Affaire Crysoula Zacharopoulou : les touchers vaginaux sont-ils vraiment des viols comme les autres ?

Paris, le samedi 25 juin 2022 - Dans certains établissements de santé et dans un nombre croissant de cabinets de gynécologie médicale, les touchers vaginaux qui avaient tendance à être quasiment systématiques ne le sont plus, même dans le cadre du suivi des grossesses (ce qui n’est pas sans étonner les moins jeunes de nos lecteurs !). Les touchers vaginaux sont fréquemment conditionnés aux résultats d’investigations préalables : interrogatoire de la patiente et échographie notamment. Quand ces étapes ne mettent pas en évidence de besoin réel de réaliser un examen vaginal, ce dernier n’est plus nécessairement mis en œuvre.

Par ailleurs, les conditions de l’examen se sont également modifiées. L’utilisation des étriers paraît notamment en recul. En outre, on privilégie pour la recherche de certaines infections vaginales les auto-prélèvements. Cette évolution est d’abord le fruit d’une réflexion sur la pertinence médicale de pratiques automatiques. Mais elle est également la conséquence de la prise en considération des récits de certaines femmes, qui ont témoigné de leur souffrance provoquée par des examens réalisés parfois sans ménagement et dont elles ne comprenaient pas toujours le sens et la portée (méconnaissant sans doute le fait que la douleur provoquée lors d’un toucher vaginal [le cri du Douglas !] ou rectal est en soit un signe utile recherché par le médecin en quête d’un diagnostic urgent). Quelques praticiens, tel le docteur Martin Winckler, ont accompagné ces patientes en choisissant de considérer que leur parole devait toujours être entendue, même quand semblait se dessiner un hiatus impossible à dépasser entre la nécessité de l’examen médical et le ressenti subjectif de certaines. Dans cette lignée, un collectif d’étudiants en médecine signait en décembre 2021 une tribune dénonçant la persistance de ce qui est souvent désormais appelé par certains violences obstétricales et gynécologiques.

Plaintes pour « viol » contre une femme médecin

Ce texte faisait notamment allusion au Pr Emile Daraï, médecin à l’hôpital Tenon, spécialiste de l’endométriose, accusé par plusieurs patientes de « viols ». Or, l’actualité fait écho à cette affaire avec la mise en cause d’une femme médecin ayant travaillé avec le professeur Daraï, le Dr Chrysoula Zacharopoulou. Cette dernière, également spécialiste de l’endométriose, a notamment remis à Emmanuel Macron un rapport sur cette pathologie, souvent associée à une longue errance diagnostique, qui a inspiré au Président de la République la trame d’un plan spécifiquement dédié à cette maladie. Nommée au sein du gouvernement d’Elisabeth Borne, secrétaire d'État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Chrysoula Zacharopoulou vient de faire l’objet de deux plaintes pour viol déposées au mois de mai. Les deux patientes qui ont témoigné à la radio (RTL) et à la télévision (Quotidien) évoquent un médecin désagréable, pratiquant un toucher vaginal et rectal sans recueil express du consentement et ne cachant pas une forte irritation face aux pleurs des patientes.

Quid des « vrais » viols ?

