Affaire Lévothyrox : l’ANSM mis en examen pour tromperie !

Paris, le mardi 6 décembre 2022 – Un mois et demi après le laboratoire Merck, c’est au tour de l’ANSM d’être mis en examen pour tromperie dans l’affaire du Lévothyrox.

Un nouveau rebondissement dans l’interminable affaire du Lévothyrox. Un mois et demi après la mise en examen de la filiale française du laboratoire allemand Merck, qui produit et commercialise le Lévothyrox, c’est au tour de l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) d’être mis en examen dans cette affaire pour « tromperie ». L’information a été délivrée par l’ANSM elle-même, qui a publié un communiqué ce mardi dans lequel elle déclare qu’elle « apportera sa pleine contribution à la manifestation de la vérité mais conteste formellement les reproches formés à son encontre car aucune infraction pénale n’a été commise ».

Un probable effet nocebo


Pour tenter de comprendre les tenants et les aboutissements de l’affaire, il faut remonter en mars 2017, lorsque le laboratoire Merck, à la demande expresse de l’ANSM, change la formule du Lévothyrox, prescrit dans l’hypothyroïdie et pris quotidiennement par 2,5 millions de personnes en France. Le principe actif du médicament, la lévothyroxine, n’est pas affecté par ce changement de formule et seul l’un des excipients est modifié (le lactose est remplacé par du mannitol) afin d’améliorer la stabilité du médicament.

Dans les mois qui suivent, plus de 30 000 patients se plaignent de divers effets secondaires subjectifs (maux de tête, vertiges, problèmes digestifs, chute de cheveux…). Bien que le laboratoire Merck ait immédiatement affirmé que la modification de l’excipient « ne change ni l’efficacité ni le profil du médicament », les autorités sanitaires décident d’importer de nouveau l’ancienne formule du Lévothyrox, sous le nom d’Euthyrox, afin de laisser le choix aux patients (une importation qui doit en principe prendre fin prochainement).

En juin 2019, une étude menée par l’ANSM sur plus de 2 millions de patients conclut qu’il n’existe « aucun argument en faveur d’une toxicité propre de la nouvelle formule du Lévothyrox ». Sans le dire explicitement, les experts pointent du doigt un possible effet nocebo pour expliquer la survenue de ces effets secondaires et concluent qu’il s’agissait plus d’un problème de communication que de sécurité du médicament.

Le laboratoire Merck condamné au civil en 2020


Une explication qui n’a pas convaincu certaines des « victimes » supposées de ces effets secondaires, qui se sont engagées dans une véritable croisade contre le laboratoire Merck et l’ANSM, engageant des procédures judiciaires civiles, administratives et pénales. Sur le plan civil, 3 329 patients ont obtenu en juin 2020 la condamnation du laboratoire Merck par la cour d’appel de Lyon à leur verser 1 000 euros chacun pour préjudice moral, condamnation confirmée par la Cour de Cassation en mars dernier qui a jugé que « lorsque la composition d’un médicament change et que cette évolution de formule n’est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l’exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d’information ».

Sur le plan administratif, l’action collective lancée par des utilisateurs du Levothyrox en septembre 2021 contre l’ANSM pour « défaut de vigilance et d’anticipation » est toujours pendante devant le tribunal administratif de Montreuil.

Enfin, des utilisateurs de Lévothyrox ont également déposé en 2018 une plainte pénale pour tromperie aggravée et homicide et blessures involontaires, procédure qui a donc abouti quatre ans plus tard à la mise en examen du laboratoire Merck le 18 octobre dernier puis de l’ANSM ce lundi par un juge d’instruction du tribunal correctionnel de Marseille. Le fait que ce soit le chef de tromperie qui était retenu contre les deux mis en cause semble montrer que c’est bien un défaut d’information qui leur est reproché et non pas les supposés effets nocifs du changement de formule.

Quentin Haroche

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Vos réactions (3)

  • Pourquoi une "nouvelle formule" ?

    Le 06 décembre 2022

    Bonjour, je cite:
    "...seul l’un des excipients est modifié (le lactose est remplacé par du mannitol) afin d’améliorer la stabilité du médicament...".
    Il me semble avoir lu et entendu, à l'époque, de toutes parts, que le lactose a été remplacé, dans la formule du Lévothyrox, car certaines personnes y sont allergiques.
    Je me suis d'ailleurs posé la question, pourquoi l'ANSM n'a-t-elle pas demandé au laboratoire de produire, spécifiquement pour ces personnes allergiques, un Lévothyrox sans lactose. Et laissé aux autres patients leur formule habituelle.
    Au lieu de cela, l'ANSM a demandé un changement de formule pour tous, y compris l'immense majorité des patients pour lesquels l'ancienne formule fonctionnait bien...

    P Ducretet, MKDE

  • Ne pas plaisanter avec les biotechs !

    Le 07 décembre 2022

    Nous savons que la biodisponibilité de la plupart (de tous potentiellement ?) des médicaments à base de molécules complexes, a fortiori d'origine hormonale (insuline, thyroxine...), est susceptible d'être significativement altérée (ici un véritable effet nocebo de très grande ampleur) dès la moindre modification de procédé. On a ainsi déjà constaté de nettes variations de biodisponibilité suite à un simple changement de matériel de fabrication, pourtant réputé 'équivalent' à l'originel (cet équivalent avec lequel les validations techniques de conformité avaient été évidemment correctement réalisées) ou encore de technicien opérateur !
    Vouloir améliorer la stabilité du Lévothyrox est évidemment louable, le mannitol est un polyol de substitution au lactose, non allergène, chez les sujets présentant en effet une allergie au lactose.
    Toutefois, avoir imposé à Merck cette substitution sans exiger au préalable de pratiquer sur un groupe témoin un minimum de vérification de bio-équivalence avec la formulation originelle constitue à mon sens une grave erreur d'appréciation, s'agissant, on le répète, d'une molécule hormonale et non d'un simple actif de synthèse type aspirine !
    D'ailleurs nous savons qu'il est extrêmement périlleux (voire risqué) de vouloir substituer à un patient 'équilibré' ce genre de spécialité biotech par un générique soi-disant moins onéreux... et même bien évidemment si la composition mentionnée est 'identique' ! Si j'étais officinal, je ne m'amuserais pas à ce genre de manip, sans autorisation écrite du prescripteur.

    ACR, pharmacien industriel

  • A cause du lactose ?

    Le 07 décembre 2022

    Non, l'allergie au lactose n'existe pas.
    L'intolérance au lactose alimentaire ne se manifeste pas (sauf exceptionnel déficit génétique ou pathologie intestinale aiguë temporaire) en deçà d'un seuil qui en général autorise de consommer un peu de produits laitiers fermentés et n'empêche en pratique que la consommation de lait. En tous cas, aucun excipient de lactose ne peut engendrer de symptômes.
    C'est bien la stabilité de la levothyroxine dans le temps, et la prédictibilité de sa biodisponibilité qui posaient problème. Il s'avère que chez nombre de sujets supplémentés à faible dose le médicament n'avait que peu d'activité - et que certain(e)s n'en avaient nul besoin.
    Le changement de formulation a rendu le produit plus efficace (et plus maniable). Il est bien regrettable que ses prescripteurs et ses dispensateurs n'en aient tenu aucun compte. Certains ont même participé activement à la médiatisation d'une vague d'effet nocebo.

    Dr Pierre Rimbaud

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