
L’hypertension artérielle (HTA) est un risque majeur mais modifiable de démence. Un contrôle intensif de la pression artérielle (PA) peut réduire le risque de survenue d’un trouble cognitif léger (MCI) et celui de démence même à un âge avancé. Toutefois, on ignore si certains médicaments sont plus efficaces que d’autres dans la prévention des troubles cognitifs, indépendamment de leur effet antihypertenseur propre. Bien que les antihypertenseurs qui stimulent (inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine II [AgII] de type 1, inhibiteurs calciques dihydropyridines, diurétiques thiazidiques) versus ceux qui inhibent (inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine [ECA], β-bloquants, inhibiteurs calciques non-dihydropyridines) les récepteurs de l'AgII de type 2 et 4 aient été associés à un risque plus faible de démence, on ignore si cette association est liée aux niveaux de PA. Cette étude de cohorte, seconde analyse de l’essai SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial) qui a randomisé 9 361 patients hypertendus en 2 groupes bénéficiant soit d’un traitement intensif avec une cible de PA systolique < 120 mm soit d’un traitement standard avec une cible plus modeste (Pas < 140 mm Hg), a voulu déterminer si les antihypertenseurs qui stimulent les récepteurs de l'AgII de type 2 et 4, par rapport à ceux qui ne les stimulent pas, sont associés à un risque plus faible de troubles cognitifs.
Participation de plus de 8 000 patients de l’essai SPRINT
La moyenne d’âge des 8 685 patients retenus était de 67,7 (11,2) ans dont 64,3 % d’hommes. Un sous-groupe (n = 2 644, 30,4 %) a été traité uniquement par des antihypertenseurs stimulant les récepteurs 2 et 4 de l’AgII tandis que 1 530 (17,7 %) patients étaient traités par des médicaments inhibant ces récepteurs et 4 505 (51 %) recevaient un traitement associant les deux. Le critère principal de jugement était un composite incluant les MCI à type de troubles mnésiques et la démence probable. De nombreuses covariables ont été incluses (sociodémographiques, comorbidités, fonction cognitive de base, autres traitements...). Les analyses ont utilisé des modèles de régression logistique avec estimation d’un score de propension des traitements en fonction de différents facteurs et ont été, pour la totalité des analyses primaires, effectuées en intention de traiter.
Les patients sous antihypertenseurs stimulants, étaient plus souvent des femmes (38,7 vs 30,0 %), afro-américains (33,5 vs 30,0 %) et traités intensivement (47,1 vs 28,6 %). A l’inverse, on relevait une moindre prévalence des maladies cardiovasculaires, d’interventions pour revascularisation coronaire, de flutter ou de fibrillation auriculaire ou encore de prise de statines dans ce sous-groupe.
Un suivi de plus de 4 ans
Durant un suivi moyen de 4,8 (intervalle de confiance à 95 % IC : 4,7-4,8) ans, le bénéfice en termes de baisse de la PAs a été le même dans les sous-groupes. En revanche, 783 événements de type MCI avec atteinte mnésique ou probable démence sont survenus en cas de traitements stimulants versus inhibiteurs, respectivement 45 versus 59/1 000 personnes-année, Hazard Ratio HR à 0,76 (IC : 0,66-0,87). Au total, 685 MCI ont été diagnostiqués, respectivement selon le traitement 40 versus 54 cas/1000 personnes-année (HR 0,74 [IC : 0,64-0,87]) et 140 démences, 8 versus 10/1 000 personnes-année (HR 0,80 [IC : 0,57-1,14]). Les résultats étaient similaires dans les sous-groupes selon l’âge, le sexe, les antécédents, l’indice de masse corporelle, la classe thérapeutique utilisée, la baisse de la PAs sous traitement …, ainsi qu’après diverses analyses de sensibilité, même si des analyses de contrôle laissent supposer la présence de facteurs confondants résiduels.
En résumé, cette seconde analyse de l’essai SPRINT suggère que le recours à des antihypertenseurs stimulant les récepteurs de type 2 et 4 de l’AgII, en comparaison avec des médicaments inhibiteurs, est associé à une baisse de 26 % du risque de MCI et de 20 % de celui de démence. Ces résultats sont indépendants de la valeur de la PAs ou de la fonction cognitive initiale. Ils rejoignent ceux de travaux antérieurs, dont l’essai PreDIVA (Prevention of Demence by Intensive Vascular Care) qui, après un suivi moyen de 6,7 ans, avait montré un risque de démence de 45 % plus faible en cas d’utilisation d’antihypertenseurs stimulant les récepteurs de l’AgII. Sur le plan physiopathologique, ce type de traitement pourrait améliorer la protection cérébrale, augmenter le flux sanguin local agir sur la mémoire spatiale via les récepteurs de type 4.
Les réserves inhérentes à ce travail sont toutefois multiples. SPRINT a exclu les patients diabétiques de type 2, ceux ayant des antécédents d’AVC, d’insuffisance rénale chronique ou de cardiopathie symptomatique. De plus, l’étude a utilisé les données d’un précédent travail, augmentant le risque de biais. Enfin, il a surtout pu exister des facteurs confondants non pris en compte, comme le suggèrent les analyses de contrôle négatif.
En conclusion, les patients sous traitement anti-hypertenseur stimulant les récepteurs de type 2 et 4 de l’AgII auraient un risque plus faible de détérioration cognitive, en comparaison avec ceux traités par des inhibiteurs de ces récepteurs. Ces résultats devront cependant être confirmés par des essais cliniques randomisés centrés sur le déclin cognitif lors du traitement d’une HTA.
Dr Pierre Margent