Le terme de « viol » s’agissant d’une femme suscite la circonspection. De fait, comme dans le cas du professeur Emile Daraï, les actes visés n’ont aucune connotation sexuelle. Cependant, s’agissant de pénétration (touchers vaginaux et rectaux) c’est, en se fondant sur le texte du code pénal, l’incrimination de « viol » qui est retenue par la justice. Pour certaines militantes féministes, le recours à ce terme est regrettable et celui de « violences gynécologiques » devrait lui être préféré (mais il ne s’agit pas d’une incrimination pénale reconnue). En effet, elles considèrent qu’il existe à travers une telle acception un risque que le combat et les souffrances des personnes ayant été victimes d’un acte sexuel non consenti soient mises au second plan. La juriste Christine Le Doaré, militante féministe s’indigne par exemple sur Twitter : « Qualifier un examen gynécologique de viol, déposer plainte sept ans après, quand la gynéco devient ministre, c'est décrédibiliser le crime de viol, nous prendre pour des cruches, attaquer le suivi de la santé des femmes ». De son côté, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) tout en se disant très attentif aux plaintes exprimées par les femmes (une charte sur le recueil du consentement a de fait été adoptée) se déclare « inquiet de l’usage actuel du mot viol pour qualifier des examens médicaux, notamment gynécologiques, réalisés sans la moindre intention sexuelle. Nous appelons les pouvoirs publics à ouvrir une réelle discussion à ce sujet entre magistrats, avocats, représentants des patientes, philosophes et médecins de notre spécialité, médecins généralistes mais aussi urologues, gastroentérologues, radiologues, chirurgiens, sages-femmes, toutes celles et ceux qui, dans l’intérêt des patientes, pratiquent des examens vaginaux ou rectaux. La loi définit la notion de viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », dans le but de protéger les personnes mais elle aboutit de plus en plus souvent à ce que les examens médicaux puissent être qualifiés de viol », écrit le CNGOF.

Le consentement bafoué

Pourtant, le recours au vocable de « viol » est revendiqué par des militantes qui dénoncent les violences obstétricales et gynécologiques. Ainsi, Martin Winckler argumentait il y a plusieurs années : « Dire que la maltraitance médicale n’est pas (comparable) à un viol, c’est établir une hiérarchie entre ce qui est « acceptable » ou ne l’est pas dans le comportement médical, en prenant le sexuel comme repère, alors que la violence qu’elle soit sexuelle ou non, est toujours de la violence ». Les deux éléments constitutifs d’un viol seraient réunis : la pénétration et surtout l’absence de consentement. Confirmant que ce deuxième point est ce qui justifie aux yeux de certains la qualification de viol, la sage-femme homme utilisant le pseudo « Le Passeur » sur twitter décrypte sans nuance : « C’est un principe fondateur : en médecine on peut faire plein de trucs bizarre, mais ce qui fait que c’est sans problème c’est d’expliquer avant, de demander l’autorisation et de vérifier le consentement et le confort pendant ». Or, ce qui est spécifiquement reproché aux deux praticiens de Tenon, homme et femme, c’est un défaut clair dans le recueil du consentement avant et pendant l’examen.

Où l’on reparle du patriarcat

Mais, s’interrogent certains observateurs : dans le cadre d’une consultation médicale, gynécologique qui plus est, quand une patiente s’installe dans les conditions d’être examinée, le consentement ne peut-il pas être « présumé » ? Ne serait-il pas même du « devoir » des médecins que de répondre à l’attente des patientes, qui semble découler de la demande de consultation, d’être examinées pour qu’un diagnostic puisse être établi et dans la mesure du possible un traitement mis en place ?

A ce que certains (probablement nombreux parmi nos lecteurs) considèrent comme des observations « de bon sens », les réponses sont multiples. D’abord, à l’instar de ce qui s’observe dans les rapports sexuels, à aucun moment le consentement ne peut être considéré comme pressenti : il doit toujours être explicite et régulièrement recueilli au cours de l’acte. Par ailleurs, le fait d’avoir besoin d’être soigné ne crée pas de blanc seing pour le soignant. Au contraire, il s’agit d’une situation de vulnérabilité qui semble imposer de façon plus stricte encore un consentement parfaitement éclairé. D’autres vont plus loin et jugent que ces observations sont le signe qu’un système « patriarchal » guide la relation entre les médecins et les femmes. Dans cette conception, les praticiens sont soupçonnés de minimiser les souffrances et les attentes de leurs patientes parce que femmes et de passer outre l’importance du consentement en considérant que leur expérience et leur connaissance sont des gages suffisants. L’idée que c’est un désir de domination homme/femme qui se joue est parfois si ancrée que la militante Marie-Hélène Lahaye est même allée jusqu’à s’interroger sur les motivations qui pousseraient les hommes à devenir gynécologue et sage-femme !

