Amputée et condamnée à payer un million d’euros : double peine pour Laura Nataf

Paris, le lundi 13 mars 2023 – Greffée des deux bras aux Etats-Unis en 2016, la jeune femme va devoir supporter seule la facture de près d’un million d’euros.

« Déçue ? Le mot est faible, je suis sous le choc, j’en perds mes mots, je trouve ça dégueulasse ». Amputée des quatre membres en 2007 à l’âge de 19 ans à la suite d’un choc septique gynécologique, Laura Nataf a connu des épreuves particulièrement douloureuses dans sa vie qui lui permettent sans doute de relativiser sa situation. Malgré tout, le coup reste rude : ce vendredi, la cour d’appel de Paris a décidé qu’elle devrait supporter seule le coût de l’opération de greffe des deux bras qu’elle a subie aux Etats-Unis en 2016, soit 990 000 euros. « Derrière la grosse machine de l’Assurance maladie, il n’y avait pas d’humanité, la justice vient de montrer qu’elle n’en a pas non plus » commente la jeune femme, désormais âgée de 35 ans et mère d’une petite fille de un an.

Cette décision de justice marque peut être la fin d’une longue épreuve qui a donc commencé en 2007, quand, après trois semaines de coma, Laura Nataf s’est réveillée sans jambes et sans avant-bras. Fini le rêve de la jeune femme, étudiante à la prestigieuse école hôtelière de Lausanne, de devenir cuisinière d’un grand restaurant. Si ses prothèses lui permettent de retrouver un semblant de vie normale, la jeune femme désire rapidement pouvoir bénéficier d’une greffe de bras, notamment dans l’espoir d’avoir plus tard un enfant.

La France première en chirurgie, pas en administratif

Dans son malheur, Laura Nataf croit alors avoir la chance de vivre en France, un pays pionnier dans la greffe de membres. A Lyon, le Pr Jean-Michel Dubernard (décédé en 2021) est le premier chirurgien au monde à avoir réalisé une greffe bilatérale des avant-bras en 2000 tandis qu’à Paris, le Pr Laurent Lantieri a réussi en 2009 une greffe de visage et de mains. C’est vers ce dernier que Laura Nataf se tourne. En 2013, elle est inscrite sur la liste nationale d’attente de greffe (LNA).

Mais si la France est en pointe en matière de chirurgie, elle ne l’est malheureusement pas en termes d’efficacité administrative. La greffe de bras reste une opération expérimentale qui nécessite de nombreuses autorisations. Pendant trois ans, Laura Nataf n’a plus aucune nouvelle des autorités, jusqu’à ce qu’elle reçoive en 2016 un courrier laconique de l’Assurance Maladie lui indiquant qu’elle a été radiée de la LNA, sans autre explication. Grâce au Pr Lantieri, elle prend alors contact avec un chirurgien américain, le Pr Scott Levin. De l’autre côté de l’Atlantique, les choses vont beaucoup plus vite et le 22 août 2016, après huit heures d’opération, Laura Nataf a de nouveau des bras. « Ces mains m’ont permis de retrouver mon entièreté, mon indépendance, ma liberté » explique la patiente.

Malheureusement pour Laura Nataf, l’histoire ne se termine pas par ce « happy end » américain. Elle reçoit rapidement la facture de l’opération, particulièrement salée : l’hôpital de Philadelphie lui réclame 990 000 dollars. Commence alors un long combat pour obtenir la prise en charge de l’opération par l’Assurance Maladie. La loi française prévoit certes que la CNAM doit rembourser les soins dispensés à l’étranger lorsque le patient « ne pouvait recevoir en France les soins appropriés à son état ».

Près d’un million d’euros à payer

Là réside toute la question de l’affaire, celle de savoir si oui ou non Laura Nataf aurait pu bénéficier de la même opération en France. Pour l’avocate de la jeune femme, Maître Valérie Sellam-Benisty, « en août 2016, la France était dans l’incapacité de proposer à Laura une telle opération, faute de protocole, faute de cadre juridique, de subventions votées et de donneurs ». L’avocate dénonce également l’attitude de la CNAM sur la forme et sa lettre de 2016 « sans l’avis écrit du médecin conseil pourtant obligatoire, non recommandée, non signée, dépourvue des mentions obligatoires ». Mais l’Assurance Maladie répond qu’en 2016 il restait encore une place pour une double greffe de bras dans le programme lyonnais du Pr Dubernard et que Laura Nataf n’avait donc pas à se rendre aux Etats-Unis.

Le 12 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Paris donne partiellement raison à la jeune femme et condamne la CPAM de Paris à lui verser 664 261,70 euros, soit environ les deux tiers du coût de l’opération. Mais ce vendredi, la cour d’appel de Paris a infirmé cette décision et s’est rangée à l’opinion de l’Assurance Maladie : Laura Nataf aurait pu se faire opérer en France et il n’y a donc pas lieu de prendre en charge son opération. « Je ne sais pas ce qu’il va se passer, au fond de moi je n’ai pas envie d’arrêter là » réagit la jeune mère, qui pourrait donc se pourvoir en cassation.

Le malheur de Laura aura eu au moins un mérite, celui de mettre en lumière les nombreuses lourdeurs administratives qui freinent les avancées cliniques en France. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 a ainsi considérablement simplifié le protocole d’autorisation des greffes de mains. En janvier 2021, l’équipe du Pr Dubernard a pu réaliser une nouvelle greffe bilatérale des bras.

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • Je ne comprends pas

    Le 15 mars 2023

    Peut-on faire rembourser des soins ailleurs qu'en France, sans une entente préalable ?

    Dr P Rimbaud

  • L Lantieri

    Le 20 mars 2023

    C’est L Lantieri qui a conseillé d’aller aux USA ? Au vu de sa notoriété ne pouvait-t’il pas intervenir dans cette affaire ?
    Je serais curieux de connaître son discours auprès de la patiente concernant la prise en charge.
    D’ailleurs pourquoi sa photo dans cet article ?
    Pourquoi le choix du Pr Dubernard n’a pas été retenu ?
    C’est difficile à comprendre le refus de la CNAM mais accepter c’est faire jurisprudence et porte ouverte. Par contre l’État aurait pu faire un geste à titre humanitaire et pourquoi pas une cagnotte nationale mais nous ne connaissons pas tout l’historique de cette histoire.

    Dr B Prevost

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