
Le tabagisme chronique est une addiction chronique dont on se
défait difficilement et les rechutes sont fréquentes pour ceux qui
parviennent au sevrage. Cet enjeu majeur en santé publique repose
en partie sur une forte composante génétique qui se dévoile peu à
peu grâce à l’étude du génome humain. Une méta-analyse des études
incluses dans le projet GWASs (Genome-Wide Association
Studies) a d’ailleurs permis d’identifier un SNP (single
nucleotide polymorphism ou polymorphisme d'un seul nucléotide)
au sein du gène codant pour la sous-unité α5 des récepteurs
nicotiniques, en l’occurrence la mutation α5SNP. Ce polymorphisme
augmente significativement le risque de dépendance au tabac et
retarde le succès d’un éventuel sevrage. Il restait à disséquer, au
sens biologique du terme, les mécanismes neuronaux qui sont
impliqués dans la vulnérabilité face au tabagisme des porteurs de
cette mutation.
C’est là l’objet d’une étude franco-autrichienne dont les
résultats viennent d’être publiés en ligne dans Current
Biology.
Des rats α5SNP…
Pour atteindre cet objectif cette s'est appuyé sur un modèle
de rat transgénique créé par insertion de cette mutation au sein du
génome grâce à la technique récente issue de la génétique
moléculaire. Le comportement des animaux ainsi génétiquement
modifiés a été étudié dans un modèle expérimental classique adaptée
à l'étude expérimentale de l'addiction, celui de
l’auto-administration de nicotine par voie intraveineuse, en
comparant rats transgéniques et rats témoins. Les réponses électro
physiologiques neuronales à la nicotine ont par ailleurs été
étudiées chez les rats transgéniques.
Qu’en est-il dans les conditions de l’expérience ? Les rats
α5SNP se sont administrés de façon itérative de fortes doses de
nicotine par voie IV, un comportement totalement différent de celui
des témoins. Par ailleurs, après sevrage, la rechute chez ces
animaux a conduit à une recherche effrénée de nicotine marquant là
aussi une dépendance majeure non constatée chez les témoins. La
démonstration ne s’arrête pas là, puisque la reprise de l’addiction
a pu être associée à une activité neuronale anormale dans plusieurs
aires cérébrales distinctes mais interconnectées parmi lesquelles
figure le noyau interpédonculaire, une structure GABAergique qui
exprime fortement les récepteurs nicotiniques contenant la
sous-unité α5. La réactivité anormale des neurones
interpédonculaires à la nicotine a été confirmée par les études
électrophysiologiques.
A l’homme α5SNP… ?
Le polymorphisme α5SNP semble donc bien constituer chez le rat
transgénique un facteur de risque majeur de prise de nicotine à
fortes doses et à la rechute après sevrage. Ces deux
caractéristiques de l’addiction à la nicotine constatées sur ce
modèle expérimental ne sont pas sans rappeler ce qu’on observe dans
le cadre du tabagisme chronique chez l'homme (toutes proportions
gardées). Ces résultats suggèrent par ailleurs que le noyau
interpédonculaire joue un rôle important dans les phénomènes
observés lors de la rechute dans les suites du sevrage, pour ce qui
est notamment de la recherche compulsive de la
nicotine.
Cette étude expérimentale permet d’évaluer avec finesse
l’impact de la mutation α5SNP sur des phases critiques de
l’addiction à la nicotine. C’est une première explication des
mécanismes d’action sous-jacents, ce sont aussi des perspectives
nouvelles dans la prise en charge de cette addiction: la mise au
point d’un médicament capable d’accroître l’activité des récepteurs
nicotiniques porteurs de la sous-unité alpha pourrait réduire à la
fois la consommation de tabac… et le risque de rechute après
sevrage.
Mais il convient de ne pas brûler les étapes, ces résultats
méritant d’être confirmés avant d’alimenter la recherche
thérapeutique. Ils n’en démontrent pas moins la puissance de la
génétique moléculaire dans le décryptage pathogénique de nombreuses
maladies chronique et le tabagisme qui en fait partie illustre
parfaitement le propos.
Dr Philippe Tellier