
E. CINOTTI, B. LABEILLE, F. CAMBAZARD, J.-L. PERROT,
CHU de Saint-Etienne
La kératose actinique (KA) est une lésion intra-épidermique
caractérisée par une prolifération et une différenciation anormale
des kératinocytes, qui se développe sur la peau photo-exposée. Elle
est considérée comme une lésion précancéreuse ou carcinome in situ,
les deux principales hypothèses actuelles, avec un risque
d’évolution en carcinome épidermoïde infiltrant. La dermatoscopie
des KA non pigmentées du visage est caractéristique et montre un
patron « en fraise » constitué par un pseudo-réseau érythémateux
autour des orifices pileux dilatés. Le diagnostic dermatoscopique
des KA pigmentées est plus difficile ; la microscopie confocale par
réflectance (MCR), technique d’imagerie émergente, non invasive,
peut permettre de différencier ces lésions du lentigo malin.
Au-delà du diagnostic, la MCR est aussi utile pour le suivi des
traitements de la KA.
Aspects cliniques de la kératose actinique
La kératose actinique (KA) est une lésion intra-épidermique caractérisée par une prolifération et une différenciation anormale des kératinocytes, qui se développe sur la peau photo-exposée. Cliniquement, elle se présente comme une macule, une papule ou une plaque rouge avec squames plus ou moins épaisses (figure 1). Elle est considérée comme une lésion précancéreuse ou un carcinome in situ selon les deux principales hypothèses actuelles. Le risque d’évolution en carcinome épidermoïde infiltrant pour chaque lésion serait variable de 0,01 % à 20 %.
Aspects dermatoscopiques
La dermatoscopie a montré une sensibilité de 98,7 % et une spécificité de 95 % pour le diagnostic de KA dans une étude sur 179 lésions cutanées cliniquement évocatrices de KA (1).
• La KA du visage se caractérise par le patron « en fraise » (« strawberry pattern ») constitué par un pseudo-réseau érythémateux autour des orifices pileux qui apparaissent dilatés (figure 2).
Ce patron est présent chez 70 % des KA et moins de 10 % des carcinomes épidermoïdes (2). En plus d’être dilatés, les orifices des follicules pileux peuvent présenter du matériel kératosique à l’intérieur (« keratotic plugs ») et peuvent être entourés par un halo blanchâtre qui leur confère un aspect en cible (« targetoid appearance »). Des zones homogènes blanches-jaunâtres, qui correspondent à la présence de squames et croûtes superficielles, sont aussi présentes (figure 3). Un signe qui a été récemment décrit est la présence des « rosettes » : quatre points blancs brillants localisés dans les orifices pilaires, visibles seulement par lumière polarisée. Ce signe serait présent dans la moitié des KA, mais n’est pas spécifique des KA car il peut être rencontré dans la peau héliodermique et dans d’autres tumeurs telles que le carcinome épidermoïde, le carcinome basocellulaire, le mélanome et les kératoses séborrhéiques (3,4).
Les KA pigmentées sont plus difficiles à diagnostiquer car elles peuvent simuler le lentigo malin. Elles ont les caractéristiques des KA non pigmentées et présentent en plus des points et des globules marrons et/ou gris autour des follicules pileux (figure 4) qui peuvent former des anneaux (structures granulaires annulaires et pseudoréseau).
Le pseudo-réseau peut être très caractéristique avec un aspect polygonal et interrompu (« broken-up pigmented network ») (figure 5). La présence de squames, follicules pileux très bien individualisés (dilatés) et des lésions multiples sont des éléments qui peuvent aider le diagnostic différentiel avec le lentigo malin. De plus, la pigmentation devrait se localiser autour et non pas à l’intérieur des follicules pileux dans les KA pigmentées.
