Chirurgie cardiaque : pas de statut, pas de perfu

Paris, le samedi 26 novembre 2022 – Un grand nombre de professionnels de santé non médecins se sont battus ces dernières années pour faire reconnaître la spécificité de leurs formations et de leurs compétences, avec plus ou moins de succès, que l’on pense aux longues années de bataille des infirmiers de blocs opératoire (IBODE). Pour certains de ces soignants, l’âpreté du combat s’ajoute à une absence totale de visibilité. Ainsi, Laurent Mathieu, perfusionniste au CHU de Bordeaux évoque pour nous le sort totalement méconnu de ses collègues. Malgré leur importance et la haute technicité de leur métier, les perfussionnistes (responsables des circulations extra-corporelles) ne bénéficient nullement d’une formation officielle, d’un statut clair et indépendant et évidemment d’une rémunération à la hauteur de leur responsabilité. Aussi, aujourd’hui, ces professionnels œuvrent pour que soit reconnue leur spécificité. S’ils n’ont pas toujours réussi à trouver l’écoute qu’ils espéraient des pouvoirs publics, leur détermination reste intacte comme nous le démontre cette tribune de Laurent Mathieu.

Pour réaliser la plupart des interventions de chirurgie cardiaque, le cœur des patients doit être arrêté pour permettre au chirurgien d’ouvrir les cavités ou de travailler sur un cœur immobile. C’est là qu’interviennent les spécialistes de la Circulation ExtraCorporelle (CEC) : les perfusionnistes. Souvent méconnus du grand public comme du monde médical, ils assurent le bon déroulement des différentes étapes de la CEC.

D’après un recensement réalisé par la Société Française d'Assistance Circulatoire et de Circulation extra-Corporelle (SFACECC) en 2020, seulement 309 perfusionnistes assurent les 39000 CEC annuelles. Ils sont majoritairement infirmiers diplômés d’état (62%), mais aussi IADE (28%), IBODE (6%) ou encore médecins (4%).

Au bloc opératoire, mais pas que


La CEC permet de remplacer temporairement la fonction de pompe du cœur et la fonction d’oxygénation des poumons. Le sang du patient est dévié vers la console de CEC où il est oxygéné, décarboxylé et réchauffé avant d’être réinjecté dans le système artériel du patient. Au bloc opératoire, les perfusionnistes gérent non seulement le montage, le fonctionnement et l’entretien de ces machines complexes, mais ils ont une véritable démarche clinique en analysant la situation du patient et les contraintes liées au geste chirurgical pour déterminer la meilleure stratégie de conduite de CEC à mettre en œuvre.

Ils maitrisent les prises en charge complexes comme la perfusion cérébrale sélective des patients opérés de dissection de l’aorte, les CEC pour la chirurgie cardiaque néonatale, la perfusion d’organe isolé, la circulation régionale normothermique, mais aussi, l’informatique médicale, l’enregistrement et le traitement des données de santés. Les perfusionnistes anticipent et corrigent les perturbations de l’homéostasie, assurent la bonne perfusion systémique du patient et la conservation, ou la restauration d’une hémodynamique correcte et stable.

Mais depuis maintenant quelques années, leur champ de compétences s’élargit encore. Ils sortent des blocs opératoires pour apporter leur expertise en assistance cardiaque et/ou respiratoire aux patients de réanimation et font partie intégrante, avec le chirurgien et le médecin réanimateur, de l’Unité Mobile d’Assistance Circulatoire (UMAC). Ils apportent ainsi aux patients en détresse vitale dans les centres non équipés de cette CEC de sauvetage leur expertise sur la pose, et assurent leur transport inter-hospitalier, leur suivi et un support technique H24.

Pour compléter cette liste, non exhaustive, ils participent à la formation des professionnels de santé, à la recherche clinique, et à l’enseignement universitaire.

