Chlordécone : encore de nombreuses zones d’ombre

Pointe-à-Pitre, le mardi 7 mars 2023 – Un nouveau rapport parlementaire pointe les nombreuses incertitudes qui persistent quant aux conséquences sanitaires de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles

Depuis vingt ans qu’études, enquêtes et rapports se succèdent pour décrire les conséquences sanitaires et écologiques de l’utilisation, entre 1972 et 1993, de la chlordécone, un puissant pesticide, dans les bananeraies des Antilles Françaises, on pourrait penser que ce scandale sanitaire majeur aurait déjà révélé tous ses secrets. Mais le dernier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), présenté vendredi dernier au Sénat, indique qu’il existe encore des incertitudes sur l’ampleur réel de cette catastrophe environnementale, treize ans après le premier rapport de cette même institution sur ce sujet. Les progrès de la recherche sont « réels » mais « trop lents au regard des attentes de la population » résume la sénatrice LR Catherine Procaccia, auteure du rapport.

Le document se penche d’abord sur la question de la prévalence de l’intoxication à la chlordécone parmi les Antillais. En 2014, une étude avait montré que 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens présentaient de la chlordécone dans le sang. Mais comme le rappelle la sénatrice, non seulement ces relevés « datent de 10 ans », mais surtout une chlordéconémie élevée « ne veut pas dire qu’on est malade ». Si une autre étude avait estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des martiniquais avaient un taux de chlordécone supérieur à la valeur toxicologique de référence fixée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), Catherine Procaccia espère que la généralisation du dosage de la chlordécone aux Antilles depuis 2020 permettra d’agréger de nouvelles données.

Un lien à préciser avec la prématurité et le risque de trouble neurodéveloppemental

Des incertitudes demeurent également sur les conséquences pour la santé de l’exposition au chlordécone. Certes, le lien de causalité entre l’utilisation de ce pesticide et la survenue de cancer de la prostate est désormais bien établi (la Guadeloupe et la Martinique présentent les taux de prévalence de ce cancer les plus élevés au monde) et cette pathologie est depuis 2021 reconnue comme maladie professionnelle pour les anciens employés des bananeraies. Mais ce « focus » sur le cancer de la prostate a occulté les autres effets néfastes de la chlordécone sur la santé regrette Catherine Procaccia. Une étude récente a notamment mis en lumière le lien entre l’exposition à ce pesticide pendant la grossesse et un risque accru de prématurité et de trouble du neurodéveloppement chez l’enfant. Une piste qu’il faut continuer à explorer selon le rapport.

Autre question qui reste à élucider, celui de l’impact environnemental et de la pollution des sols. Bonne nouvelle, les dernières découvertes en la matière semblent indiquer que la dégradation naturelle du chlordécone est deux fois plus rapide qu’espéré initialement et que toute trace du pesticide pourrait avoir disparu des sols d’ici la fin du siècle. En revanche, concernant la pollution des rivières, c’est le plus grand flou et le rapport ne peut que se contenter de préconiser de poursuivre les études dans ce domaine. Si plusieurs mécanismes de dépollution des sols sont déjà à l’étude (utilisation de bactéries, de réducteurs chimiques, de compost…), ils doivent encore faire l’objet de tests en condition réelle pour « ne pas susciter de faux espoirs » chez les habitants estime Catherine Procaccia.

L’Etat défaillant dans sa gestion de la crise

Au-delà de ces interrogations scientifiques, le rapport se montre très sévère concernant l’action de l’Etat. Sans évoquer la question polémique des prolongations d’autorisation d’utilisation de la chlordécone au début des années 1990, Catherine Proccacia estime que la métropole a fait preuve de nombreuses défaillances dans sa gestion sanitaire de la situation, aggravées par une communication « inefficace » qui a alimenté la « colère et la défiance » de la population. « La liste des erreurs est plus longue que celle des actions efficaces » commente amèrement la sénatrice.

Enfin, le rapport de l’Opesct se conclut par une liste de 24 recommandations, concernant la recherche, la communication et la chlordéconémie. Des recommandations qui pourront s’appuyer sur le quatrième plan chlordécone, lancé en 2021 et prévu jusqu’en 2027. A ce titre, Catherine Proccacia termine sur une bonne note, rappelant que ce plan peut se targuer d’un budget en hausse de 20 % par rapport à ses prédécesseurs, tandis qu’il donne enfin un rôle aux représentants de la société civile.

Rappelons que, sur un plan judiciaire, les nombreuses plaintes d’habitants et d’associations de défense de l’environnement ont abouti le 6 janvier dernier à une décision de non-lieu de la part des juges d’instruction parisien, après 14 ans d’enquête. Dénonçant un « déni de justice », les parties civiles ont fait appel de cette décision. Trente ans après la fin de l’utilisation de la chlordécone aux Antilles, l’affaire devrait encore faire couler beaucoup d’encre.

Grégoire Griffard

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