« Les déprogrammations sont aujourd’hui majoritairement liées au manque de personnel » [Interview du Pr Peyromaure]
Paris, le vendredi 4 février 2022 – Tous, quelle que soit
leur perception de l’épidémie, l’ont dit : la Covid n’a fait
qu’aggraver les maux de l’hôpital, en révélant en outre, au cours
du premier printemps, les ressources de «souplesse» insoupçonnées que révèlent les structures hospitalières et
qui pourraient être une clé pour répondre à certaines de ses
difficultés. Avec le Pr Michaël Peyromaure (chef du service
d’urologie, hôpital Cochin), après avoir évoqué la gestion de la
crise sanitaire, en particulier à l’hôpital, nous revenons sur les
évolutions gestionnaires récentes qui ont touché les établissements
de santé, évolutions qui conduisent aujourd’hui à leur
déshumanisation, à la «fuite» de nombreux
soignants et à l’affaiblissement de son rôle premier :
soigner.
JIM.fr - Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise
sanitaire à l’hôpital ? Regrettez-vous que l’on se soit parfois
davantage focalisé sur les déprogrammations liées à l’épidémie que
sur celles liées à la pénurie de personnels
?
Professeur Michaël Peyromaure - Durant les premiers
pics épidémiques, l’hôpital, qui était pourtant fragilisé depuis
longtemps, a paradoxalement bien fonctionné. Il a temporairement
retrouvé son agilité et sa raison d’être, à savoir la priorité
donnée aux malades. Les soignants ont été aidés par
l’administration, qui d’un seul coup a mis tous les moyens à leur
disposition. Au début, il a fallu déprogrammer beaucoup
d’interventions chirurgicales pour libérer du personnel compétent
en réanimation et dans les unités Covid. La situation actuelle est
très différente, car les services Covid ne sont plus saturés. Les
déprogrammations sont majoritairement liées au manque de personnel,
qui s’est beaucoup aggravé. Il est désagréable d’entendre certains
responsables publics prétendre, pour des raisons politiques, que
ces déprogrammations seraient encore liées à
l’épidémie.
Une entorse à nos valeurs fondamentales
JIM.fr - Que pensez-vous des mesures sanitaires
actuellement en vigueur et notamment du passe vaccinal ?
Pr Michaël Peyromaure - Le passe vaccinal, auquel je
n’ai jamais été favorable, a un avantage évident : il pousse
beaucoup de personnes à se faire vacciner. Or parmi elles,
certaines sont vulnérables en raison de leur âge ou de leurs
comorbidités (surpoids, diabète, cardiopathie…). Mais ce passe a
deux inconvénients majeurs. D’une part, il contrevient au code
élémentaire de déontologie en créant une discrimination pour
accéder à des activités courantes, discrimination basée sur un
critère sanitaire : être vacciné ou avoir eu la Covid. Dans un pays
qui prône en permanence l’inclusion (des personnes malades,
handicapées, précaires…), cette mesure est une entorse à nos
valeurs fondamentales. D’autre part, le passe a pour effet
collatéral de pousser à la vaccination une quantité phénoménale de
personnes qui n’en ont pas besoin, à savoir les jeunes en bonne
santé.
JIM.fr – Que pensez-vous du dépistage massif (en
particulier à l’école) et de la volonté du gouvernement d’augmenter
la vaccination des enfants ?
Pr Michaël Peyromaure - Le dépistage des enfants, le
port du masque à l’école et la vaccination de masse dans cette
tranche d’âge sont pour moi inutiles, et même potentiellement
dangereux. Inutiles, parce que chez les plus jeunes les formes
graves de Covid sont exceptionnelles. Il y a moins d’enfants qui
sont décédés de la Covid que d’enfants décédés de la grippe ou de
gastro-entérites, et la plupart d’entre eux souffraient de
pathologies associées. Le port du masque à l’école est une forme de
maltraitance : il induit des difficultés de concentration,
d’apprentissage, et certains retards dans l’acquisition du
langage.
Vis-à-vis des enfants : des mesures inutiles, voire
contre-productives
Quant à la vaccination des enfants, je suis surpris que l’on
fasse preuve d’aussi peu de prudence. Personne ne peut assurer
qu’il n’y aura pas d’effets secondaires à moyen et long terme, même
si pour l’instant rien ne le laisse croire. Comme pour tout acte
médical, il faut évaluer le rapport bénéfice-risque et proposer le
juste soin à la bonne personne. Pour les enfants avec des
vulnérabilités, ou ceux dont les parents sont demandeurs, le vaccin
doit être disponible. Mais la vaccination chez tous les jeunes n’a
aucun sens, et pourrait même s’avérer contre-productive. En effet,
certains spécialistes considèrent que vacciner massivement en
période épidémique exerce une « pression de sélection » qui
favoriserait l’émergence de nouveaux variants résistants. Ainsi,
vacciner les enfants sans risque pourrait paradoxalement nuire aux
personnes âgées à risque, en les exposant à un variant résistant au
vaccin.