La formation


C’est un métier exigeant où la moindre erreur ou mauvaise décision peut entraîner de graves conséquences pour le patient. Malgré des connaissances approfondies en physiologie, biomécanique, biomatériaux ainsi qu’en informatique médicale et le Décret n° 2006-78 du 24 janvier 2006 du code de la santé publique qui impose la présence d’un perfusionniste pour pouvoir réaliser des interventions de chirurgie cardiaque, il n’existe pas de formation officielle. Les perfusionnistes sont formés par leurs pairs sur une durée d’une année en moyenne. Cette formation par compagnonnage peut être complétée par un diplôme universitaire dispensé par l’université de Bordeaux ou de Paris.

Pour harmoniser la formation et les pratiques, un Master en santé, parcours CEC et Assistances Circulatoire a vu le jour il y a 2 ans à la Sorbonne Université. Les premiers diplômés sont sortis cette année et ont retrouvé leur quotidien, mais avec la même fiche de paye.

Des responsabilités et des prérogatives hors normes pour des paramédicaux, une formation niveau master et … ? Et c’est tout. Il n’existe pas de cadre juridique, pas de grille de rémunération ni même de décret de compétence.

Vers une reconnaissance ?


Actuellement,  l’article R4311-9 du code de la santé publique autorise les infirmiers à pratiquer cet acte : «  […] Préparation, utilisation et surveillance des appareils de circulation extracorporelle ». Or, nous avons vu que la liste des compétences des perfusionnistes ainsi que l’autonomie dont ils disposent, va dans le sens d’un métier à part entière. Il ne peut plus se limiter à être décrit par une seule phrase dans le décret de compétence infirmier. De plus, il correspond pleinement à la définition d'un nouveau métier ou d’un métier intermédiaire que l’on retrouve dans le rapport de l'IGAS n° 2021-051R  (page 119).

Pour résoudre ce paradoxe d’une profession hyperspécialisée et hypertechnique régie par un cadre juridique obsolète, la SFACECC, en septembre 2021, a pris contact avec la DGOS qui « entend » la problématique des perfusionnistes,  propose de redéfinir le métier et s'engage à apporter des solutions quant à un statut. Ce premier contact restera le dernier et les belles promesses sans suite malgré des relances et des courriers aux députés au début de l'année 2022

Plus récemment, des courriers au Ministre de la Santé, au Ministre délégué aux professions de santé, à la Directrice et DRH de la DGOS ont été de nouveau envoyés au début du mois de novembre. Ils restent, pour l’heure, sans réponse.

Malgré la sourde oreille des instances de tutelle, la SFACECC, après un travail de plusieurs années et la création d'un référentiel de compétences est en mesure de faire des propositions concernant la grille indiciaire, l'éthique et la certification des perfusionnistes.

En parallèle, des initiatives locales voient le jour comme au CHU de Bordeaux où M. Matthieu Girier directeur du pôle des ressources humaines, conscient de la problématique d’attractivité à venir de cette profession, propose son aide au niveau local, mais également national et soutient son équipe bordelaise dans leurs démarches.

Nous espérons que cette initiative produira bientôt la même prise de conscience de ses collègues DRH des autres établissements français.

Il nous semble légitime, à la vue des responsabilités, du niveau de formation universitaire (BAC+5), de l’autonomie et des compétences particulières des perfusionnistes, de pouvoir prétendre à la juste reconnaissance de ce métier et à la grille indiciaire qui va avec.


Laurent Mathieu

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Vos réactions (3)

  • Perfusionnistes

    Le 29 novembre 2022

    Une reconnaissance indispensable ! Que de chemin à parcourir !
    Courage à tous...

    Marie-Claude Milhau, IDE

  • "Para"médicaux...

    Le 30 novembre 2022

    Depuis des années ces professionnels souffrent d'une méconnaissance de leur responsabilité dans l'anticipation et la continuité des prises en charge. Universitaires ou pas, nous avons souffert d'une méprise des diplômes universitaires par les différents gouvernements...
    Je soutiens cette démarche, en espérant qu'elle aboutisse et qu'elle se positive.

    S Desmoulins, IDE

  • Perfusionnistes

    Le 03 décembre 2022

    Personnel indispensable à la qualité des soins des CEC alors pourquoi attendre pour reconnaitre ces personnes tant sur le plan professionnel que sur leur rémunération !

    Dr Alain VANHOVE (Pharmacien, Médecin, AIHParis)

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