Non les médecins ne sont pas des violeurs comme les autres

Avec le cas de Chrysoula Zacharopoulou (qui ne devrait pas conduire à une mise en examen), on mesure les limites d’une telle grille de lecture (même si les femmes peuvent elles aussi être les auteurs de crimes sexistes). Il apparaît donc plutôt qu’il faille interroger plus largement la relation médecin/malade qui même en l’absence d’actes aussi intimes que les touchers vaginaux et rectaux est toujours un rapport inégal. La vulnérabilité des patients, parce que malades, parce qu’ignorants les mécanismes à l’origine des pathologies, peut en soi faciliter les « abus de pouvoir ». Ces derniers, qui restent rares, doivent évidemment être mis en évidence et dénoncés. Néanmoins, ces manquements parfois ressentis comme des « abus de pouvoir » sont loin d’être toujours « conscients ». Ce sont bien plus certainement le résultat de multiples phénomènes. D’abord, l’héritage de pratiques : d’ailleurs les étudiants auteurs de la tribune publiée en décembre 2021 soulignaient l’influence de « traditions » délétères transmises lors de leur formation. Ces gestes réalisés sans ménagement peuvent également trahir une gêne du praticien (gêne qui conduit à nier celle de la patiente), un besoin de rapidité (en raison d’une surcharge de travail), une concentration sur l’objet du diagnostic plutôt que sur le confort de la patiente ou un mécontentement passager et inhabituel (le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, a d’ailleurs souligné que le Dr Zacharopoulou n’avait jamais fait l’objet d’aucun signalement). Ces différents éléments permettent néanmoins d’observer ces actes d’une façon qui restreint la pertinence du terme de viol.

Est-ce que ça s’apprend ?

L’application d’un tel filtre n’empêche nullement de mettre en place les mesures qui permettront de limiter (sans éliminer complètement, les humains mêmes médecins restant des humains faillibles) le nombre de personnes se sentant démunies face à des examens qu’elles ont vécus avec brutalité. Ces mesures relèvent sans doute de l’éducation. Dans leur tribune, les étudiants insistaient : « Nous demandons plus de formations pour les étudiant·e·s mais aussi pour les médecins titulaires tenu·e·s de nous enseigner les notions de bientraitance, de consentement aux soins et de bonnes pratiques pour limiter les violences et les discriminations médicales (comme recommandé dans le rapport du Haut Conseil à l'Égalité datant de 2018). Pour cela des cours de sciences humaines et sociales, donnés par des enseignant·e·s-chercheur.euse·s du domaine et par des usager.e·s du système de soin, ainsi que des cours par des soignant·e·s d'autres fllières (par exemple : sage-femmes en gynecologie-obstétrique, kinésithérapeutes en médecine-physique et réadaptation…) sont indispensables pour sortir les étudiant·e·s et médecins de l'entre-soi du milieu médical ». On pourra bien sûr juger que l’humanité nécessaire pour comprendre que certains gestes peuvent être fortement appréhendés par des patients vulnérables ne devrait pas nécessiter de faire l’objet d’une « formation », notamment auprès de personnes se destinant à « prendre soin » des autres (et subsidiairement qu’il est contre-productif de décourager la lecture en utilisant l’écriture inclusive !).

