Antilles : la misère n’est pas moins pénible au soleil

Pointe-à-Pitre, le vendredi 24 mars 2023 – Un rapport du Défenseur des droits pointe du doigt les inégalités de santé dont souffrent les Antilles françaises.

Quand on évoque les déserts médicaux et les inégalités territoriales en santé, on songe souvent à un village isolé du fin fond de la Creuse. Mais c’est en réalité plus sous les cocotiers des Antilles que dans les collines du Cantal que ces inégalités sanitaires se font le plus ressentir et qu’il est le plus difficile de se faire soigner et de vivre dans un environnement sain. Un rapport du Défenseur des droits sur l’accès aux services publics en Guadeloupe et en Martinique, fruit d’une enquête sur place menée en fin d’année dernière et publiée ce lundi, pointe du doigt ces nombreuses sources d’inégalités sanitaires entre l’outre-mer et la métropole.

Premier problème majeur que souligne la Défenseure des droits Claire Hédon et ses équipes, celui de l’accès à l’eau potable. En Guadeloupe, « le réseau d’eau potable comporte des infrastructures très dégradées, ce qui provoque régulièrement des fuites massives par rupture de canalisation » écrivent les auteurs du rapport : seulement 39 % de l’eau mise en circulation arrive dans les robinets des guadeloupéens. « Le réseau n’a été ni entretenu, ni renouvelé depuis des années, avec beaucoup d’équipement obsolètes en particulier de régulation et de traitement » expliquait déjà en 2015 un rapport de l’inspection générale de l’administration. Depuis plusieurs années, certaines communes de Guadeloupe sont approvisionnées en eau de manière intermittente, avec des coupures fréquentes entre 21h et 6h.

Les Antilles manquent d’eau et de médecins

Au-delà de la question de la distribution de l’eau, c’est également celle de son assainissement qui pose problème. « En Guadeloupe, quand l’eau arrive au robinet, des contaminations sont fréquemment constatées » peut-on lire dans le rapport du Défenseur des droits. L’analyse de la qualité de l’eau prend du temps, notamment quand les prélèvements doivent être envoyés en métropole et les habitants ne sont parfois prévenus que très tardivement que l’eau qu’ils boivent est impropre à la consommation.

Le rapport se concentre ensuite sur la question de l’accès aux soins dans les Antilles, qui sont incontestablement un désert médical : la Guadeloupe compte ainsi 87 médecins pour 100 000 habitants, contre 99 en métropole. Le tableau dressé par la Défenseure des droits sur la question n’est gère réjouissant : « les centres hospitaliers des deux îles sont confrontés à une importante pénurie médicale, particulièrement dans certaines spécialités, telles que l’anesthésie, la réanimation, les urgences et la radiologie, ce qui ne leur permet plus de réaliser certaines interventions chirurgicales lourdes, souvent délocalisées en métropole ». Les auteurs du rapport notent également que la population des généralistes est vieillissante et que le caractère insulaire aggrave les conséquences de la désertification médicale : en l’absence de médecin, impossible d’aller dans le département voisin pour en trouver un comme en métropole.

Dans ces conditions, nombreux sont les Antillais qui « éprouvent de grandes difficultés à organiser leurs parcours de soins dans de bonnes conditions, entrainant des situations de renoncement aux soins ou des retards de prise en charge » commente Claire Hédon. L’ancienne journaliste appelle à mener des réflexions pour améliorer les conditions de travail dans les Antilles pour y attirer des médecins mais également à revoir l’offre de formation, en augmentant le nombre de stages d’internes dans les îles et en renforçant l’encadrement des étudiants en santé.

Un contexte social tendu marqué par la défiance

A ces problématiques de pénurie médicale, qui ne sont pas propres aux Antilles, s’ajoutent un contexte social particulièrement défavorable. 34 % des Guadeloupéens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 12 % sont considérés comme étant en grande pauvreté, ce qui favorise le renoncement aux soins. De plus, les Antilles connaissent un nombre important de personnes illettrées ou ne parlant que le créole, ce qui les éloigne d’autant plus du système de santé. Enfin, les Antilles sont marquées par un contexte de forte défiance vis-à-vis des autorités sanitaires, nourrie par le scandale de la chlordécone, ce pesticide massivement utilisé dans les bananeraies des îles dans les années 1970 et 1980 et qui a provoqué une explosion des cas de cancer de la prostate. Cette défiance s’est notamment exprimée à travers le fort rejet de la vaccination contre la Covid-19 en 2021.

Le témoignage d’un psychiatre exerçant en Guadeloupe dans un établissement médicosocial pour enfants handicapés, contenu dans le rapport, illustre bien comment ces différentes difficultés se cumulent, dégradant la situation sanitaire sur l’île. « A la suite des actions conduites en opposition à l’obligation vaccinale, l’établissement a été fermé, car inaccessible, de novembre 2021 à fin juin 2022. Les enfants ont été pris en charge de manière très partielle. En septembre, l’établissement a été à nouveau fermé et la prise en charge largement affectée par la tempête Fiona, par plusieurs coupures d’eau, par une intrusion syndicale qui a duré plusieurs jours et par une nouvelle période de barrage complet de dix jours en novembre. On ignore tout de l’avenir de l’établissement, de ses employés et de l’avenir des enfants. C’est une régression catastrophique pour la Guadeloupe et sa population touchée par le handicap ».

Grégoire Griffard

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Vos réactions (1)

  • Actualisation de la prise en charge en MAS aux Antilles

    Le 26 mars 2023

    Suite à une information donnée par Charles M, ancien directeur de la MAS et Ehpad situés sur Marie Galante, tous les résidents sur la Grande île et Marie Galante sont à présent réintégrés en raison de la reprise d'activité autorisée pour les soignants non-vaccinés, décision de bon sens en ce qui les concerne. Leur principal soucis est la privation quotidienne concernant la distribution de l'eau en raison de la sècheresse qui persiste et l'arrivée massive des algues sargasses responsable de difficultés d'accès pour les bateaux de ravitaillement dans les ports de Marie Galante et de la Désirade.

    Dr P Mongeard

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