« La médecine prédictive prendra une place capitale dans notre univers santé »
Paris, le jeudi 26 décembre 2019 – Quoi de mieux au lendemain
de Noël de s’offrir un dernier cadeau : une bouffée d’optimisme !
Cardiologue depuis 25 ans à l’hôpital et en cabinet, Fabien Guez
dresse, dans son nouveau livre « Tous guéris dans dix ans », un
vaste panorama des avancées technologiques spécialité par
spécialité. Intelligence artificielle, nanomédecine, génétique,
biotechnologie, impression 3D, robotique… Fabien Guez revient pour
nous sur cette médecine qui se réinvente, avec un enthousiasme qui
tranche avec les discours habituels plus suspicieux face au
progrès, qui ne laissera sans doute pas indifférent…
JIM.fr : Le titre de votre livre « Tous guéris dans 10 ans
» n’est-il pas une promesse ambitieuse car 10 ans c’est déjà demain
?
Fabien Guez : Et pour certaines pathologies, l’échéance sera
même plus brève ! Avec toutes ces nouvelles technologies, nous ne
soignerons plus de la même façon. Nous n’allons pas seulement
traiter mais prédire. Nous personnaliserons les traitements, nous
allons agir au plus profond de l’organisme jusqu’à la cellule. Nous
arrivons à la fin d’une époque qui va se transformer.
JIM.fr : Dans les années 2000, on parlait des 4 P de la
médecine de demain : prédictive, préventive, participative,
personnalisée. Vous parlez aujourd’hui des 6 P. Pouvez-vous nous
préciser ?
Fabien Guez : Elle sera « pluriprofessionnelle » et «
pertinente » ! Nous allons de plus en plus travailler en
collaboration non seulement avec des médecins et des paramédicaux
mais surtout, ce qui sera nouveau, avec des ingénieurs et des
métiers qui vont apparaître. Et l’intelligence artificielle
autorisera des prises de décision plus pertinentes avec des
algorithmes de décision clinique de plus en plus
sophistiqués.
Dronancier : une vocation pour des radiologues en burn-out
?
JIM.fr : D’après vous, quels métiers devraient être créés ?
D’autres ne risqueraient-t-ils pas de disparaître ?
Fabien Guez : De nouveaux métiers comme des spécialistes du
numérique bien sûr mais aussi des créateurs d’algorithmes de
décision, des concepteurs d’organes, des chirurgiens utilisateurs
de robots, des spécialistes du vieillissement. Des « dronanciers »
aussi : les pilotes de drones qui vont délivrer les médicaments.
Mais je pense que peu de métiers vont disparaître même si aux
Etats-Unis, j’ai entendu dire que des radiologues faisaient un
burn-out car ils ont peur de ne plus avoir d’activité. Les médecins
vont profiter de ces technologies pour justement gagner du temps
qu’ils vont pouvoir consacrer aux patients. Elles n’empêcheront pas
le contact humain mais bien au contraire.
JIM.fr : Dans votre livre, vous faites le point des
innovations à venir spécialité par spécialité. Certaines sont-elles
plus concernées que d’autres ?
Fabien Guez : Cela a été un énorme travail de recherche. Je
suis maintenant le médecin le plus informé ! (rire) (sans doute pas
autant qu’un lecteur du JIM, ndrl). Toutes les spécialités vont
être concernées par ces bouleversements dus aux techniques qui
apparaissent comme l’intelligence artificielle, la génétique, la
robotique, … Mais l’oncologie, la neurologie, l’ophtalmologie,
l’orthopédie, la cardiologie vont encore plus profiter de toutes
ces technologies.
JIM.fr : Vous indiquez que la plupart des spécialistes,
comme les cardiologues, s’orientent vers une hyperspécialisation.
Pouvez-vous nous expliquer ?
Fabien Guez : Ces technologies font que les traitements sont
de plus en plus précis. Nous sommes dans une période de «
procédurisation » à l’américaine et nous sommes obligés d’être
hyperspécialistes dans chaque domaine. Nous le voyons déjà par
exemple en orthopédie ou en cardiologie. Avec cette
hyperspécialisation, le généraliste aura un rôle de plus en plus
important de chef d’orchestre. Il sera là pour faire la synthèse,
pour décider de la prise en charge et coordonner le parcours
du patient.
JIM.fr : L’IA sera-t-elle bien plus qu’une aide au
diagnostic ?
Fabien Guez : Avec l’intelligence artificielle, ses
algorithmes et les millions de données exploitables, les
radiologues, les dermatologues diagnostiquent mieux avec moins de
faux positifs et de faux négatifs. Les arbres décisionnels seront
réalisés par l’IA sous l’autorité bien évidemment des humains. L’IA
va aussi permettre de suivre les patients en dehors des
consultations. L’avenir va montrer que nous ne verrons plus le
patient seulement lors des consultations mais nous le suivrons
entre les consultations. Par exemple en cancérologie, l’IA va
beaucoup nous aider à être prédictif en cas de rechute. Mais les
machines vont aussi de plus en plus prendre des décisions, c’est ce
que l’on appelle le deep learning.
