Paris, le samedi 29 janvier 2022 - Les récents propos du
candidat du parti Reconquête, Eric Zemmour, concernant l’inclusion
des enfants souffrant de handicap à l’école ont majoritairement
suscité l’indignation. Cependant, au-delà de leur caractère
provocateur, ces déclarations rappelaient les limites de l’école
inclusive. Patrick Sadoun, président fondateur du Rassemblement
Pour une Approche des Autismes Humaniste et Plurielle et père d’un
enfant atteint d’autisme, les évoque dans cette tribune publiée sur
son site et qu’il a transmise au JIM à l’intention de nos lecteurs.
Il y lance également un appel aux candidats à l’élection
présidentielle pour que le sort des enfants handicapés dépasse les
seules déclarations d’intention.
Par Patrick Sadoun*
L’autisme, et le handicap en général, n'ont jamais été un
thème de campagne électorale. Douze millions de personnes sont
concernées mais, jusque-là, cela ne suffisait pas pour intéresser
les candidats. Et puis brusquement, miracle, depuis quelques jours
tous en parlent et semblent se passionner pour cette question.
Reconnaissons-le, on doit cet engouement soudain à Eric Zemmour, à
son talent incomparable pour mettre les pieds dans le plat et poser
sur la table les sujets qui fâchent, ceux qu'on a l'habitude de
cacher sous le tapis.
Alors que le mot « inclusion » était absent des
recommandations de la HAS de 2012 pour les enfants et adolescents
autistes, c’est devenu, en peu d'années, le maître mot de la
politique du handicap et même de la politique tout
court.
Apprendre que son enfant est handicapé est un traumatisme très
violent qu'on met longtemps à surmonter. Mon fils autiste a 33 ans
et il m'arrive encore de rêver qu’il parle et se comporte
normalement, qu’on s'est trompé, qu'il n’est pas autiste et que
tout va bien. Quand je croise des jeunes de son âge qui sont en
couple, s'embrassent, se sourient, cela me fait parfois encore mal
de penser qu’il ne connaîtra pas ce bonheur tout
simple.
Alors je comprends parfaitement que tous les parents de jeunes
enfants handicapés tiennent absolument à ce que le leur aille à
l'école ordinaire, qu'il suive la même voie que les autres enfants
et qu'il ait la même vie. Et souvent ça marche, c'est bien plus
difficile que pour les autres enfants mais beaucoup (en particulier
les autistes Aspergers et ceux qui souffrent d'un handicap corporel
ou psychique) parviennent à supporter les contraintes de la classe
et à étudier. Pour eux la loi de 2005, qui a fait de la scolarité
en milieu ordinaire un droit opposable, a été une chance
inestimable.
Nous n'avons pas eu cette chance. L'aurions-nous saisie ? Je
ne sais pas. À cinq ans notre fils était terrorisé par les bruits,
il ne laissait pas les autres s'approcher, il ne supportait pas le
contact des vêtements, il n’avait pas la notion du vide et du
danger, il passait des heures à se cogner le dos contre un mur ou
un radiateur, il poussait des hurlements stridents qui nous
déchiraient les tympans, et bien-sûr il n'était pas propre, jouait
avec ses excréments et en badigeonnait les murs. La réalité de
l'autisme, c'est aussi cela, les politiques et les journalistes ne
s'en rendent pas compte.
L'école aurait-elle été bénéfique pour lui ? J'ai du mal à le
croire. La trop grande proximité des autres, les sonneries,
l’agitation des récréations, lui auraient fait vivre un véritable
enfer. Il n'était pas en état d'apprendre quoi que ce soit, avec ou
sans le soutien d'une AESH. Il avait bien d'autres problèmes :
avoir le sentiment d'exister, percevoir comme sien ce corps
morcelé, ne plus être envahi par toutes ses perceptions internes
comme externes, ne plus ressentir l'autre, sa présence, son regard,
ses paroles, comme des intrusions insupportables.
L'école n'est pas en mesure d'apporter à un enfant souffrant
d'un autisme sévère les soins dont il a besoin. Ce n'est pas sa
fonction. Et les autres enfants ont aussi le droit de pouvoir
étudier sans être constamment perturbés. La sœur et le frère de
notre fils autiste avaient de leur côté le droit d'oublier un
moment à l’école ce qu'ils vivaient quotidiennement à la
maison.
Plus de 8000 français handicapés dans des établissements belges
!
Quand on refuse de tenir compte de ces réalités cela se
termine toujours mal, le plus souvent par des plaintes des autres
parents, des enseignants désemparés malgré toute leur bonne volonté
et au final une exclusion brutale. Il n'y a alors plus de solution
alternative car toutes les places en IME sont déjà prises et les
listes d'attente sont très longues. C'est ainsi que des familles
sont contraintes à l'exil en Belgique où, à côté d'excellentes
institutions, des entreprises privées très lucratives les
accueillent à bras ouverts. Les belges les appellent « les usines à
français ».
