En dépit des progrès réalisés dans les transports civils et
militaires, la survie des blessés atteints d'hémorragie grave n'a
guère changé au cours des dernières années. Les principales causes
de décès sont l’hémorragie incontrôlée, la coagulopathie par
épuisement des facteurs de coagulation, la fibrinolyse
incontrôlable… A la suite de l’expérience militaire en Irak
(2003-2005), le traitement de la coagulopathie par le recours
précoce au plasma est largement utilisé.
Au pays des balles perdues, enfin pas perdues pour tout le monde !
Anticipant l'approbation du plasma lyophilisé par la Food and Drug Administration des États-Unis, le département de la Défense des États-Unis a financé des essais de réanimation pré-hospitalière par plasma. L'un d'entre eux, l'essai COMBAT, s’est déroulé aux États-Unis dans le contexte d'un transport terrestre (et non héliporté) rapide en une zone urbaine. Il s’agit d’un essai randomisé, monocentrique réalisé par le Denver Health Medical Center. Les blessés en choc hémorragique (tension artérielle systolique ≤ 70 mm Hg ou 71-90 mm Hg + une fréquence cardiaque ≥ 108 /mn) ont été répartis de façon aléatoire en 2 groupes pour recevoir sur les lieux de la blessure soit du plasma, soit du sérum physiologique (groupe témoin). La randomisation a été réalisée en armant toutes les ambulances avec des glacières scellées. Lorsque les glacières contenaient deux unités de plasma congelé, elles étaient décongelées dans l'ambulance et la perfusion commençait. Lorsqu’elles contenaient une charge factice de sérum physiologique gelée, cela indiquait une affectation dans le groupe témoin et le sérum physiologique était infusé. Le principal critère d'évaluation a été la mortalité à J28 et les analyses ont été effectuées en intention de traiter.Du 1er avril 2014 au 31 mars 2017, les ambulanciers paramédicaux (et non des médecins) ont réparti de façon aléatoire 144 blessés en deux groupes sur le terrain. L'analyse en intention de traiter a inclus 125 blessés admissibles dont 65 ont reçu du plasma et 60 du sérum physiologique.
L'âge médian était de 33 ans (IQR de 25 à 47) et le New
Injury Severity Score médian était de 27 (10-38). 70 blessés
(56 %) ont nécessité des transfusions sanguines dans les six heures
suivant la blessure. Groupes et temps de transport médians ont été
similaires (groupe plasma : 19 min [IQR de 16 à 23] vs témoin : 16
min [IQR de 14 à 22]).
Les taux de mortalité à J28 on été identiques (15 % dans le
groupe plasma vs 10 % dans le groupe témoin, p = 0,37). Dans
l'analyse en l'intention de traiter, il n’y a eu aucune différence
de fréquence des coagulopathies et de complications autres. En
raison de l'absence constante de différences, l'étude a été
interrompue pour cause d'inutilité après 144 des 150 inclusions
prévues.
Pas de bénéfice en terme de survie : certes, mais…
Cet essai contrôlé randomisé, vraisemblablement le premier du
genre a être aussi rigoureux et testant le plasma pré-hospitalier
(dans les 30 minutes suivant la blessure, en commençant dans
l'ambulance), pour contrôler l’état de choc hémorragique n’a
démontré aucune amélioration de la survie lorsque le plasma a été
administré dans le contexte bien précis et limité d’un transport
terrestre rapide vers un centre de traumatologie urbaine de
qualité. Pour autant, les produits sanguins pourraient s’avérer
bénéfiques lorsque les délais de transport sont plus longs, mais le
fardeau financier n’est actuellement pas justifié dans un
environnement urbain où les centres de traumatologie sont situés à
courte distance, soulignent toutefois les auteurs. Le court délai
de contrôle mécanique de l'hémorragie et la disponibilité immédiate
de plasma à l'hôpital pourraient expliquer l'absence d'avantages de
cette approche. Ainsi, la survie à J28 d’un blessé en choc
hémorragique ne dépend pas uniquement de l’administration ou non de
plasma précocement lors de la prise en charge pré-hospitalière,
c’est aussi ce que sous-entend cette étude qui n’a pas, en milieu
urbain, identifié l’absence de transfusion précoce de plasma comme
étant une perte de chance pour le blessé… à condition que le super
service des Urgences et de traumatologie ne soit pas distant du
lieu de la blessure de plus de 23 minutes !
Dr Bernard-Alex Gaüzère