JIM.fr - Le poids des gestionnaires administratifs et de la
bureaucratie ont conduit selon vous aux difficultés actuelles de
l’hôpital ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre diagnostic
?
Pr Michaël Peyromaure - En vingt ans, l’administration
au sens large (HAS, ARS et directions hospitalières) s’est
infiltrée partout à l’hôpital, avec trois conséquences
majeures.
Redéployer l’argent là où il est nécessaire et utile
D’abord, un transfert progressif des moyens financiers vers la
technostructure au détriment des équipes soignantes. L’argent ne va
plus là où il devrait aller. Ensuite, un transfert du pouvoir
décisionnel des responsables médicaux vers les gestionnaires, avec
un impact évident sur la qualité des soins. On ne soigne plus selon
les besoins des patients, mais selon les règles fixées par des
bureaucrates. Enfin, une inertie et une complexification du
quotidien qui étouffent les projets médicaux et la motivation des
équipes. La fuite des chefs de service vers le privé est en grande
partie liée à ce dernier phénomène.
JIM.fr - Comment serait-il possible de lutter contre ce que
vous appelez la « déshumanisation » de l’hôpital ?
Pr Michaël Peyromaure - En remettant les soignants et
les patients au cœur du dispositif. Moins de normes et de
procédures absurdes, plus d’actions concrètes au bénéfice des
soins. Pour ce faire, il faut revenir à l’autonomie des services
comme cela existe dans certains pays. Chaque responsable médical
doit avoir son propre budget et en user comme il l’entend pour
recruter et s’équiper. Bien évidemment, cela suppose une
responsabilisation de tous. Les chefs de service devraient
régulièrement faire le bilan de leur action devant la communauté
hospitalière et se verraient octroyer leur budget en fonction de
leurs résultats : activité, innovation, qualité des
soins...Aujourd’hui, c’est l’administration qui gère à elle seule
toutes les questions financières. Cela nous oblige à sans cesse
quémander, y compris pour les besoins les plus élémentaires. Il
faut donc véritablement changer de modèle.
JIM.fr - Parmi les mesures que vous préconisez, figurent
par ailleurs la fin des 35 heures, la suppression des pôles et des
ARS ? Comment ces différentes dispositions ont-elles aggravé selon
vous la situation difficile de l’hôpital ? Par quoi pourraient être
remplacés les pôles actuels ?
Pr Michaël Peyromaure - Les 35 heures ont généré de la
pénurie de personnels, car l’hôpital doit assurer une permanence
des soins : il faut pour accueillir les patients et les surveiller
avoir des infirmières et des aides-soignantes 24h sur 24 et 7 jours
sur 7. Quand on réduit autant le temps de travail sans embaucher de
nouvelles recrues, on est finalement obligé de demander aux agents
présents de faire des heures supplémentaires pour pallier les
carences. Sans parler de l’effet psychologique des 35 heures, qui
ont aggravé la fonctionnarisation du système.
Tout simplement supprimer les pôles
Les pôles ont compliqué le fonctionnement en créant une couche
supplémentaire, parfaitement inutile pour les patients. Ils ont
aussi insufflé un esprit délétère en favorisant l’émergence d’une
nouvelle caste de médecins (les chefs de pôle), à mi-chemin entre
les soignants et l’administration. Il faut tout simplement
supprimer les pôles, et surtout ne pas les remplacer. Enfin, les
ARS ont pour objectif théorique de mieux répartir l’offre de soins
sur les territoires. En pratique, elles produisent des règles et
des restrictions supplémentaires. Au lieu d’exercer une action
facilitante, elles mettent des bâtons dans les roues aux acteurs de
terrain. Selon moi, les ARS constituent une nouvelle couche dont on
pourrait se passer, quitte à ce que l’Etat délègue certaines
missions aux Régions.
JIM.fr - Vous préconisez également une plus grande
participation économique des patients, pourquoi ? Comment
pensez-vous qu’une telle mesure pourrait-être acceptée ?
