Peut-on prier avec son patient ?

Selon les époques et les cultures (imprégnées ou non de préoccupations religieuses), cette question (insolite ?) admet des réponses « évidentes », diamétralement opposées : oui, bien sûr, si la dualité corps-esprit et l’intercession divine sur les affaires humaines semble une histoire entendue ; ou non, si une option plus matérialiste incite à séparer résolument la science (et donc la médecine) des croyances (même collectives) en un être supra-matériel, susceptible de transcender les « simples » considérations physico-biochimiques sur lesquelles reposent la vie…et la sélection impitoyable du PAES (première année d’études de santé [1] !

The British Journal of Psychiatry a proposé à deux universitaires d’opinion opposée de débattre sur ce thème, ainsi formulé pour l’occasion : « Le fait de prier avec un patient constitue-t-il une violation des limites professionnelles dans la pratique psychiatrique ? » Pour le Pr. Rob Poole, le praticien doit se comporter en matière de religion et de spiritualité comme pour la sexualité : il ne doit aborder ces sujets qu’en cas de nécessité réelle, liée à des « problèmes cliniques. » Sinon, l’intérêt du médecin pour ces questions intimes semble injustifié et répréhensible. Et de même qu’une relation sexuelle avec un patient (même demandeur !) serait une entorse grave à l’éthique professionnelle, cette dernière s’accommode mal, estime Rob Poole, du partage d’une activité religieuse dans un cadre thérapeutique : prier au cabinet de consultation avec un patient (même demandeur !) lui paraît donc une pratique « inappropriée », car basée sur des convictions personnelles n’ayant rien à voir avec les compétences professionnelles du médecin ! Et cela est d’autant plus préoccupant qu’un glissement insidieux peut survenir : de petites compromissions avec l’éthique peuvent dégénérer vers des problèmes plus graves. Ajoutons à ces arguments le risque de dérapage sectaire : où serait la démarcation entre un gourou et un « thérapeute » s’autorisant à imposer à ses patients, sous couvert d’un « partage », ses propres opinions philosophiques, religieuses ou politiques ?
Ce danger rappelle celui des « thérapies » non conventionnelles ou parallèles alimentant régulièrement les chroniques judiciaires, quand des présumés thérapeutes prescrivent des méthodes non éprouvées, rejetées par l’ensemble de la profession (par exemple une imposition des mains, ou d’autres techniques sulfureuses).

Pour l’autre débatteur, le Pr. Christopher Cook, « ce n’est pas la prière qui s’écarte du professionnalisme, mais l’expression de certaines croyances, valeurs ou opinions. » Prier pour /avec le patient ne serait donc pas, en soi, une entorse aux limites professionnelles, à condition de ne pas « exploiter sa vulnérabilité » ou susciter un jugement de valeur. On ne devrait donc s’autoriser la pratique de la prière qu’en cas de « compatibilité avec le plein respect des opinions et des croyances du patient », à la demande formelle de celui-ci, et « en l’absence de toute pression. » Et au moindre doute, le médecin se livrant à la prière dans un cadre professionnel devrait se concerter « avec un superviseur ou un collègue. »

Je vais susciter des cris d’orfraie chez certains, mais cette conclusion me rappelle la pratique des psychanalystes et le mot selon lequel, en inventant la psychanalyse, Freud aurait « réintroduit la pratique chrétienne de la confession dans le judaïsme. » Ce qui conduit certains sceptiques (à l’égard de la confession ou/et de la psychanalyse) à s’interroger : « Mais pourquoi se confesser à un homme plutôt que de dialoguer directement avec Dieu ? »

 

[1] http://www.letudiant.fr/etudes/fac/etudes-de-sante-mes-premiers-cours-en-paes-16560.html

Dr Alain Cohen

Référence
Poole R et Cook CCH : Praying with a patient constitutes a breach of professional boundaries in psychiatric practice (debate). Br J Psychiatry, 2011; 199: 94–98.

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Vos réactions (1)

  • Dieu et les thérapeutes...

    Le 11 janvier 2012

    Je réagis à la question de l'auteur de l'article, posée ee dernière ligne : pourquoi se confesser à un homme plutot que converser directement avec Dieu?
    Pour une raison très simple : Dieu ne réagit pas, ne répond pas, n'oriente pas.
    Or c'est justement dans la "magie" de la relation humaine que la relation introspective va trouver son essence et son aboutissement.
    Face à son miroir on ne rencontre...qu'une image plate.
    Mais face à son image, accompagné par un humain (thérapeute ou religieux) le travail peut se faire. D'ailleurs, outre le rôle religieux de nos excellents curés de campagne, combien de névroses et autres souffrances n'ont ils pas soulagé dans leur confessionnal. Par contre, si la personne est seule dans le confessionnal, ça ne marche pas...

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