« Il faut probablement en finir avec le tout hôpital» (Interview du Dr Mathias Wargon)

Les difficultés rencontrées par de nombreux services des urgences en France, qui font face à un manque de personnel et un afflux de patients, font désormais la une de l’actualité dans tous les médias. Beaucoup craignent un été particulièrement difficile où les services risquent d’être saturés. Alors que le gouvernement a confié au Dr François Braun une mission flash pour trouver des solutions, le JIM a voulu recueillir les avis sur cette « crise des urgences » du Dr Mathias Wargon, médiatique chef du service des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis.

Jim.fr : Vous êtes vous-même chef d’un service d’urgences. Quelle est la situation dans votre service en termes de personnel et d’accès aux soins ? Envisagez-vous comme beaucoup de vos homologues une fermeture nocturne des urgences certains jours de l’été ?

Dr Mathias Wargon : J’ai des problèmes de manque d’infirmiers et j’ai encore des places non pourvues pour cet été. Nous n’avons pas encore décidé ce que nous allons faire. Est-ce qu’on va fermer complétement, est-ce qu’on va réduire la voilure, est-ce qu’on va prioriser les patients plus graves, est-ce qu’on va continuer normalement ? Je ne sais pas. Pour l’instant, nous n’avons jamais eu à fermer les urgences. Malgré les problèmes de personnel, nous n’envisageons pas de fermer, mais cela ne veut pas dire que cela n’arrivera pas.

Jim.fr : Pensez-vous qu’il est possible que des malades meurent cet été du fait des perturbations du système de soins comme certains le craignent ?

Dr Mathias Wargon : Je ne partage pas cette position. Je pense que certains de mes confrères disent ça pour que l’on garde les SMUR ouverts. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution la plus efficace. Il faut selon moi privilégier les services des urgences par rapport aux SMUR. Mais en réalité ce n’est pas blanc ou noir, les gens ne meurent pas par manque de personnel. Est-ce qu’il y aura un impact sur la qualité de la prise en charge, c’est certain, mais je ne crois pas que des gens vont mourir.

Jim.fr : L’éphémère ministre de la santé Brigitte Bourguignon a annoncé une première série de mesures d’urgence pour juguler la crise (doublement de la rémunération des heures supplémentaires, cumul emploi/retraite, mobilisation des élèves infirmiers…). Ces mesures vont-elles dans le bon sens selon vous ?

Dr Mathias Wargon : Ces mesures visent à juguler la crise de cet été, mais ne feront rien pour la crise structurelle qui dure depuis plusieurs années. C’est uniquement pour éviter d’aller dans le mur. C’est du très court terme.

Les cabines de télémédecine, « c’est un peu bizarre mais pourquoi pas »

S’agissant du doublement de la rémunération des heures supplémentaires, ce n’est pas une mesure nouvelle, cela existe dans plusieurs établissements d’Ile-de-France, il s’agit seulement d’une généralisation. Est-ce que des vieux médecins de ville à la retraite vont accepter de venir travailler à l’hôpital en juillet/août, je n’en sais rien. Et pour les élèves infirmiers, cela ne touche que ceux qui sont diplômés, qui attendent leur diplôme et à qui on avait déjà demandé de se mobiliser.

Ma position est ambiguë. Bien sûr j’ai envie que ces mesures fonctionnent, que les services d’urgence restent ouverts. D’un autre côté, peut être que l’explosion des services permettra une prise de conscience, car chaque année on passe près de la catastrophe.

Jim.fr : A son tour, le Dr François Braun, responsable d’une mission flash pour les urgences, aurait proposé d’améliorer le tri des patients en amont des Urgences, notamment en installant des cabines de télémédecine. Qu’en pensez-vous ?

Dr Mathias Wargon : Les cabines de télémédecine, cela m’amuse un petit peu, tout simplement parce que j’ai eu la même idée. Le patient arrive et s’il n’y a pas de médecin pour le prendre en charge, on le met dans une cabine. C’est un peu bizarre, mais pourquoi pas. C’est à tenter, cela peut être efficace.

Jim.fr : De manière générale, quel regard portez-vous sur cette mission flash ?