Cependant, en pratique la distinction avec le lentigo malin reste difficile et plusieurs études ont mis en évidence que tous les critères dermatoscopiques du lentigo malin peuvent être présents dans la KA pigmentée (5,6). En particulier la couleur grise et les cercles gris, qui initialement étaient considérés spécifiques du lentigo malin, peuvent être trouvés respectivement dans 50 % et 30 % des KA pigmentées (6). Ces aspects sont encore plus importants si nous considérons des personnes à phototype foncé comme démontré par une étude turque qui a trouvé des points gris dans 70 % des KA pigmentées (7). Un signe qui a été récemment décrit dans les KA pigmentées est la présence du « inner gray halo » : un halo homogène gris ou beige qui entoure les orifices folliculaires et forme un anneau interne aux mailles brunes du pseudo-réseau (8).
• La majorité des études dermatoscopiques porte seulement sur les KA du visage et peu d’informations sont disponibles sur les critères dermatoscopiques des KA du reste du corps. Les KA en dehors du visage ne présentent pas le patron en fraise, mais un fond érythémateux avec des zones homogènes blanchesjaunâtres et des vaisseaux linéaires et ponctiformes. Ce dernier aspect peut poser des problèmes de différentiation avec la maladie de Bowen.
• Un classement dermatoscopique des KA du visage a été
aussi proposé en parallèle du classement clinique et histologique.
Les KA de grade I auraient un aspect en pseudo
réseau érythémateux, les KA de grade II un aspect en fraise
(pseudo- réseau érythémateux autour des orifices des
follicules
pileux dilatés) et les KA de grade III des zones homogènes blanches
et jaunâtres (9).
• Il existe aussi des critères dermatoscopiques pour caractériser la progression des KA en carcinomes épidermoïdes (2). Les carcinomes épidermoïdes sont caractérisés par une néoangiogenèse progressive avec des vaisseaux en points et en glomérule dans les formes in situ(et dans la maladie de Bowen), et en épingle et linéaires irréguliers plutôt périphériques dans les formes invasives et dans les kératoacanthomes. La composante kératosique augmente avec la progression de la tumeur et les structures kératosiques se mélangent pour former des zones homogènes opaques blanches et jaunâtres convergeant au centre de la lésion. La croissance horizontale du carcinome épidermoïde est caractérisée par le « red starburst » : des lignes rouges homogènes ou des vaisseaux en épingle disposés radialement qui entourent un centre où sont présentes des squames blanches et jaunes. La progression verticale est caractérisée par des micro-ulcérations qui vont former une ulcération centrale. Dans les formes moins différenciées du carcinome épidermoïde, la composante kératosique diminue pour laisser la place à la composante vasculaire (vaisseaux polymorphes et saignement). Dans cette phase, les lésions apparaissent plutôt rouges que blanches.
Aspects en microscopie confocale par réflectance de la kératose actinique
La microscopie confocale par réflectance (MCR) est une technique d’imagerie cutanée qui permet l’étude de la partie superficielle de la peau, particulièrement adaptée pour la KA qui correspond à une lésion intra-épidermique. La KA est caractérisée(10,11) :
– au niveau de la couche cornée, par la présence d’hyperkératose, parakératose, séparation des cornéocytes (figure 6)et souvent impétiginisation ;
– au niveau de la couche granuleuse et épineuse, par des kératinocytes atypiques polymorphes (figure 6) avec perte focale ou totale du patron de l’épiderme normale en « nid d’abeille » et désordre architectural ;
– au niveau du derme par des vaisseaux dilatés. Les kératinocytes peuvent présenter plusieurs nucleus et peuvent avoir un aspect en cible avec un centre brillant et un halo périphérique sombre ou avec un centre sombre entouré par une couronne hyper-reflétante et un halo périphérique sombre. Des cellules inflammatoires (exocytose) et de la spongieuse peuvent être présentes dans l’épiderme. Fréquemment, il est aussi possible de trouver des fibres élastiques brillantes ondulées bien visibles dans le derme superficiel, caractéristiques de l’élastose solaire.