JIM.fr : Vous indiquez que des « épidrogues » pourraient
intervenir sur 6000 maladies génétiques. La thérapie génique pour
prévoir, traiter et guérir est-elle déjà une réalité ?
Fabien Guez : Avec la thérapie génique, des sociétés
fabriquent des ciseaux moléculaires qui arrivent à couper des
chromosomes, enlever un gène, en remettre un autre. Nous n’en
sommes qu’au début, mais c’est sans doute extraordinaire ! Il va
falloir valider tous ces procédés mais il y a déjà des maladies
génétiques qui ont disparu. Des sociétés américaines ont traité des
cécités héréditaires chez des enfants qui ont recouvré la vue grâce
à ces traitements. Ces traitements coûtent cher, plus de 150 000
dollars, mais ces sociétés sont si sûres d’elles qu’elles en
proposent le remboursement si cela ne marche pas. Les maladies
rares sont au premier plan et intéressées par ces bouleversements
technologiques.
JIM.fr : Les cellules souches vont-t-elles réparer tous les
organes ?
Fabien Guez : Ces techniques commencent à être bien
maîtrisées et cela va très vite. Maintenant ces processus
permettent de différencier les cellules souches pour en faire soit
des cellules cutanées, soit des myocytes en cardiologie, soit des
cellules rétiniennes en ophtalmologie ou encore des cellules
dentaires.
La simulation pour tous
JIM.fr : Pensez-vous que chaque hôpital, clinique et même
cabinet aura son imprimante 3D pour fabriquer des traitements
médicamenteux personnalisés ou réaliser des prothèses sur mesure ou
encore bio imprimer des tissus et des organes ?
Fabien Guez : Certainement car l’impression 3D est une
révolution en médecine. Elle permet de fabriquer ce que l’on veut
avec des produits organiques et chimiques et aussi de créer des
tissus cellulaires comme l’a fait une équipe israélienne en
réalisant, avec des cellules souches, un cœur entier avec des
artères. Evidemment, aujourd’hui, le cœur est petit, il a la taille
d’une petite fraise mais je pense qu’en 2030, ils auront été au
bout de leurs investigations en réalisant probablement un cœur
humain. Pour la fabrication d’organes, il y aura bien sûr des
centres personnalisés.
JIM.fr : La reproduction d’organes pour s’entrainer avant
une chirurgie grâce à une échographie 3D et un scanner sera-t-elle
devenue courante ?
Fabien Guez : On parle beaucoup d’avatars. Le slogan aux
Etats-Unis qui était « jamais la première fois avec un patient »
prend désormais forme. Avant d’intervenir chez un patient, nous
allons maintenant pouvoir le modéliser en créant une sorte d’avatar
sur lequel nous allons pouvoir nous entraîner avant la chirurgie.
Cela va servir également aux étudiants durant leur formation. Et
surtout, les nouvelles techniques comme la réalité virtuelle, vont
permettre au chirurgien, équipé d’un casque, de voir son champ
opératoire tout en faisant passer des images de scanners, radios,
IRM etc… Il pourra non seulement visionner ce qu’il aura modélisé
en 3D avant mais aussi regarder derrière c’est-à-dire des zones
auxquelles il ne peut pas avoir accès en ouvrant. Toutes ces
nouvelles technologies vont permettre d’améliorer la technique
chirurgicale, de raccourcir la durée d’intervention, d’éviter les
infections et de permettre au patient de rentrer plus vite chez
lui. Même si cela coûte un peu plus cher au début, de grandes
économies de soin seront réalisées au final.
Des formations indispensables
JIM.fr : Les robots chirurgiens utilisant la navigation
assistée par ordinateur sous le contrôle de chirurgiens à distance
seront-ils devenus courants ?
Fabien Guez : En cardiologie, nous avons des robots depuis
une quinzaine d’année qui finissent notre travail en suturant à la
fin de l’intervention. Maintenant, les robots sont quasiment
incontournables pour le chirurgien. Les robots Da Vinci sont très
utilisés en urologie et en orthopédie dans le traitement de la
colonne vertébrale. Orientés par le médecin, ils permettent
d’intervenir de façon plus précise et le gros avantage c’est de
pouvoir être piloté par quelqu’un qui est extérieur au bloc
opératoire même à 5000 km. Là aussi, la robotique est une des
révolutions des prochaines années en chirurgie.
JIM.fr : Comment les médecins vont-ils pouvoir faire face à
ces progrès scientifiques exponentiels ?
Fabien Guez : La formation à ces innovations doit absolument
commencer dès la faculté. J’ai rencontré le doyen de la faculté de
Paris 5/7 qui vient de créer la première chaire en intelligence
artificielle. Il va également mettre en place des BU de médecine
numérique. Il était temps car ces formations sont déjà faites
depuis longtemps dans les pays anglo-saxons et même en Chine. Il
est également nécessaire de former les étudiants à la
communication. C’est quelque chose qui a été oublié dans nos
études. Avec les nouvelles technologies, nous allons pouvoir
diagnostiquer plus précocement mais cela suppose d’avoir les «
bonnes annonces » auprès du patient afin qu’il reçoive les
informations de façon optimale et non pas de façon brutale.