Dérive politique

Parallèlement, comprendre sans nier la réalité d’actes regrettables (condamnables ?) que ces derniers ne peuvent être appréhendés comme des « viols » car ils sont très majoritairement dénués de la conscience de potentiellement nuire, c’est éviter une forme de dérive politique dans la dénonciation, dérive qui dessert sans doute la « cause ». Ainsi, beaucoup n’ont pas manqué de remarquer que les plaintes déposées contre Chrysoula Zacharopoulou concernent des « faits » remontant à six et sept ans… et que les victimes ont opportunément choisi la voie juridique au moment où le médecin devenait secrétaire d’Etat. Ce calendrier affaiblit inévitablement le message que ces dénonciations pourraient porter en les transformant en un tract politique opportuniste. Le résultat d’une telle manœuvre pourrait être non pas d’offrir l’occasion d’une réflexion sereine sur les relations médecin/malade et sur la nécessité d’en corriger les déséquilibres intrinsèques mais de créer chez les praticiens le sentiment d’un acharnement contre leur pratique. C’est en tout cas le sentiment de Lunise Marquis. Maire adjointe du 12ème arrondissement jusqu’en 2020, elle a été l’une des premières femmes à évoquer publiquement son endométriose et les longues années passées sans diagnostic. Elle a conduit de nombreuses actions pour « sortir » cette maladie de l’ombre. Pourtant, aujourd’hui, alors que la pathologie tend à être au cœur d’une mobilisation « politique » et face à la mise en cause de Chrysoula Zacharopoulou, elle déplore sur Twitter : « Quand je vois ce qui est en train de se passer, ce dévoiement total d’une cause, je suis (…) écœurée. Vous faites peur aux patientes. Vous remettez en cause la médecine. Il y a un mouvement puissant qui ne veut plus qu’il y ait d’examens cliniques en gynécologie. Ces personnes veulent revenir sur le code pénal (…). Réveillez vous ! Nous sommes là au cœur du séparatisme. De cette volonté de faire plaisir à des gourous sur les pratiques non médicales pour soi disant soigner. Les premières victimes seront les femmes. L’autre séparatisme, c’est commencer par refuser d’être auscultées par des hommes, puis on glisse en remarquant qu’existe l’imagerie, donc pas d’auscultations également par des femmes (…). Des pseudos féministes exultent, c’est leur moment. Elles sont là prétendument pour vous, qualifient un examen médical en viol, tordent le consentement dans tous les sens. Ces féministes là ne pensent qu’à elles (…). Elles utilisent vos souffrances, la perception que vous avez eu, la douleur et la solitude qu’amènent les maladies gynécologiques ». A la lueur de ce témoignage on perçoit que ce nous évoquions dans les premières lignes de cet article, soit la raréfaction des examens gynécologiques cliniques est peut-être également le résultat d’un désir des médecins de se protéger d’éventuelles mauvaises interprétations et plaintes, soit un mouvement potentiellement dommageable pour la qualité du suivi des femmes. Un mouvement que redoute clairement le CNGOF.

On pourra relire :

La tribune des étudiants : https://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/tribune-violences-medicales-des-etudiants-en-sante-denoncent-l-impunite-des-medecins_4884511.html

Le fil Twitter de Christine Le Doare : https://twitter.com/ChLeDoare

Le communiqué de presse du CNGOF : https://mhc-finnpartners.hosting.augure.com/Augure_FinnPartners/default.ashx?WCI=EmailViewer&id={ff4f20ad-4e4e-4d0e-8310-ee4865a8edcf}

Les notes de Martin Winckler (http://martinwinckler.com/spip.php?article1137), Cris et Chuchotements ( http://www.cris-et-chuchotements.net/article-j-ai-ete-reste-et-resterai-un-medecin-mal-adroit-mais-bien-traitant-122781455.html)

Le fil du Passeur, https://twitter.com/OrCrawn/status/1539881592977592322

Le fil de Lunise Marquis, https://twitter.com/Hyper_Calme/status/1540080645338193925

Léa Crébat

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (31)

  • Ecriture inclusive

    Le 25 juin 2022

    l’article est complet mais la partie en écriture inclusive est illisible…

    Dr Frédéric Fellous

  • Viol d'un enfant

    Le 25 juin 2022

    Petit, je faisais beaucoup d'angines.
    Le médecin me faisait ouvrir la bouche et y enfonçait un abaisse-langue. C'était très pénible, ça me donnait des haut-le-cœur.
    Cette pénétration buccale effectuée sans mon consentement, alors que j'étais mineur, comment la qualifier ?
    Je porterais bien plainte, mais le bourreau n'est plus de ce monde, et de toute façon il y a prescription.

    Dr Jean-Paul Huisman

  • De bonne nesure

    Le 25 juin 2022

    voilà qu'en termes galants les choses sont bien dites. Les buzz vindicatifs niveau zéro de réseaux sociaux prennent le pouvoir ? Mais leurs avocats ont-ils une déontologie digne de ce nom, et si oui a-t-elle une vie?

    Dr Dominique Alberti

Voir toutes les réactions (31)

Réagir à cet article