Dr Mathias Wargon : Je suis très dubitatif. Je connais bien le Dr François Braun. Il est président du syndicat Samu-Urgences de France, dont je suis membre. Je ne suis pas totalement neutre dans cette affaire : tous les ans je me présente au conseil d’administration du syndicat (sauf quand j’oublie) et tous les ans je ne suis pas élu ! Tout simplement parce que mes propositions sont à l’opposé de celle de François Braun, notamment sur l’avenir des SMUR.

« Je n’attends pas grand-chose de la mission flash de François Braun »

Bien qu’il travaille à l’hôpital, je pense que le Dr Braun a une vision très extrahospitalière de la situation. Lui et son équipe ont toujours été très conservateurs et peu pro actifs, ils se sont notamment opposés à la création des infirmières de pratiques avancées (IPA). Je n’attends donc pas grand-chose de la mission flash de François Braun. Mais je vous rassure, je n’ai rien contre lui, nous sommes simplement en désaccord et je l’apprécie beaucoup. Après notre dernier congrès où toutes mes propositions ont été rejetés, je suis allé boire une bière avec lui !

Lancer une mission flash fin mai, alors qu’il y a des services des urgences qui ferment depuis mars avril, c’est comme si on disait à quelqu’un qui fonce vers un mur d’aller chercher les freins. Le temps qu’il revienne, tout le monde est mort.

Jim.fr : Pour certains une partie de la solution pourrait venir de la réintégration des soignants non vaccinés. Vous avez exprimé votre opposition à cette mesure. Pourquoi ?

Dr Mathias Wargon : Ce n’est pas une solution pragmatique mais idéologique. Réintégrer les soignants non-vaccinés ne changera rien à l’état de l’hôpital public. 15 000 soignants suspendus (NDLR : ils ne sont en réalité aujourd’hui qu’entre 1 500 et 2 000), par rapport au nombre d’établissements de santé, c’est une goutte d’eau. Mais idéologiquement, cela veut dire qu’on peut être soignant sans se faire vacciner. Il y a beaucoup de soignants qui se sont fait vacciner malgré eux, malgré leurs peurs, parce qu’ils ont fini par faire confiance à la science, ou tout simplement pour garder leurs emplois. Réintégrer les non-vaccinés, c’est donner raison aux antivaccins, je suis contre. Je n’ai aucune animosité contre les non-vaccinés, certains sont des gens très bien, mais il faut respecter la science et la loi.

Jim.fr : L’augmentation de la rémunération des soignants est demandée par l’ensemble des acteurs du secteur. De quel niveau d’augmentation parle-t-on ?

Dr Mathias Wargon : Je préfère ne pas parler à la place des paramédicaux. C’est indécent, nous n’avons pas la même rémunération, je ne peux pas dire qu’ils touchent trop ou pas assez. Pour les médecins, le principal problème est que la différence est devenue énorme avec le privé. Les salaires y sont beaucoup plus élevés et il y a moins d’obligation de service. Probablement il faut y travailler plus, mais l’ambiance y est meilleure. C’est une simple histoire d’offre et de demande.

« Je suis favorable à l’organisation en services, la structure des pôles n’a pas de sens »

Quand aux PH, ils demandent que la réforme de leur statut s’applique à tout le monde et pas seulement aux nouveaux PH. On a des nouveaux PH qui sont mieux payés que certains anciens PH, c’est difficile à vivre pour certains.

Jim.fr : En plus de la rémunération, le manque d’attractivité à l’hôpital résulte, semble-t-il, d’une surcharge administrative et d’une perte de sens pour nombre de soignants en particulier les infirmières. La médicalisation des directions hospitalières et le retour à une organisation hospitalière par service seraient-elles des réformes allant dans le bon sens ?

Dr Mathias Wargon : Il n’y a pas tant de travail administratif pour les médecins, ce sont plutôt les chefs de service qui sont concernés. Il y a une pratique du « reporting », qui consiste à faire des rapports à tout bout de champs. Les choses se sont beaucoup bureaucratisés. Médicaliser la direction des hôpitaux me semble nécessaire. Avec des directeurs d’hôpitaux, j’ai plaidé pour une direction bicéphale (un médecin et un administratif). Et non plus un directeur de CME qui va nommer les gens selon ses accointances.