Au 31 décembre 2019, 8233 français handicapés étaient encore
dans des établissements belges (6820 adultes et 1423 enfants). Plus
de 6000 jeunes adultes souffrant d'un handicap mental sont
maintenus dans un établissement pour enfants faute de places dans
des établissements pour adultes. Ils bloquent ainsi la possibilité
d'accueillir plus de 6000 enfants pour lesquels l'inclusion
scolaire dans l'école de leur quartier s'est avérée être une
impasse.
Des milliers de familles désespérées sont encore sans solution
satisfaisante malgré toutes les promesses et doivent garder à la
maison leur enfant, parfois adulte depuis longtemps.
Cinq engagements soumis aux candidats
Alors nous posons la question à tous les candidats à
l'élection présidentielle : si le thème de l'inclusion scolaire
n'est pas pour vous une simple occasion de polémique électoraliste,
si vous vous intéressez réellement au sort de nos enfants, vous
engagez vous solennellement, au cas où vous seriez élu, à
:
1. Créer en 5 ans les 15 000 places pour adultes dépendants
qui nous font cruellement défaut ?
2. Créer tous les postes d'AESH nécessaires pour que chaque enfant
handicapé pour qui c'est nécessaire puisse en disposer de la
maternelle à l'université.
3. Mandater un cabinet d'audit indépendant pour procéder, en
concertation avec le ministère de l'éducation et les associations
d’usager et de professionnels, à une évaluation de la politique
d'inclusion scolaire :
- Quel pourcentage d'enfants handicapés admis en maternelle et
en primaire acquièrent le niveau requis pour entrer en 6ème ?
Affiner cette évaluation en fonction des différents handicaps et de
leur sévérité.
- Quels sont les prérequis pour que la scolarisation en milieu
ordinaire soit profitable à un enfant ?
- Comment les acquérir quand l'enfant n'en dispose pas ? Avec
quelles passerelles ?
- À quelles difficultés les enfants handicapés, leurs familles, les
enseignants et les autres enfants sont-ils confrontés du fait de
l'inclusion ?
- Qu'apporte aux autres enfants la rencontre avec des enfants
handicapés ?
- Comment concilier la mission essentielle de l'école de
transmission des savoirs avec les difficultés spécifiques des
différents handicaps ?
4. Mandater une équipe d'épidémiologistes renommés pour
effectuer une grande enquête épidémiologique sur l'autisme
:
- Comment est-on passé d'une prévalence de 1 pour 3000 à 1
pour cent ?
- Quel est le nombre réel d'autistes en France ?
- Quels sont les diffèrent tableaux cliniques regroupés sous le
diagnostic commun de troubles du spectre autistique ?
- Combien de personnes dans chacun de ces tableaux cliniques
?
5. Revaloriser les métiers d'aide aux personnes dépendantes
et, pour commencer, étendre aux professionnels du médico-social les
avantages du Ségur de la santé (+ 183 € par mois).
En ce début d'année 2022 nous faisons donc le vœu que tous les
candidats à la présidentielle rendent crédible leur souci du
bien-être des personnes handicapées et de toutes celles qui en
prennent soin en s'engageant solennellement sur ces 5
points.
* Président fondateur du Rassemblement Pour une Approche des
Autismes Humaniste et Plurielle
Enfin un propos lucide et nuancé sur le caractère inadapté de la politique inclusive vis à vis de TOUTES les personnes handicapées mentales, physiques ou psychiques : si l'inclusion reste une visée positive pour beaucoup, les troubles autistiques sont d'une telle variétés (voir les travaux génétiques d' A. Munnich) qu'on comprend aisément qu'ils ne relèvent pas tous des mêmes démarches. Les demandes de Mr Sadoun sont tout à fait logiques et justifiées ... Il faudrait y rajouter un re-examen des recommandations de la HAS en matière d'autisme qui ne tiennent elles aussi pas assez compte de la réalité clinique très variée et trés problématique de beaucoup de personnes autistes, en particulier des TSA de type 2 et 3 du DSM V (autismes déficitaires avec troubles associés et co-morbidités psychiatriques présentes dans 70 % des cas).
Dr Ph.Gabbai(neuro-psychiatre)
Un autre voie est possible, comme ailleurs
Le 29 janvier 2022
Le RAAHP est un groupuscule isolé dans le monde de l'autisme, composé essentiellement de psychanalystes et professionnels de santé mentale d'obédience psychanalytique et de quelques parents (parfois, à la fois professionnels et parents) d'enfants autistes. Sa prétention de "pluralisme" cache la volonté de maintenir les interventions d'inspiration psychanalytique en plus (et surtout en prédominance) des interventions psycho-éducatives. Sa prétention d'humanisme est basée sur une opposition discutable entre thérapies cognitivo-comportementales, supposées réduire les émotions à un fonctionnement organique, voire mécanique et la psychanalyse supposée la seule à reconnaître la psyché ...
Sa particularité est d'être proche de la CIPPA Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes et membres associés s’occupant de personnes Autistes. Le tout est un mouvement en lutte contre les évidences (caractère inné et non psychogène des TSA, explication des symptômes par des troubles neurobiologiques...) et pour la promotion de la psychanalyse là où elle a été évincée par la RBPP de la HAS de 2012.
Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais le tableau clinique qu'il dresse lui-même de son fils ne plaide pas vraiment en faveur de la supériorité de ces psychothérapies institutionnelles sur les interventions internationalement reconnues comme efficientes ...
C'est vrai qu'il n'avait aucune alternative durant l'enfance et l'adolescence de ce jeune adulte et son placement inéluctable en institution apparaît comme une nécessité liée à une époque révolue. Créer 15 000 nouvelles places ? Je ne sais pas d'où vient ce chiffre. De plus en plus d'enfants autistes qui auraient été réputés inéducables il y a 30 ans sortent du système scolaire avec un bagage très honorable et sont aptes à travailler et vivre en autonomie avec des accompagnements psycho-éducatifs ad hoc.
De nos jours, pour les enfants qui "n'entrent pas dans les apprentissages académiques", les DAME (Dispositif d'Accompagnement Médico-social) remplacent les IME. La différence est que l'enseignement académique aura de plus en plus lieu dans des UEE (unités d'enseignement externalisées), classes intégrées dans les établissements scolaires avec l'accompagnement in situ des personnels médico-sociaux du DAME. Les UEE complètent donc les ULIS pour les troubles beaucoup plus sévères du développement intellectuel. C'est un début d'ouverture des institutions sur le monde extérieur et du développement d'une inclusion optimale en milieu ordinaire. Il en est de même pour les activités sportives ou culturelles. Reste à espérer que les Établissements Médico-Sociaux pour adultes suivent la même dynamique et cessent d'être des lieux d'enfermement et de maltraitance institutionnelle entretenant les troubles du comportement.
Je le rejoins sur une augmentation quantitative des AESH, mais surtout qualitative : l'EN est le seul organisme en France qui ose confier l'accompagnement de personnes handicapées (et les plus vulnérables vu leur âge !) à des personnels non qualifiés. Une professionnalisation au niveau 4 (bac pro ou brevet pro) devient urgente. On doit y ajouter une formation approfondie sur tous les troubles des apprentissages intégrée dans la formation initiale des enseignants et, pour les autres, une mise à niveau obligatoire.
L'acquisition de bases neuroscientifiques expliquant les fonctions cognitives permet de comprendre le pourquoi et le comment des adaptations pédagogiques et fait toute la différence. L'inclusion n'est pas une utopie, elle existe vraiment partout ailleurs, à condition aussi de réduire les effectifs des classes et de changer certaines mentalités.
Je passe sur son point 3, très orienté.
Le point 4 est une exigence universelle. Toutefois, la prévalence de 1/3000 est une vieille lune franco-française, datée du temps où, uniquement chez nous, les diagnostics d'autisme étaient occultés sous des appellations de psychose infantile, dysharmonie évolutive,..., issues de la défunte CFTMEA.
Chantal Othon (IDE)
L'école et le handicap
Le 30 janvier 2022
Comment dois-je me débrouiller avec cet étudiant en fauteuil roulant, dans cette salle bondée où je n'ai même pas une table par étudiant ? Trouvera-t-il sa place dans l'allée centrale, au mépris de toutes les règles de sécurité ? Comment atteindra-t-il les salles spécialisées du 4è étage, qui n'est pas desservi par l'ascenseur ? Comment dois-je me débrouiller avec cette étudiante sourde et muette ? Elle lit sur les lèvres, mais s'adresse à moi par écrit. Et elle écrit très mal. Elle lit sur les lèvres... à condition que je me tienne devant elle, que je ne me déplace pas, que je n'écrive pas au tableau tout en continuant à parler, comme je le fais naturellement.
Dr Michel de Bosschere
Parent et professionnel
Le 30 janvier 2022
En quoi y aurait-il un inconvénient à être parent et professionnel ? Ça permet au contraire d'être moins vulnérable aux faiseurs de miracles, lobbyistes de méthodes à vendre. Ça peut aider à éviter de confondre ce qui est d'origine "génétique", et ce qui est "inné". Je m'explique : si l'autisme peut être dans de nombreux cas en rapport avec à une ou plusieurs mutations génétiques, ça ne signifie pas qu'on "naît autiste". Car comme tout le monde le répète sans forcément comprendre ce que ça implique, l'autisme est une affection neuro-développementale. Ça signifie que l'autisme se développe progressivement, de la vie intra-utérine à l'âge de 2 ans. Ça laisse la place à des approches diverse pour aider ces enfants, car quelle que soit la théorie dont une approche se justifie, elle n'agit que par l'intermédiaire de l'environnement (langagier, sensori-moteur, affectif etc.), modifiant ainsi la trajectoire développementale induite par les gènes.
Par ailleurs, si les UEE sont une réintroduction de l'hôpital de jour, avec ses psychomotriciens, orthophonistes, psychologues, éducateurs ... dans l'espace géographique de l'école, pourquoi pas ? C'est une manière d'être inclusif, mais ça implique une réorganisation majeure. Mais comme chacun le dit, ce n'est pas une AESH seule qui va permettre aux enfants les plus sévèrement autistes d'avoir les meilleures chances d'évoluer.