
Paris, le lundi 20 février 2023 – Des associations de soignants ont publié un texte rappelant leur opposition totale à toute forme de légalisation de l’aide active à mourir.
Tout porte à croire que l’aide active à mourir sera, sous une forme ou une autre (euthanasie ou suicide assistée), légalisée en France ces prochaines années. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a donné son feu vert à une telle réforme en septembre dernier. A la convention citoyenne sur la fin de vie, qui planche sur le sujet depuis décembre, 75 % des 167 participants se sont exprimés en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir, y compris pour les mineurs. Surtout, si l’on en croit les sondages, une très large majorité des Français seraient favorable à la légalisation de l’euthanasie et le Président Emmanuel Macron lui-même a dit vouloir s’inspirer du modèle belge, notre voisin autorisant assez largement l’euthanasie.
Certains diront qu’il s’agit du sens de l’Histoire, de plus en plus de pays occidentaux autorisant cette pratique. Ce n’est pas l’avis de tous les soignants. Ce jeudi, treize associations de soignants revendiquant plus de 800 000 adhérents ont publié un petit pamphlet, fruit de leur réflexion sur le sujet et d’une consultation de leurs adhérents, relayé par Le Figaro. Ces associations représentent des pans divers du monde médical : infirmiers (CNP infirmier), oncologie (AFSOS, Unicancer), soins palliatifs (SFSPP, SFAP), gériatrie (CNP de gériatrie, SFGG). Malgré quelques points de divergence, ils en arrivent à une conclusion commune : la légalisation du suicide assisté et surtout de l’euthanasie doit être refusée en bloc par le monde médical.
Donner la mort ne peut être un acte de soins pour les associations
Pour les auteurs de la tribune, donner la mort ne peut être considéré comme un acte de soins et l’aide active à mourir est contraire à tous les fondements de l’éthique médicale. « L’intention première du soin doit rester le confort, l’apaisement, pas la volonté de tuer » affirme Evelyne Malaquin-Pavan, présidente du CNP infirmier. Les associations ont décortiqué le processus d’aide active à mourir, distinguant quatorze étapes, de la constitution du dossier de demande, jusqu’à la mise à mort, dans lequel le médecin devrait intervenir : toutes leurs semblent incompatible avec le métier de soignant. « Qui devra discriminer les patients, en catégorisant ceux qui entrent dans le cadre légal d’une demande d’euthanasie ? Qui annoncera aux patients qui demandent l’euthanasie que leur demande n’est pas acceptée ? » s’interrogent les associations.
La légalisation potentielle de l’aide active à mourir inquiète particulièrement les soignants qui, notamment en gériatrie et en soins palliatifs, ont fait de l’accompagnement de la fin de vie leur travail quotidien. Selon eux, l’autorisation de l’euthanasie créerait « un message insoutenable pour les personnes âgées en Ehpad et les professionnels qui les accompagnent » et « transformerait le sens du métier des soignants ». Il y a également la crainte que l’accès au suicide assisté exerce une pression insoutenable pour les plus vulnérables. « Des personnes qui se sentent inutiles, encombrantes, seraient plus enclines à demander une mort assistée alors qu’elles ne le font pas aujourd’hui » craint Maxence Gal, membre du CNP infirmier.
Renforcer les soins palliatifs plutôt que légaliser l’euthanasie
Ces associations ne peuvent pas ignorer cependant les demandes de mort qui émanent de nombreux de leurs patients. Mais en premier lieu, elles rappellent que « les demandes de mort comme les demandes de vie sont intimement mêlées ». « Il nous arrive souvent de soigner des patients qui disent un jour vouloir en finir et qui, le lendemain, font des projets d’avenir » explique le Dr Elisabeth Hupert, ancienne ministre de la Santé et présidente de la Fnehad. Surtout, elles considèrent que, face aux demandes de mort « persistantes » qui sont selon elles « exceptionnelles », la législation actuelle interdisant l’obstination déraisonnable est suffisante. « La loi actuelle sur la fin de vie nous permet de tenir la promesse du non-abandon du patient, l’euthanasie fait passer le message inverse » résume Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).
Les auteurs dénoncent également le manque de moyens actuellement accordés aux soins palliatifs, responsables selon eux de la multiplication des demandes de suicide assisté. « L’urgence serait de pouvoir mettre à la disposition de tout citoyen des soins de qualité » insiste Evelyne Malaquin-Pavan. C’est le message qu’ils entendent relayer au cours des prochains mois de débats auxquels ils participeront activement, mêmes s’ils estiment que les dés sont pipés et le résultat connu d’avance. « Dans les groupes de travail auxquels nous avons participé, l’aide active à mourir est l’éléphant au milieu de la pièce, tout le monde y pense, mais personne n’aborde le sujet, l’important c’est de faire passer le message que le débat est apaisé » dénonce Claire Fourcade.
Dans l’éventualité plus que probable où l’aide active à mourir viendrait à être légalisée, les associations demandent au gouvernement de « laisser le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée ». Ils disent ne pas croire à la clause de conscience promise par les autorités, dénonçant une « fragmentation de l’éthique commune ».
La question de la légalisation de l’euthanasie continue donc à fracturer le monde médical, plus encore que la société. Rappelons que dans un sondage réalisé récemment sur notre site, 58 % de nos lecteurs se disaient favorables à la légalisation de l’euthanasie.
Quentin Haroche