Je suis également favorable à l’organisation en services. Le pôle n’est qu’une hiérarchie supplémentaire qui fait plaisir à ceux qui veulent être chef, mais c’est une structure qui n’a pas de sens.

Jim.fr : Au-delà de l’immédiat, quelles mesures structurelles doivent-elles être prises selon vous tant à l’hôpital qu’en ville pour assurer la permanence des soins ?

Dr Mathias Wargon : Il faut mettre en place un meilleur système de régulation des urgences en amont, en proposant systématiquement une solution alternative aux patients. Là est la difficulté. Il faut probablement en finir avec le tout hôpital, dire que tout ne peut pas être fait à l’hôpital. Généralement, cela coute plus cher et les soins ne sont pas nécessairement meilleur qu’en ville ou en clinique.

Il faut aussi se pencher sur l’aval. On oublie souvent de dire que si on manque de lits à l’hôpital, c’est parce qu’on a un problème avec la prise en charge des patients en aval (retour à domicile, soins de suite, Ehpad…). Il va falloir travailler là-dessus. En réalité, à part dans certaines spécialités, on a encore suffisamment de lits. Si on héberge en chirurgie, c’est qu’on y a suffisamment de lits.


Propos recueillis par Quentin Haroche

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Vos réactions (10)

  • Le problème sera de trouver des régulateurs

    Le 25 juin 2022

    Depuis plus de 40 ans l’hôpital a voulu squeezer la médecine de ville pour arrondir son budget et dépasser « l’enveloppe globale » allouée par la sécu en attirant la population aux urgences par une pratique immodérée du tiers payant. Une suture simple K5 au cabinet passe m’a t-on dit à 240 € (forfait de salle d’op.)
    Il en paye le prix maintenant car les soixante-huitards partent en retraite et ceux qui restent n’en peuvent plus.
    La solution: les urgences ne doivent prendre en charge QUE les urgences. Tout doit être régulé. Le problème sera de trouver des régulateurs et surtout de les protéger des attaques juridiques.
    La vidéo régulation peut là être d’un grand secours.

    En attendant on peut aussi imposer une éducation sanitaire dans les écoles; on peut apprendre à ne va pas aller aux urgences quand bébé fait 37*2.
    Pour finir, la santé c’est l’affaire des professionnels de santé, pas des juristes ni des fonctionnaires.

    Dr Jean-Pierre Barbieux

  • Merci beaucoup à Mathias Wargon pour ses commentaires

    Le 25 juin 2022

    Quelques remarques pêle-mêle : La santé ne se résume pas aux médecins et l'hospitalo-centrisme n'est pas une solution, les solutions d'amont existent. Les chefs de pôle sont en effet hors sol et les binômes administratif-médecin pourraient être plus efficaces. La contractualisation des soins (responsabilisation des acteurs de terrain) reste aussi à discuter.

    Pr Philippe Chevalier
    CHU de Lyon

  • Difficile de passer du statut de médecin à celui de malade (Réponse au Dr Barbieux)

    Le 25 juin 2022

    Vous avez raison. Encore faut-il trouver des médecins généralistes ou spécialistes qui veuillent bien vous prendre. Sur Doctolib tout est saturé.
    Ancien PU-PH, il me faut batailler pour trouver un généraliste référent, il m'a fallu attendre 6 mois pour me faire opérer d'un ménisque, des semaines pour decomprimer un CLE. Et en privé, pardon, je n'ai jamais rencontré le radiologue qui m'a fait une IRM de prostate, m'annonçant par mail que c'était sans doute un cancer, ayant tenté de le joindre, la secrétaire m'a dit que ce médecin ne faisait pas d'IRM prostatique; et quand j'ai spontanément évacué par l'urètre un abcès, un urologue m'a dit que ce n'était pas possible.
    C'est un cas personnel, je vous l'accorde.....
    Difficile de passer du statut de médecin à celui de malade, la confraternité n'est pas toujours au RDV.

    Pr M.

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