, Purtoma M, Alarante H. The grip strength and hand position of the dynamometer in 204 Finnish adults. J Hand Surg Br 1993;18(1):129-32.
8. Mathiowetz V, Weber K, Volland G, Kashman N. Reliability and validity of grip and pinch strength evaluations. J Hand Surg Am 1984;9(2):222-6.
9. Bechtol CO. Grip test. The use of a dynamometer with adjustable handle spacings. J Bone Joint Surg 1954;36:820-4.
10. Harkonen R, Harju R, Alarante H. The accuracy of the Jamar dynamometer. J Hand Therapy 1993;6:259-62.
11. Hoffmaister E, Lech R, Nicbuhr B. Consistency of sincere and feigned grip exertions with repeated testing. J Ocupp Med 1993;35:788-94.
12. Niebuhr BR, Marion R. Detecting sincerity of effort when measuring grip strength. Am Phys Med Rehab 1987;66:16-24.
13. Hildreth D, Breidenbach W, Lister G, Hodges A. Detection of sub maximal effort by use of the rapid exchange grip. J Hand Surg Am 1989;14(4):742-5.
14. Ashford RF, Nagelburg S, Adkins R. Sensitivity of the Jamar dynamometer in detecting submaximal grip effort. J Hand Surg Am 1996;21(3):402-5.
15. De Smet L, Londers J. Repeated grip strength at one month interval and detection of voluntary submaximal effort. Acta Orthop Belg 2003;69:142-4.
16. Johnson R. Psychologic assessment of patients with industrial hand injuries. Hand Clin 1993;9:221-9.
17. Grunert BK, Sanger JR, Matloub HS, Yousif NJ. Classification system for factitious syndromes in the hand with implication for treatment. J Hand Surg Am 1991;16:1027-30.
18. Louis DS, Lamp MK, Greene TL. The upper extremity and psychiatric illness. J Hand Surg Am1985;10:687-93.

Copyright © RMN, Neurone, Vol 15, N°7, 2010

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