
Paris, le mercredi 27 février 2013 – Depuis de très nombreuses années, le misoprostol (commercialisé sous le nom de Cytotec) indiqué selon son autorisation de mise sur le marché dans le traitement de l’ulcère gastrique ou duodénal évolutif, est utilisé en gynécologie obstétrique. Les équipes y ont fréquemment recours dans le cas de fausse couche précoce (afin d’éviter le curetage), pour réaliser des interruptions volontaires de grossesse (deux indications pour lesquelles le médicament a le statut de « médicament essentiel » attribué par l’OMS) mais également pour déclencher un accouchement à terme. Cette utilisation en obstétrique du misoprostol, une prostaglandine E1, a été mise en évidence très rapidement après l’arrivée sur le marché de Cytotec en 1986. Ainsi, en 1992, une lettre parue dans le Lancet rapportait des exemples fréquents d’emploi de la molécule pour déclencher des accouchements. Très prisé dans les pays en voie de développement (en raison notamment de son prix et de sa galénique), le misoprostol est également utilisé dans les états riches. En Suisse, une enquête menée en 2007 révélait que 78 % des obstétriciens y avaient recours lors du déclenchement de l'accouchement. En France, dans des recommandations réactualisées en 2011, le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) signalait : « Bien que le misoprostol n’ait pas l’AMM dans les grossesses prolongées, il s’agit d’un moyen efficace et peu onéreux pour déclencher le travail, notamment sur col très défavorable (grade A) (…). Quelle qu’en soit la dose, le misoprostol est contre-indiqué en cas d’utérus cicatriciel (grade B) ».
Un traitement peu cher, facile à administrer et à stocker
Cette utilisation du misoprostol en gynécologie obstétrique est étayée par plusieurs essais ayant conclu à l’efficacité de la molécule dans l’induction du travail (souvent supérieure aux autres prostaglandines). En 2010, un essai publié dans le Lancet constatait que si le misoprostol semblait présenter une efficacité et une tolérance légèrement moindres que l’ocytocine, il représentait un atout certain dans les pays en voie de développement, en raison de son mode d’administration (par voie orale et vaginale), des conditions faciles de stockage et de son très faible coût. Concernant les risques associés au misoprostol, les essais ne permettent pas de conclure ou d'écarter une dangerosité accrue de ce mode de déclenchement par rapport aux autres, si ce n’est en cas d’utérus cicatriciel. Pour Philippe Deruelle, secrétaire général du CNGOF interrogé par le site 20 minutes « Oui, le Cytotec augmente les risques de hausse du rythme cardiaque fœtal, d’hémorragie pour la mère et de rupture utérine, mais les autres méthodes aussi ».
Le hors AMM trop systématiquement pourfendu
C’est pourtant en se basant sur des signalements de ruptures utérines et d’anomalies du rythme cardiaque fœtal après utilisation du Cytotec que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient de lancer une mise en garde contre l’utilisation de ce médicament en obstétrique. L’ANSM insiste notamment sur le fait que le misoprostol n’a pas d’AMM pour cette indication et qu’il n’existe pas de « données de sécurité d’emploi qui présagent d’un rapport bénéfice/risque favorable du Cytotec » ainsi utilisé. Cette critique concernant le « détournement » du médicament laisse supposer qu’une utilisation hors AMM est par essence nocive et dangereuse. Or comme le rappelle Philippe Deruelle : « Il y a beaucoup de médicaments utilisés en obstétrique qui n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché mais qui rendent service ». Il n’est en outre pas que dans cette discipline que les prescriptions hors AMM sont utiles et fréquentes, c’est également le cas pour de nombreuses maladies rares, mais également il fut un temps dans le traitement du VIH/Sida : ici les « détournements » pointés du doigt permettent de sauver des vies. De façon plus générale il n'est ni exceptionnel ni anormal de prescrire un médicament hors AMM si une publication internationale en démontre l'efficacité et si il n'existe pas d'alternative. Aussi, pour de nombreux gynécologues obstétriciens, cette mise en garde de l’ANSM manque une nouvelle fois de nuance et risque d’attiser les craintes des futurs parents, déjà sous le coup d’informations souvent contradictoires livrés sur internet et sur les blogs.
Reste à savoir, dans le cas d'espèce, si les maternités françaises qui utilisent le Cytotec continueront à le faire.
Aurélie Haroche