
Le cancer du sein bilatéral (CSB) concerne 2 à 11 % de l’ensemble des cancers du sein. Le CSB synchrone (CSBs) survient lorsque les deux seins ont été exposés aux mêmes déterminants génétiques (germinaux) et environnementaux et présentent des tumeurs malignes soit simultanément ou dans un intervalle de 6 mois maximum. Ce type de cancer est de moins bon pronostic que le cancer du sein unilatéral.
Des études génétiques basées sur des technologies dites « anciennes » ont suggéré que les deux cancers (sein droit et gauche) étaient des événements indépendants attribués à la « malchance ». Les déterminants de l’immunosurveillance dans le cancer du sein sont liés à :
- Des caractéristiques intrinsèques de la tumeur comme le sous-type de cancer (luminal, HER2+ ou triple négatif) ou encore la charge tumorale mutationnelle.
- Des facteurs extrinsèques liés à l’hôte (sexe, âge, IMC) ou à son environnement (consommation de tabac/alcool, microbiote).
Le poids de ces déterminants sur le fonctionnement de l’immunité antitumorale et la réponse au traitement reste incertain à ce jour mais dans le cas particulier du CSBs, les deux tumeurs controlatérales (sein droit et gauche) sont soumises aux mêmes facteurs extrinsèques. Reste à savoir dans quelle mesure les caractéristiques intrinsèques des tumeurs influencent le microenvironnement tumoral immunitaire et la réponse à la chimiothérapie néoadjuvante.
Des chercheurs de l’institut Curie en collaboration avec le German Breast Group ont analysé les dossiers médicaux de 17 575 patientes atteintes d’un cancer du sein, parmi lesquelles 404 (soit 2,3 %) présentaient un CSBs. Pour l’analyse 313 cas de patientes (soit 1,8 %) présentant un CSBs invasif ont été retenues. La majorité des tumeurs étaient de sous type luminal (87,6 %), les cancers de type triple négatif ou HER2+ ne représentaient respectivement que 7,2 % et 5,2 % des cas. Seules 15,3 % des tumeurs étaient discordantes (tumeurs du sein droit et gauche de sous-types différents). Enfin, 13 patientes (13/313) étaient porteuses des gènes BRCA1 ou BRCA2 (plus fréquemment associés au sous type triple négatif).
Le sous-type de la tumeur controlatérale influence le taux de LIT et la réponse au traitement
L’infiltration immunitaire avant traitement néoadjuvant a été évaluée chez 149 patientes (soit 277 tumeurs au total) par la mesure des lymphocytes infiltrant la tumeur ou LIT (facteur prédictif et pronostique de la réponse au traitement). Le niveau de LIT était associé de façon indépendante aux tumeurs de haut grade. Il était également affecté par le sous-type de la tumeur controlatérale (p = 0,0006). Ces résultats ont été validés dans une autre cohorte issue du German Breast Group.
Le taux de LIT avant et après chimiothérapie néoadjuvante était disponible pour 37 patientes (soit 74 tumeurs). Le taux de LIT (situées au niveau du stroma tumoral) n’était pas significativement différent avant et après traitement à l’exception des tumeurs discordantes, des tumeurs de haut grade (3) et également celles qui ont atteint une réponse pathologique complète (RPC) suggérant que ce type de thérapie remodèle l’environnement tumoral immunitaire dans le CSBs.
Sur un total de 140 tumeurs, 22 ont atteint une réponse pathologique complète (RPC). Le taux de LIT pré-chimiothérapie néoadjuvante et le sous type de cancer étaient associés de façon indépendance à la RPC : dans le cas des tumeurs luminales, la RPC était significativement plus élevée lorsque la tumeur controlatérale était discordante (22 % versus 6 % en cas de concordance, p=0,03). Ce type d’effet n’a pas été retrouvé avec les autres sous-types de tumeurs. Des résultats similaires ont été retrouvés dans deux autres cohortes indépendantes (SEER, GBG).
Plusieurs hypothèses ont été avancées par les auteurs pour expliquer :
- L’impact du sous-type tumoral sur l’infiltration immunitaire (migration de cellules immunitaires d’un site tumoral à la tumeur controlatérale, degré d’infiltration immunitaire basal potentiellement lié à l’expression des récepteurs à l’œstrogène ou progestérone dans le cas du sous-type luminal)
- Et la réponse au traitement (niveau basal d’infiltration immunitaire variable d’une tumeur à une autre, protocole thérapeutiques variables, etc.)
Une analyse génomique et transcriptomique de 20 échantillons tumoraux
Parmi les 50 patientes présentant un CSBs traité par chimiothérapie néoadjuvante, seules 6 avaient des échantillons d’assez bonne qualité pour permettre une analyse génomique et transcriptomique (WES pour Whole exome sequencing et RNAseq) de leurs tumeurs (seins droit et gauche) avant et après traitement. Le séquençage de ces tumeurs (n = 20) a révélé que les tumeurs controlatérales étaient indépendantes sur le plan des mutations somatiques, des altérations du nombre de copies de gènes et de la phylogénie clonale, alors que la tumeur primaire et résiduelle (après traitement) sont étroitement liées sur la plan génétique et transcriptomique.
Les auteurs concluent que, dans le cas d’un cancer du sein bilatéral synchrone, les tumeurs controlatérales semblent survenir à la suite d’un ou d’évènements indépendants. Néanmoins, les caractéristiques intrinsèques des tumeurs controlatérales semblent influer sur l’infiltration immunitaire et la réponse au traitement. Bien qu’il soit difficile d’en extrapoler des recommandations en clinique du fait notamment du nombre limité d’échantillons analysés, les auteurs espèrent « que leurs résultats pourront guider les soignants dans leurs décisions et améliorer la prise en charge des patientes … Un exemple : les cancers du sein de type luminal ne répondent habituellement pas au traitement néoadjuvant, mais en présence d’une tumeur controlatérale de type triple négatif la réponse immunitaire et la réponse au traitement sont augmentées », explique Joshua Waterfall dans un communiqué de presse*.
Dr Dounia Hamdi