
Paris, le vendredi 21 juillet 2017 – Comme nous l’avions évoqué, l’Agence nationale de sécurité du médicament a rendu publics début juillet les résultats de travaux menés par le Département des études en santé publique de la CNAMTS en collaboration avec le pôle épidémiologie de l’ANSM et le CépiDc de l’INSERM concernant la sécurité du baclofène, utilisé dans le traitement de l’alcoolodépendance. Sans s’intéresser à la question de l’efficacité, les auteurs ont choisi de comparer le profil de sécurité du baclofène à ceux des autres molécules indiquées dans le sevrage alcoolique. Ils ont pu constater que les hospitalisations et les décès sont nettement plus fréquents en cas de prise de baclofène à haute dose, par rapport aux autres traitements. Très vite, l’ANSM a considéré que ces conclusions imposaient de revoir à la baise les doses maximales du baclofène autorisées dans le cadre de la recommandation temporaire d’utilisation (RTU), une évolution confortant la position initiale de l’ANSM sur ce point.
Opacité et biais
Cependant, de nombreux spécialistes des addictions contestent ce choix de l’ANSM en raison des nombreuses failles qui existeraient dans l’étude. De fait, outre l’absence d’évocation de la question pourtant majeure de l’efficacité, le texte ne permet pas d’identifier ses auteurs et est entaché de multiples biais, dénoncés notamment dans une lettre ouverte au directeur général de l’ANSM par cinq membres du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) dédié à la RTU et installé par l’Agence.
N’importe quoi, toi-même !
Outre les critiques concernant l’étude et la précipitation de l’ANSM, la publication de ces données semble avoir relancé le conflit explosif entre les partisans et les opposants du baclofène. Les passes d’arme entre le professeur Jean-François Bergmann d’une part et le professeur Bernard Granger et le docteur Renaud de Beaurepaire d’autre part dans le Quotidien du médecin en témoignent. Il y a quelques jours, le premier, chef du Département de médecine interne de l’hôpital Lariboisière, voulait croire en son pouvoir de visionnaire. « En juin 2013, j’écrivais dans le Quotidien du médecin que la RTU du baclofène était "n’importe quoi !"(…). Je m’inquiétais d’un rapport bénéfice/risque potentiellement négatif de ce produit. J’ai bien peur que quatre ans plus tard, les faits me donnent raison » se désolait-il. La réponse, cinglante, de Bernard Granger et de Renaud de Beaurepaire, est lisible aujourd’hui dans le même Quotidien du médecin. Les deux praticiens taclent « l’arrogance médicale d’un autre âge » du professeur Jean-François Bergmann et dénoncent une lecture « partiale » des études Alpadir et Bacloville par le spécialiste.
Baclofène, une lubie française ? Pas si sûr !
Si les échanges sont marqués par une telle vivacité, c’est que les arguments avancés avant l’ère de la RTU par les opposants au baclofène resurgissent, suggérant qu’en dépit de données encourageantes sur l’efficacité du produit (à travers les études Alpadir et Bacloville), chacun campe sur ses positions. Le Figaro révèle ainsi comment dans un mail à l’un des auteurs de la lettre ouverte, le patron de l’ANSM (qui affirmait récemment dans la Croix que le dossier, « sensible » était traité « sans a priori, ni dans un sens, ni dans l’autre ») s’agace : « Ce produit est, en France, encensé par les uns et rejeté par d’autres, il est par ailleurs ignoré par le reste de la planète ». Cette spécificité était également remarquée par le professeur Michel Reynaud (qui a toujours opté pour une position mesurée sur le baclofène) : « Le débat autour du Baclofène est très franco-français » reconnaissait-il. L’observation n’est cependant pas totalement exacte. Si les controverses semblent effectivement propres à la France, les praticiens français ne sont pas les seuls à être convaincus de la pertinence du recours au baclofène dans l’alcoolodépendance. « Un simple examen de la littérature scientifique et un effort minime de documentation montrent que le baclofène et ses potentialités dans le traitement de l’alcoolodépendance font l’objet d’une littérature scientifique internationale abondante, loin d’être cantonnée à notre seul pays » a en effet répondu son interlocuteur à Dominique Martin. Nous avions d’ailleurs rapporté dans ces colonnes les expérimentations conduites dans d’autres pays s’appuyant sur le baclofène, notamment en Suisse en 2008 sous la direction du docteur Pascal Gache, responsable de l’unité alcoologique aux Hôpitaux universitaires de Genève. De nombreux médecins allemands ont également recours à ce traitement, ainsi que des praticiens américains (même si la FDA ne reconnaît pas encore l’indication).
Conflits d’intérêt ?
Pour certains défenseurs du baclofène, (qui redoutent d’être privés d’un des seuls traitements, qui, sans être miraculeux, a offert une véritable amélioration à de nombreux patients), le sursaut des controverses et polémiques marque sans doute la présence de conflits d’intérêt. Sur la page Facebook de l’association Baclofène (groupe de patients), certains n’hésitent pas ainsi à suggérer l’existence de liens entre ceux qui mettent en doute l’efficacité du baclofène et certaines entreprises productrices de nouveaux médicaments contre l’alcoolisme. Au-delà, il y a quelques années, beaucoup avaient fait remarquer que cette arrivée du baclofène semblait contrarier ceux qui avaient fait de l’abstinence et du rôle de l’alcoologue (contre le médecin généraliste) un véritable dogme.
Voie de la raison et de la tempérance
Il n’en demeure pas moins que la question de la sécurité des patients est centrale. Aussi, ne semblant partager aucune position extrême, Michel Reynaud prône la prudence et la tempérance. Il relève dans une récente interview à France TV que les dosages les plus élevés ne sont pas « très fréquemment utilisés. La majorité se situe dans les 90-100 mg pour le traitement de l’alcool. Et la plupart du temps, ce traitement est efficace dans ces quantités qui permettent d’avoir des effets secondaires qui peuvent être gênants (…) mais (…) ne sont pas dangereux et disparaissent avec le temps ». Il note encore qu’une surveillance probable s’impose pour les doses les plus élevées, avec le recours à des centres spécialisés, ainsi qu’une attention redoublée à certaines comorbidités. « Il faut aussi dire que certaines populations sont plus vulnérables que d’autres. Il existe plusieurs explications à cette surmortalité. C’est la dose et c’est la vulnérabilité des populations » insiste-t-il.
Aurélie Haroche