
En route vers l’A-normalité
Se tirer une balle dans le pied en fermant des lits
L’incurie gouvernementale et le conte de « l’argent magique »
Piégés ici, entre ces murs, par un système qui nous aliène
Professeur Laurent Thines
Professeur Laurent Thines
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Même s'il n'y a pas d'argent magique, de l'argent a été redéployé durant ces 25 dernières années, au détriment des soignants, vers une pléthore administrative stérile et qui a montré son pouvoir de nuisance dans la crise du Covid. Pour ne citer que ce que je connais : à quoi servent les 4 500 salariés de l'ARS Rhône-Alpes Auvergne ? Est-ce que 100 personnes, voire zéro, ne seraient pas suffisantes ? Quelles sont leurs grilles salariales ? Car il semble qu'à ce niveau il n'y ait pas de difficultés de recrutement... Depuis le "plan Juppé" les choses n'ont cessé de se dégrader, et ceci quelle que soit la tendance politique du gouvernement. On est simplement passé de la confiance dans la parole et le professionnalisme des soignants (certes faillible, mais seulement à la marge), à une société de surveillance qui nécessite une pléthore de personnel, compétent administrativement, mais totalement ignorant de ce qu'il cherche à évaluer. N'est-il pas temps de transformer ces emplois administratifs en emplois de personnes à tous les niveaux, sur le terrain, au contact et au service des réalités du terrain ?
Dr C Gintz
M le Professeur,
Je suis un MG de terrain exerçant dans un désert médical du Nord ou j’ai accepté l’inscription de 52 patients en 90 jours…. Je conjugue le drame que vous présentez avec celui que je vis au quotidien.
Soyez persuadé que notre problème est commun et résulte des choix politiques des dernières décennies sur lesquels nous n’avons que peu d’emprise…
Seule la convergence et l’union des demandes de réformes sanitaires peuvent faire bouger les conceptions monolithiques politiciennes.
La partie n’est pas gagnée en face de la logique entrepreneuriale de la gestion sanitaire actuelle. La réforme envisageable doit être fondamentale et c’est la raison pour laquelle elle n’a pas encore commencé.
Il nous faudrait un « Malraux » de la santé et ce n’est pas pour demain. Avec mes respects confraternels
Dr Varvenne, médecin généraliste
C’est tout à fait ça. Les PH sont les pions des EPIC. Terme qui n’est pas une manifestation de gloire : l’hôpital public est un établissement public, jusque là tout va bien, mais industriel et commercial, voilà la cause de son mal. Si c’était à recommencer, je ne referais pas.
Dr A Fourmaintraux
Hélas, tout ceci fut déjà dit il y a 20 ans par les praticiens hospitaliers des hôpitaux non CHU.
Mais à l’époque les grands ne se sentaient pas atteints, car encore loin du fléau mortel, tout à la gloire d’être des centres référents… pendant que la piétaille de province se confrontait à la montée des hordes technocratiques ARH puis ARS.
Que d’horreurs avons nous du entendre lors des restructurations qui étaient aussi parfois nécessaires : nous sommes partis, par dégoût ou du fait de l’âge, sans « héritiers », alors que là aussi les « résultats » étaient au rendez vous notamment en psychiatrie et en périnatalité par exemple.
Ces idéologies touchent maintenant les « fleurons » universitaires, bien isolés de leur réseau de province, et s’installent, avec les mêmes effets délétères, dans le champ médico-social qui est déjà vidé sur le plan médical.
Mais comme chacun ne voit que sa petite ou grande boutique, et ne considère l’autre que comme l’outil accessoire de sa propre performance, il y a fort à parier que cela continuera dans ce sens si nous ne faisons pas un effort de solidarité et de compréhension, déjà entre médecins et plus largement entre professionnels de santé (comme l’on dit maintenant, l’indifférenciation des fonctions caractérisant la méconnaissance et le mépris des personnes et des métiers).
NB et que dire de l’implication sociale et politique du patient consommateur formaté par nos idéologies de marché réductrices et d’immédiateté sans autre préoccupation qu’un souci de réalisation individuelle comme en atteste la redoutable abstention lors de toutes les processus électoraux.
Dr P Bourdon
Comment soutenir l'appel-découragé- aux français du Pr. Laurent Thines ? Ce n'est ni le 1er ni le dernier, formels sans aucune modification de la T2A ni de remise en cause des conséquences dans toutes les équipes de cette désorganisation.
Les réponses : entre autres, l'appel aux retraités-bénévoles par l'APHP. J'en fais partie à 74 ans bien que considérée comme trop âgée.
Courage à vous tous et toutes, la bataille sera longue.
Dr Sylvie Deplus, PASS HOTEL DIEU
Dommage, on aurait aimé qu'il se réveille plus tôt, sous Hollande par exemple. Cinq histoires de chasse puisées dans la France entière ne font pas un argument. Et la jalousie des carrières en point d'orgue du discours (ce qui est délectable quand on imagine le glorieux des manœuvres d'accession au poste de professeur même à Besançon). Sans cette indécrottable touche politique il aurait gagné en crédibilité.
