
Une frontière poreuse
Dans le sillage des préconisations et observations de Martin Hirsh, plusieurs instances ont appelé à la libération de la parole. L’Ordre des médecins a ainsi encouragé « les victimes de harcèlement sexuel dont l’auteur serait un médecin à porter plainte devant les conseils départementaux de l’Ordre des médecins ». Les signalements sont aujourd’hui rares : le patron de l’AP-HP évoque ainsi « moins d’une dizaine de cas par an ». Briser l’omerta est également la priorité des organisations de jeunes médecins : l’Intersyndicat national des internes (ISNI) et l’Intersyndicat national des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) ont ainsi diffusé vendredi deux communiqués appelant à mettre fin au silence. « Oui, le harcèlement sexuel existe à l’hôpital et peut concerner tous les professionnels (…). Humour graveleux, maladresse, agression, la frontière est poreuse. On refuse alors facilement de voir les conséquences désastreuses pour la victime. Si l’agresseur ne semble ne "rien faire de mal", la victime, souvent, culpabilise et souffre en silence », analyse par exemple l’ISNAR-IMG, qui attend que la parole se libère afin que « la culpabilité change de camp ».« On est comme ça »
Dès ce week-end, le message a été entendu, avec la diffusion de plusieurs témoignages dans la presse. Sur France TV, une interne en médecine, Maeva, a ainsi évoqué comment un de ses chef de service de réanimation multipliait les questions insistantes sur sa vie sexuelle ou se rendait sans sommation dans le vestiaire des filles. Dans Le Figaro, Selma, médecin de 30 ans a remarqué comment « Dans ce milieu, il y a une ambiance particulière qui fait que tu acceptes beaucoup de choses ». Pincements de fesses et plaisanteries graveleuses ont ainsi été plusieurs fois son lot sans qu’elle n’ose jamais réellement se rebiffer. Enfin, dans Libération, ce sont les réflexions d’un médecin homme qui retiennent l’attention. Claude, praticien hospitalier, évoque comment il a toujours été mal à l’aise avec le rapport très sexué qui est la marque de nombreuses relations à l’hôpital. « L’image du mec en blouse qui débite des blagues grivoises devant lesquels les infirmières en cercle doivent se pâmer même si elles trouvent ça grossier et inapproprié est une réalité », dépeint-il. Souvent, il a essayé d’évoquer son malaise devant ses confrères qui s’adonnent à ce type de comportement. La réponse est presque toujours la même : l’esprit carabin est convoqué associé à un « on est comme ça, nous les médecins ». Explication qui laisse Claude perplexe : « Mais c’est qui, ce "on" ? ».Affichage ?
Ces témoignages et ces appels à la libération de la parole conduiront-ils à un réel changement des codes ? Si tous se félicitent de ce mouvement, quelques-uns doutent de la sincérité de certains messages. Ainsi, après l’affichage par Martin Hirsch de sa détermination face au harcèlement sexuel, allant jusqu’à citer un cas récent de suspension, l’association des amis de Jean-Louis Mégnien est montée au créneau. Rappelant que ses alertes et ses signalements étaient toujours demeurés sans réponse et dénonçant l’absence régulière de sanctions vis-à-vis de personnels hospitaliers pourtant reconnus coupables de harcèlement (moral et sexuel), elle note : « L’association regrette le décalage entre un discours officiel qui se donne les apparences de la rigueur et de la vertu et, dans la réalité, des pratiques qui visent à protéger les harceleurs ». Les déclarations de Martin Hirsch ne relèvent-elles que de l’effet d’annonce ? Affaire à suivre.Aurélie Haroche