Cancer du pancréas, un espoir nommé cévumeran autogène

Les « néo-antigènes » sont de nouvelles protéines qui se forment sur les cellules cancéreuses et qui peuvent être « présentées » au système immunitaire de l’hôte afin de produire une réponse anti-tumorale. Ce sont des candidats pour l’élaboration de vaccins anti-cancéreux mais la grande variabilité interindividuelle de ces néo-antigènes impose une approche de thérapie ciblée. Une récente publication dans la revue Nature a présenté des résultats prometteurs d’un vaccin ARNm dans le traitement du cancer du pancréas, un cancer donc l’incidence ne cesse d’augmenter selon les experts.

L’adénocarcinome canalaire pancréatique (ACP) représente environ 80 % des cas de cancers du pancréas. Malgré la chirurgie, la majorité des patients ont des récidives à 7-9 mois. La survie à 5 ans est estimée à 8-10 %. Grâce à la chimiothérapie multi-agents ce chiffre augmente à 30 %. Ces tumeurs sont insensibles aux rayons et répondent très peu à l’immunothérapie. Les survivants à long terme d'un ACP présentent des réponses spontanées de lymphocytes T (LT) contre des néo-antigènes spécifiques de la tumeur.

Sur la base de cette observation, des chercheurs ont voulu savoir si des vaccins individualisés peuvent stimuler l’expansion de clones de LT spécifiques des néo-antigènes et apporter un bénéfice clinique chez les patients ayant subi une résection chirurgicale d'un ACP. Les vaccins à ARNm, popularisés par la vaccination anti-Covid, peuvent être rapidement fabriqués et délivrés efficacement à l’aide de nouvelles formulations validées pour une utilisation en clinique.

Le vaccin est bien toléré et induit la production de LT spécifiques chez 8/16 patients

Dans cet essai de phase I évaluant le cévumeran autogène (RO7198457) *, les chercheurs ont synthétisé des vaccins thérapeutiques à base d’ARNm (inclus dans des nanoparticules) directement à partir de tumeurs ACP réséquées. Au total, 34 patients ont été recrutés entre décembre 2019 et aout 2021, parmi lesquels 28 ont subi une résection chirurgicale de leur ACP.

Dix-neuf patients opérés (19/34) ont reçu l’adjuvant atézolizumab (anti-PD-L1) puis seuls 16 d’entre eux (16/34) ont été traités par cévumeran autogène (contenant jusqu’à 20 néo-antigènes). In fine, 15 patients (15/34) ont complété leur traitement par une cure de mFOLFIRINOX (acide folinique, fuorouracile, irinotécan et de oxaliplatine). Les critères d’évaluation comprenaient : la faisabilité de la vaccination, la quantification des lymphocytes T (LT) néo-antigéniques induits par le vaccin, et la survie sans récidive à 18 mois.

Le traitement par cévumeran autogène a été bien toléré. Un patient sur 16 (6 %) a présenté des effets indésirables de grade 3 (fièvre et HTA), tandis que tous les patients ayant reçu ce vaccin ont eu des effets indésirables de grade 1-2. L’adjuvant et le vaccin ont été administrés dans un délai d’un à 3 jours par rapport aux temps de référence (médiane d’administration de l’adjuvant à 6,1 semaines, médiane pour le vaccin à 9,4 semaines).

La moitié des patients (8/16) ayant reçu le vaccin ont généré une réponse lymphocytaire de « grande magnitude », spécifique d’au moins un néo-antigène et non détectable avant vaccination. Ces patients ont été considérés comme « répondeurs ». La moitié de ces répondeurs présentaient des LT spécifiques ciblant plus d’un néo-antigène vaccinal. Notons que des variations inter- et intra-individuelles dans la réponse immunitaire ont été observées.