Le désordre architectural de la couche granuleuse, en combinaison avec la prolifération de kératinocytes atypiques dans le derme, permet de différencier la KA du carcinome épidermoïde. Cependant, il peut être difficile de distinguer une KA de grade III (avec implication de la totalité de l’épaisseur de l’épiderme) d’un carcinome épidermoïde in situ. De même, l’observation de l’infiltration dermique du carcinome épidermoïde peut être entravée par la présence d’une importante composante kératosique sur la surface de la lésion qui limite la profondeur d’observation en MCR. Dans notre expérience, la MCR est plus utile pour différencier les KA des carcinomes basocellulaires superficiels et du mélanome amélanotique plutôt que du carcinome épidermoïde, car ces tumeurs présentent des caractéristiques très différentes. De plus, la MCR est particulièrement utile pour différencier la KA pigmentée du lentigo malin, situation qui reste très difficile pour le dermatoscopiste. Le lentigo malin se caractérise par des grosses cellules hyper-reflétantes (brillantes) de plus de 20 m de diamètre à la jonction dermo-épidermique et dans les assises suprabasales (cellules pagétoïdes) correspondant aux mélanocytes tumoraux. La KA peut être différenciée du lentigo malin car elle ne présente pas ces cellules, mais il faut savoir qu’il est possible d’observer de nombreuses cellules dendritiques hyper-reflétantes qui peuvent être confondues avec des mélanocytes tumoraux et donc qu’il faut rester strict sur les critères de lentigo malin. Ces cellules dendritiques correspondent aux cellules de Langerhans activées et peuvent être différenciées des mélanocytes tumoraux par leur petite taille et par le fait qu’elles sont homogènes et n’ont pas de disposition périfolliculaire préférentielle.
Microscopie confocale par réflectance pour aider la prise en charge thérapeutique de la KA
Les KA sont plutôt traitées par des traitements non invasifs sans réalisation d’un examen histologique. La MCR peut alors aider le suivi de la réponse au traitement local de manière non invasive.
Références
1.Huerta-Brogeras M, Olmos O, Borbujo J et al.Validation of
dermoscopy as a realtime noninvasive diagnostic imaging technique
for actinic keratosis. Arch Dermatol 2012 ; 148 : 1159-64.
2. Zalaudek I, Giacomel J, Schmid K et al. Dermatoscopy of facial
actinic keratosis, intraepidermal carcinoma, and invasive squamous
cell carcinoma: a progression model. J Am Acad Dermatol 2012 ; 66 :
589-97.
3.González-Álvarez T, Armengot-Carbó M, Barreiro A et al.
Dermoscopic rosettes as a clue for pigmented incipient melanoma.
Dermatol Basel Switz2014 ; 228 : 31-3.
4.Liebman TN, Rabinovitz HS, Dusza SW, Marghoob AA. White shiny
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5. Moscarella E, Rabinovitz H, Zalaudek I et al.Dermoscopy and
reflectance confocal microscopy of pigmented actinic keratoses: a
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6. Lallas A, Tschandl P, Kyrgidis A et al. Dermoscopic clues to
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7.Akay BN, Kocyigit P, Heper AO, Erdem C. Dermatoscopy of flat
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actinic keratosis and lentigo maligna. Br J Dermatol 2010 ; 163 :
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8.Nascimento MM, Shitara D, Enokihara MMSS et al. Inner gray halo,
a novel dermoscopic feature for the diagnosis of pigmented actinic
keratosis: clues for the differential diagnosis with lentigo
maligna. J Am Acad Dermatol 2014 ; 71 : 708-15.
9. Zalaudek I, Piana S, Moscarella E et al. Morphologic grading and
treatment of facial actinic keratosis. Clin Dermatol 2014 ; 32 :
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10.Ulrich M, Forschner T, Röwert-Huber J et al.Differentiation
between actinic keratoses and disseminated superficial actinic
porokeratoses with reflectance confocal microscopy. Br J Dermatol
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11. Peppelman M, Nguyen KP, Hoogedoorn L et al.Reflectance confocal
microscopy: non-invasive distinction between actinic keratosis and
squamous cell carcinoma. J Eur Acad Dermatol Venereol 2015 ; 29 :
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