Dr P Castaing
Professeur Laurent Thines,
Votre exposé de la situation est d'une précision et d'un réalisme terrifiant et désolant mais combien nécessaire et justifié !
Il faut absolument envoyer votre texte à tous les médias, journaux quotidiens, hebdos, mensuels, et autres, tels le Canard Enchaîné, Mediapart, enfin tous, y compris les chaînes TV, afin que votre analyse et votre constat soient relayés au maximum même si certains s'y refusent...
Merci à vous, et j'espère vraiment que vos informations seront exposées au plus grand nombre, car elles sont si clairement expliquées que tous pourront les comprendre, et peut-être les responsables politiques se sentiront-ils enfin obligés de prendre de vraies mesures pour commencer à apporter des réponses concrètes à ce scandale permanent...
B Margalef, IDE
Dans tous les hôpitaux publics de France, le constat est le même.
Les 35h puis la T2A ont cassé l'hôpital public. Et les directions sont responsables d'avoir suivi les restrictions budgétaires. Dans ma ville un grosse clinique privée est devenue une "machine de guerre" au détriment du public.
Tout cela était calculé, programmé. Tout donner au privé pour faire des économies... Les managers sont décidément des abrutis...
Pr A. Muller
Cette mise à mort des hôpitaux publics n'est pas un accident, elle est tout simplement voulue dans la logique d'une lente et inéluctable taylorisation de la médecine et de la mise en place d'une prise en charge "automatisée " des patients.
Dr B Nave
Moi, j'ai dit stop il y a 20 ans (ça sentait déjà le pourri !) en quittant le métier de soignant pour une conversion professionnelle !
F Faucher, IDE
Après un tel état des lieux je ne vois guère de proposition dans cette lettre malheureusement. Je suis aussi désabusé car, quand un médecin devient ministre, il se révèle incapable de changer en profondeur .
Sur Marseille les hôpitaux sont aussi en très mauvais état et les équipes à flux tendu ; en plus d'augmenter le personnel un énorme budget rénovation est nécessaire.
Dr J-M Duthoit
Hélas, tout ce qui est dit dans cette lettre n’est que la stricte vérité, ceux qui ont travaillé à l’hôpital le savent, et les français découvrent progressivement l’étendue du désastre quand eux, leur famille ou leurs amis deviennent patients et sont confrontés aux problèmes. La gestionnite à provoqué la chute des hôpitaux dans un abîme dont on ne voit plus la fin. Et rien n’indique le moindre changement de cap, on constate juste une dénonciation croissante des erreurs, attentes et défauts de prise en charge relayées par des médias préoccupés de faire un buzz, mais tout aussi ignorants des causes dramatiques et de l’ampleur du désastre.
Dr A Wilk
Analyse tellement juste! Quelle que soit la spécialité, le constat est le même. En tant que Gériatre, j'observe la même chose, des urgences jusqu’à l'EHPAD en passant par les services de court séjour, et ceux de réadaptation. S'ajoutent maintenant la difficulté à trouver des aides, des services et soignants à domicile, et de plus en plus souvent, de généralistes traitants : ils partent à la retraite ou épuisés, et il n'y a plus personne pour reprendre le flambeau ! Nous fûmes, dans un passé pas si lointain les champions de l'accès au soins : quelle chute !
Comment relever cela, moyens, organisation, reconnaissance...? qui n'enlèveront jamais l'amertume de tout ce qui aurait dû et n'a pas été fait : soins adaptés, donc bienveillants, et satisfaction des soignants d'avoir accompli la mission qu'ils ont choisie et pour laquelle ils ont été formés.
Dr S Dardalhon
Merci pour votre appel. Nous sommes tous d’accord pour votre constat. C’est l’ensemble de la médecine qui a été mis à mal.
Il ne faut pas oublier la chasse aux sorcières des médecins de ville accusés de trop soigner par la caisse d’assurance maladie, des infirmières qui se sont vues refuser le remboursement de leurs patients le premier septembre de l’année en cours, pareillement pour les kinésithérapeutes
Combien ont fermé leur cabinet, changé de profession ou quitté la France…
La mainmise de l’administration, les jugements par des professionnels qui ne sont jamais des gens de terrain en est la cause. Sans parler des employés de ministères dont la pensée et l’action ne sont jamais remises en cause et qui perdurent à tous les changements de politique.
Il est plus que temps qu’en médecine comme ailleurs la gouvernance revienne en majorité sinon au moins à moitié aux gens de terrain.
Dr M-L Sari-Leret
Les directeurs d’hôpitaux sont formés a l’école de santé publique de Rennes pour devenir des Terminators de l’hôpital. La volonté profonde des gouvernements successifs a été de privatiser la santé qui est un fardeau financier.