Le vaccin induit la production durable de clones de LT CD8+ fonctionnels et spécifiques des néo-antigènes

Les auteurs ont ensuite utilisé un modèle mathématique dénommé CloneTrack qui se base sur le séquençage du récepteur des cellules T (TCR) Vβ du sang périphérique avant et après traitement afin d’identifier les clones de cellules T de « grande magnitude » amplifiés par le traitement. Les auteurs ont confirmé que le vaccin induisait une expansion clonale de LT chez les 8 patients « répondeurs » (8/8) mais aussi chez un patient « non répondeur » (1/8). Cette expansion clonale ne se chevauche pas avec celle induite par l’adjuvant seul. L’utilisation de ce modèle mathématique et de tests fonctionnels a permis aux chercheurs de démontrer que les clones amplifiés de LT spécifiques représentaient jusqu’à 10 % de tous les LT sanguins.

Les échantillons de sang périphérique prélevés après la vaccination contenaient des LT CD8+ polyfonctionnels (mais pas de LT CD4+) produisant des cytokines (INFγ et TNF). Ces LT ont conservé leur fonctionnalité malgré le traitement par mFOLFIRINOX, avec une production durable d’INFγ, une ré-expansion clonale uniforme après un boost vaccinal chez tous les répondeurs et une persistance soutenue atteignant 2,5 % des LT totaux jusqu'à 2 ans après la chirurgie.

Une survie sans progression plus longue qui n’est pas corrélée à des marqueurs de bon pronostic

Après un suivi médian de 18 mois, les patients répondeurs avaient une survie médiane sans récidive plus longue que les patients non répondeurs (13,4 mois, p = 0,003, HR = 0,08, IC95 % 0,01-0,4). Les répondeurs présentaient des taux sériques de CA19-9 (biomarqueur de l’ACP) plus bas que les non-répondeurs. La réponse vaccinale n’était pas corrélée à : la réponse à l’adjuvant, la positivité des ganglions lymphatiques, la positivité des marges, la taille de la tumeur primaire, le nombre de doses de chimiothérapie et la densité des LT CD8+ intra-tumoraux.

Les répondeurs et les non-répondeurs avaient également une « aptitude immunologique » comparable, puisqu'ils avaient des réponses humorales et cellulaires équivalentes à un vaccin ARNm non apparenté (SARS-CoV-2) administré en même temps que le cévumeran autogène. De plus, pour les répondeurs et les non-répondeurs, les présences de toutes les principales cellules immunitaires innées et adaptatives étaient équivalentes, et des caractéristiques génétiques somatiques et germinales similaires.

In fine, ces données préliminaires de phase I suggèrent que l’association atézolizumab + cévumeran autogène + mFOLFIRINOX induit une activation de LT spécifiques des néo-antigènes des patients qui pourrait être corrélée à une récurrence retardée de l’adénocarcinome canalaire pancréatique. Malgré le taux de mutation faible dans ce type de tumeur, les auteurs ont pu démontrer que ce vaccin peut induire une expansion clonale de LT spécifique des néo-antigènes. Reste à reproduire ces résultats sur de plus larges cohortes et identifier de nouveaux biomarqueurs afin de sélectionner les patients les plus à même de répondre à cette combinaison thérapeutique. A ce titre, les résultats de suivi de l’essai global randomisé « IMCODE 003, BNT122 » sont à suivre de près…

* Le cévumeran autogène est un vaccin thérapeutique individualisé à base d’ARNm ciblant des néo-antigènes spécifiquement exprimés dans le cancer du patient. Une fois administré, il est absorbé puis traduit par les cellules présentatrices d’antigènes pour être présenté à sa surface. La réponse immunitaire induite est dépendante des LT cytotoxiques et des LT mémoires.

Dr Dounia Hamdi

Référence
Rojas LA, et coll. : Personalized RNA neoantigen vaccines stimulate T cells in pancreatic cancer. Nature. 2023 May 10:1–7. doi: 10.1038/s41586-023-06063-y.

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