Considérez-vous que cette participation pourrait-être modulée en
fonction des revenus ?
Pr Michaël Peyromaure - Notre pays n’a plus
suffisamment de ressources pour offrir une médecine quasi-gratuite,
rénover ses hôpitaux, valoriser les soignants et retrouver sa place
dans la recherche médicale. Trop de patients en France n’avancent
aucun frais pour être soignés, ce qui génère chez eux et chez les
médecins des dérives coûteuses. Faire payer les patients,
uniquement pour les soins légers, permettrait de responsabiliser
tout le monde et de dégager des marges de manœuvre financières en
réduisant l’immense gabegie liée aux actes inutiles (ils
représenteraient 30 % du total des soins).
Aller au-delà des postures idéologiques
Cette mesure ne manquerait pas de choquer certains, parfois
d’ailleurs par pure posture, mais elle serait salutaire pour sauver
le système. En expliquant les choses avec pragmatisme, sans
idéologie, on peut réussir à faire passer des messages y compris
les plus difficiles. Les personnes à faibles revenus trouveront
toujours le moyen d’être soignées en France, pays généreux par
essence. Croyez-vous que beaucoup de médecins refuseraient de
prendre en charge les plus démunis ? Leur déontologie les en
empêcherait. Il faut cesser de croire que ce qui existe
naturellement chez les gens de terrain doit systématiquement être
repris au compte de l’Etat puis érigé en valeur suprême. L’Etat
doit demeurer un garde-fou en garantissant les soins lourds et
coûteux, mais n’a pas vocation à gérer tous les maux du
quotidien.
Propos recueillis le 3 février 2022 par Aurélie Haroche
Merci pour votre analyse partagée par d’autres confrères hospitaliers. Merci pour votre franchise également qui au risque de déplaire à certains (beaucoup) représente la réalité de terrain et le quotidien des soignants à défaut d’être politiquement correcte …
Philippe Garcia (pharmacien)
J'adhère ...
Le 05 février 2022
...aux propos du Dr Peyromaure. En tant qu'ancien chef de service, je confirme la nécessité de quémander, l'organisation absurde des protocoles, la perte de temps dans des réunions infructueuses face à une administration qui comptent à l'euro près. Alors que les discours de tous les directeurs sont toujours les mêmes sur la performance. Il me semble qu'il y a une volonté destructrice du bien qu'est l'hôpital public. J'ai démissionné après 50 ans de travail, avec des semaines qui parfois atteignaient 100 heures avec les gardes sur place, dégoûté par une administration tatillonne.
Pr André Muller
Interessant
Le 05 février 2022
OK pour la première partie d'analyse sur les pôles, les ARS, la gouvernance hospitalière, et d'ailleurs on a vu les capacités des hôpitaux à s'adapter et à innover en pleine panique pandémique quand on l'administration leur lâche la bride. Par contre erreur d'analyse en ce qui concerne les soins légers c'est à dire la médecine de vile ...je cite "Faire payer les patients, uniquement pour les soins légers, permettrait de responsabiliser tout le monde et de dégager des marges de manœuvre financières en réduisant l’immense gabegie liée aux actes inutiles (ils représenteraient 30 % du total des soins)".
Depuis quelques années les patients paient plus pour les soins légers et pour la part hôtelière de l'hôpital et on n'a rien vu en terme d'amélioration. Qui plus est, étant moi-même médecin à l'hôpital, il faut voir la gabegie d'examens complémentaires inutiles en lien avec la disparition du raisonnement clinique des médecins et de la pression médicolégale pour y trouver largement de quoi faire des économies. Quand aux actes inutiles en médecine de ville qui effectivement existent ils permettent pour une partie d'entre eux de faire du dépistage et de la prévention si tant est que les médecins s'y intéressent. Les soins ne sont légers que tant qu'on n' a rien dépisté et en médecine on ne trouve que ce qu'on cherche. Donc Professeur votre analyse reste très pertinente en ce qui concerne l'hôpital que vous connaissez bien mais en ce qui concerne les soins légers qui en fait sont des soins primaires, vous êtes loin de la réalité du terrain. Que 30% des actes de ville soient inutiles, sans aucun doute, mais je sais aussi que 30% des hospitalisations sont inutiles et c'est bien plus couteux. Donc donnons à la médecine ambulatoire les moyens de réaliser des soins primaires de qualité, de démédicaliser ce qui peut l'être et de prendre en charge à domicile des pathologies semi lourdes au lieu de tout diriger sur l'hôpital et alors on fera de véritables économies.