On va se retrouver dans une impasse complète : la financiarisation et l'actionnariat ont saisi l'opportunité en 2022 d'investir et de transformer en manne pour les actionnaires l'argent de la sécurité sociale. Sans hôpital on se fait opérer chez Ramsay santé (investisseurs saoudiens KKR) ou chez Vivalto (Blackrock) et autre requins traders. Tous ces établissements vont être gérés " à l’économie " bien sur... on aura peut-être des retombées style Orpea... Les gouvernants n'auraient peut-être pas du pousser aussi loin le schéma d'optimisation des dépenses. Essayons de rester sage et indépendants.
Dr I Herry
Chères Consœurs, chers Confrères,
Face au (début du) désastre, la colère, médicament naturel de la douleur, jaillit et se dirige bien naturellement vers « les responsables », ARS, directions, ministère, etc.
Mais comme vous le remarquez judicieusement, cette désagrégation du tissu hospitalier in toto n’est pas neuve et a été souvent mise en évidence, hurlée même par les soignants et leurs associations depuis plusieurs dizaines d’années. Les gouvernements, les conseils régionaux, les directions se sont succédés, tantôt de gauche, tantôt de droite, ont promis des solutions mais aucun d’entre eux n’en a trouvé. Indifférence, mépris, plan, agenda caché, etc ? Trop facile, me semble-t-il.
Car le mal ne se limite pas aux hôpitaux. Les « EHPADS » en souffrent aussi. Et bien d’autres sortes d’établissements. Que dire des « déserts médicaux » ? Des sociétés d’ambulances qui ne trouvent plus d’ambulanciers ? Du manque d’infirmières et d’infirmiers libéraux ?
De surcroît, ce genre de dégradation s’observe très parallèlement hors de l’Hexagone. Dans nombre de pays européens mais aussi en Amérique du Nord.
Exemple :
November 18, 2022 (Agence REUTERS)
« Canadian hospitals, strapped for staff, strain with sick children.
Hospitals across the country are reassigning staff to pediatric care and putting children in other parts of hospitals, from post-partum to adult wards, to grapple with the increased volume of young patients.
"Words like 'crisis,' 'historic,' 'unprecedented' have almost gone from signal to noise," said Ro-nald Cohn, chief executive officer of The Hospital for Sick Children in Toronto, the largest chil-dren's health centre in Canada. »
Je ne pense pas que ce soit uniquement un problème de rémunération ou d’organisation tant les « systèmes de santé » diffèrent dans tous ces pays, dans toutes ces professions. Ne faut-il pas alors se demander si ce n’est pas le rôle même de « soignant » qui rebute à présent ? N’y a-t-il pas un parallèle à faire avec ce qui arrive à nos écoles ? (Combien de classes sans enseignant ?)
Comme les rémunérations, le vocabulaire en témoigne. On ne parle plus d’un « maître d’école » mais d’un « prof » ou d’un « instit’ ». « Les toubibs » et « les blouses blanches » ont remplacé « les médecins ». Le problème n’est-il pas beaucoup plus profond, socio-philosophique ? Sinon, comment expliquer la profondeur du déclassement social de ces métiers ?
L’expression « trou de la sécu » n’indique-t-elle pas que la dispensation des soins est devenue une charge qu’il convient de limiter, une gêne, une source de désagréments voire de privations…
Ne faut-il pas y voir un effet pervers, un effet secondaire fâcheux de nos prétendus droits à la santé et droit à l’enseignement ? Les idéologues qui ont (généreusement) inventé ces droits se sont bien gardés d’en prévoir le financement et l’organisation. Était-ce « l’intendance suivra » ou bien « après nous les mouches » ?
Rien de tout cela ne pourra probablement être corrigé rapidement par quelque dirigeant que ce soit. Peut-être même jamais.
Et ce n’est hélas pas en exposant la misère de nos systèmes d’enseignement et de dispensation des soins qu’ils attireront nos jeunes (pas plus que la visite d’une prison puante et délabrée ne suscitera des vocations de gardiens…).
Alors ?
Dr C Kariger
l'euthanasie !
Dr H Baspeyre
Tout ce qui a été dit précédemment est vrai. Il y a 40 ans j'avais envoyé le même type de lettre au ministère. Mais dans les commentaires de mes collègues, je ne vois pas beaucoup de propositions. Tous est de la faute des politiques et de l'administration. Je ne vois jamais une remise an question personnelle ou d'auto critique. Nous devons être tous parfaits ! Par exemple il me semble que c'est le corps médical qui a demandé et obtenu des politiques le numerus clausus.
Je crains que les millions donnés aux hôpitaux ne changent rien à l'attractivité des hôpitaux pour les infirmières si on ne repense pas leur façon de travailler. Puisque la plupart des infirmières se plaignent : 1/ de ne plus avoir de contact avec les malades, 2/ de ne plus avoir de contact avec les médecins. Le salaire ne vient qu'en 3ème position.
Pour l'amélioration des soins et leur permanence, je ne vois pas d'amélioration avant plusieurs années car la seule variable d'ajustement actuelle est l'augmentation du temps de travail.
Dr M Besson-Léaud