Vive les GAFAM !
JIM.fr : En France, le ministère de la santé a lancé le
Health Data Hub, une plateforme d’exploitation de données de santé
anonymisées dans l’objectif de faire avancer la recherche. Comment
se situent l’Europe et la France dans la course à la collecte de
données de santé face aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et
Microsoft) ?
Fabien Guez : Heureusement que les GAFAM sont là. Ils ont eu
une action de booster en poussant les États à agir ! Nous avons la
chance en France, avec l’Assurance maladie, d’avoir une base de
données de santé comportant des milliards d’informations. Je crois
que c’est la plus importante au monde. Et elle était dans un
placard ! Personne ne pouvait y toucher. Grâce à l’action de nos
différents gouvernements et en particulier le dernier, cette base
de données, qui va bien sûr être « anonymisée » et sécurisée, va
être accessible à tous les professionnels de santé et les
chercheurs qu’ils soient publics ou privés. Cette base de données
qui est à la source de l’intelligence artificielle va être mise à
la disposition de cette communauté pour avancer. C’est vraiment une
très grande opportunité !
JIM.fr : Face à ces innovations, notre système de santé et
le parcours patient devront-t-ils se transformer ?
Fabien Guez : Toutes ces nouvelles technologies vont
permettre de nous occuper du patient avant sa maladie. Le parcours
de santé va être modifié car nous allons nous intéresser à la
prédiction et à la prévention. Le patient sera suivi en permanence
entre les consultations et les médecins auront accès à ces suivis
ainsi qu’à des alertes. Le patient sera également suivi après le
traitement ou après une chirurgie. Par exemple, des prothèses
connectées commencent à être installées. Elles informent le
chirurgien de leur état d’usure et du risque d’infection. Le
parcours du patient va être globalisé. Cela va être mieux pour le
patient, mieux pour les professionnels de santé et mieux pour les
économies de santé.
JIM.fr : Notre système de santé pourra-t-il financer ces
innovations ?
Fabien Guez : La science avance et nous sommes de toute
façon obligés de faire avec. Il y aura une période d’adaptation qui
va coûter beaucoup d’argent. Il va falloir payer. Comment ? Je ne
sais pas. C’est pour cela qu’il faudra changer notre système de
soin. Cela va couter cher au début mais au final tout cela génèrera
des économies de santé substantielles et une amélioration de la
qualité de vie des gens. On le voit avec la guérison de l’hépatite
C. Le traitement coûtait 45000€, il coûte maintenant 28000€ et
permet d’envisager l’éradication de l’hépatite C. Les complications
de cette maladie sont bien plus onéreuses que le prix du
traitement.
JIM.fr : Chaque personne peut être réparée. Votre livre
aurait finalement pu s’appeler « Tous malades dans 10 ans »
?
Fabien Guez : Effectivement, si on considère qu’avancer en
âge c’est pathologique ! Certains chercheurs pensent que la
vieillesse est une maladie que l’on pourrait guérir mais ce sera
l’objet d’un autre livre.
JIM.fr : La prochaine étape de la médecine conduit-elle
l’homme à être augmenté ?
Fabien Guez : Nous ne pourrons pas y échapper, les progrès
vont faire que les hommes vont être augmentés et certaines parties
de leur corps seront en meilleur état que leur état naturel. Quand
on implantera un cristallin après une cataracte, cet implant vous
permettra de voir à 300m. Les exosquelettes sont déjà présents. Ils
commencent à s’alléger et se connecter aux neurones pour être mus
par la pensée. Nous pouvons imaginer que ces prothèses permettront
de courir trois fois plus vite !
L’éternité c’est long…
JIM.fr : Le destin de l’homme sera-t-il d’être immortel
?
Fabien Guez : Oui, à condition de ne pas s’ennuyer !
L’espérance de vie augmente mais pas toujours en bonne santé. Les
nouvelles technologies vont faire en sorte que cette espérance de
vie en bonne santé s’accroisse. Il n’est pas question de repousser
l’âge de la mort dans n’importe quelles conditions et dans
n’importe quel état. Avant cela, l’idée c’est d’arriver à rester
longtemps en bonne santé.
Oh c’est chouette ! J’avais oublié (depuis le XVI ème, le siècle pas l’arrondissement, quoi que...) que l’Homme était une petite machine, ça c’est cool. On va pouvoir lui rajouter des chevaux. Et encore mieux, la vie va pouvoir s’affranchir de la mort, vivement qu’on s’affranchisse aussi de la naissance, la boucle sera bouclée. Et puis j’avais oublié aussi (depuis le XIXème, c’est un quartier plus populaire...) que l’Homme était cette jolie cerise sur ce gâteau-planète (qui commence à couler, on l’a sorti trop tôt du frigo). Je vais de ce pas raconter tout ça à mes petits enfants (qui ne sont pas nés) et visiter le musée de la création dans ce merveilleux pays qui nous montre la voie du Progrès, ça me détendra...