
Le 8 janvier dernier, le Pr Eric Galam, le Pr Philippe
Colombat et Mathieu Sibé ont publié une tribune sur le site de
France info pour expliquer leurs démissions de l’Observatoire de la
Qualité de Vie au Travail (OQVT) et dénoncer les insuffisances des
politiques publiques sur le sujet de la qualité de vie (QVT) des
soignants. Pour revenir sur ce sujet mis en lumière par la crise
sanitaire, nous interrogeons le Pr Eric Galam, l’un des auteurs de
la tribune.
JIM.fr : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’Observatoire
de la Qualité de Vie au Travail ?
Professeur Eric Galam - En décembre 2016, Marisol
Touraine, alors ministre de la Santé, lance la Stratégie nationale
sur la qualité de vie au travail (SNQVT) des professionnels de
santé. Cette stratégie était inscrite dans la durée et devait
prendre en compte les modes d’exercice des professionnels de santé.
Elle est une réponse à une recommandation d’un rapport de l’IGAS
rendu quelques mois plus tôt. Ce dernier avait alors préconisé la
mise en place d’un observatoire de la QVT pour faire un état des
lieux des difficultés des médecins et des ressources disponibles
pour mettre en place la SNQVT.
En juillet 2019, dans cette dynamique, est instauré le Centre
national d’appui (CNA) pour aider les étudiants de santé alors que
de nombreux travaux montrent qu’ils présentent un fort taux de
dépression et de burn-out.
L’OQVT, né en 2017, sous la présidence du Pr Colombat, est
finalement tout ce qui est resté de la SNQVT amorcée en 2016. En
2020, l’OQVT est réformé : il est dirigé par trois experts
(Colombat, Galam, Sibé) et structuré autour de différents groupes
de travaux.
La qualité de vie au travail ne doit pas rester que cosmétique
JIM.fr - Qu’est-ce que vous et vos deux confrères souhaitez
signaler en démissionnant de l’OQVT ?
Professeur Eric Galam - L’OQVT a émis plusieurs
propositions dans le cadre de ses travaux, sur la formation
initiale et continue, la difficulté d’accès à l’ambulatoire etc.
Mais nous souhaitions que le ministère prenne en main la SNQVT,
diffuse les travaux de l’Observatoire et nous propose un soutien
effectif. Ce que nous avons produit est resté à l’état de projet
sur le site de l’OQVT, il n’y a pas eu d’effet sur le terrain. Le
travail réalisé par notre Observatoire et initié en 2016 est de
qualité, mais il est resté lettre morte. Nous avons rencontré le
ministre en juillet dernier, il a promis de nous aider mais il n’a
rien fait. Nous avons démissionné pour que la QVT ne reste pas que
cosmétique. Il faut arrêter de faire semblant de s’en
occuper.
JIM.fr - En quoi la QVT des soignants s’est-elle dégradée
ces dernières années ? Comment la crise sanitaire a-t-elle aggravé
les choses ?
Professeur Eric Galam - On a pris la mesure des
difficultés des professionnels de santé depuis une quinzaine
d’années à travers de nombreux travaux sur le burn-out, les
plateformes d’écoute etc. La Covid a amplifié les phénomènes déjà
présents de deux manières : une pression accentuée sur les
professionnels de santé et une exposition au risque sanitaire. Avec
l’épidémie, on a encore plus besoin de QVT au travail. Avant même
la Covid, les déserts médicaux, les hôpitaux qui peinent à recruter
et qui doivent faire appel à des médecins intérimaires «
mercenaires » constituaient déjà une situation critique. Aussi, les
soignants n’ont le choix qu’entre s’esquinter au boulot,
démissionner ou être malade. La situation du système de santé, même
hors Covid, n’est pas réjouissante.
JIM.fr - Constatez-vous beaucoup de départs de soignants
des hôpitaux, notamment chez les infirmiers ?
Professeur Eric Galam - Les infirmiers vont de moins en
moins bien. Après trois ans d’exercice, un tiers des infirmiers
quitte l’hôpital pour l’exercice libéral ou change de métier. Être
infirmier est un travail de terrain, difficile et trop peu
rémunéré. Former un infirmier a un cout humain et financier
important, s’ils arrêtent très rapidement c’est un gâchis
majeur.
Professeur Eric Galam - Le Ségur n’était centré que sur l’hôpital et pas sur l’ambulatoire. Il a été limité essentiellement aux aspects financiers, qui n’ont même pas encore été mis en œuvre. Les ARS, qui sont responsables des budgets, ont bloqué le projet pour diverses raisons administratives. Alors que l’épidémie n’en finit pas, les soignants tiennent parce qu’ils ont le sens de leur métier mais sont épuisés. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que certains médecins sont tombés malades (voire sont décédés), ce qui accentue la pression sur ceux encore en activité. Le système est en surchauffe et pas uniquement en raison de l’épidémie.
Un manque de volonté politique apparent
JIM.fr - Que pensez-vous des différents mécanismes mis en
place ces dernières années pour améliorer la QVT des soignants
?
Professeur Eric Galam – Comme je vous le disais, l’OQVT
est tout ce qui est resté du mouvement lancé en 2016. Le volet
médiation de la SNQVT a été abandonné tandis que le responsable de
la mission QVT au ministère est tombé malade et n’a pas été
remplacé. Quant au CNA (Centre national d’appui), un communiqué a
annoncé l’an dernier qu’il allait être transformé en un centre
destiné à tous les étudiants mais uniquement consacré à la lutte
contre les violences sexuelles et sexistes (avec donc un abandon
des questions spécifiques à la santé). Et les travaux de l’OQVT ne
sont pas pris en compte.
La SNQVT s’inscrivait dans la durée, mais le ministère n’a pas
fait ce qu’il avait annoncé, tant en ce qui concerne la prise en
charge des soignants en burn-out, l’accompagnement des soignants et
la formation des étudiants. L’OQVT avait développé un travail
autour des retours d’expérience qui est resté confidentiel. Des
rapports ont été élaborés sur le travail participatif, la formation
des managers à la gestion des équipes, qui sont restés lettres
mortes. On a développé un travail pour que des chercheurs
s’investissent dans la thématique de l’OQVT, sans aucune
suite.
JIM.fr Que faudrait-faire concrètement pour améliorer la
QVT des soignants ?
Professeur Eric Galam - Le gouvernement doit respecter
ses promesses et mettre en œuvre la SNQVT. Il ne faut plus faire
semblant. Il faut nommer des responsables qui se consacrent à plein
temps à cette mission, mettre plus de moyens et adhérer à une
stratégie de long terme. Nos dirigeants ne semblent pas avoir pris
la mesure de la situation. Dans le cadre de l’élection
présidentielle, nous allons présenter une sorte de programme sur la
QVT. Nous y reprendrons essentiellement ce qui a été fait en 2016.
Il faut mettre en œuvre le travail conceptuel qui a déjà été
fait.
Il y a trois choses dans la QVT : les conditions, le contenu
et le vécu du travail. Si les soignants ont l’impression d’être
épuisés, non-reconnus et de ne pas faire le métier pour lesquels
ils ont été formés, il est normal que les hôpitaux soient en
difficulté. Ce qu’on demande, c’est que le ministère adhère à la
mission lancée en 2016 et nous donne des moyens pour lancer une
dynamique de changement des modes de fonctionnement, en particulier
à l’hôpital.
Propos recueillis par Quentin Haroche