Chloroquine : un débat intense en ville et à l’hôpital
Paris, le vendredi 27 mars 2020 - Comme dans le dessin de
Caran d’Ache publié en 1898 dans le Figaro en pleine Affaire
Dreyfus : lorsqu’un chef de service somme ses collaborateurs de «
ne surtout pas parler de la chloroquine » ils
finissent tous par se battre après en avoir parlé…
L’hydroxychloroquine sème ainsi la pagaille partout où elle
est évoquée, de la réunion (virtuelle) de famille au plus haut
sommet de l’État.
Un décret pour « protéger » les patients chroniques
Pas sûr que le décret publié hier permette d’apaiser ces
tensions.
Le texte prévoit la limitation de la délivrance de
l’hydroxychloroquine en officine à des indications médicales
strictes (polyarthrite rhumatoïde, lupus, et en prévention des
lucites), et l'interdiction de l'exportation des spécialités
contenant de l'hydroxychloroquine, mais aussi des médicaments
contenant l'association lopinavir/ritonavir (utilisée dans le
traitement du VIH), antiviraux eux aussi expérimentés contre le
Covid-19.
Il s'agit « d’éviter les risques de rupture » à cause
de la multiplication d’ordonnances « sans aucune
justification » a indiqué le Dr Dominique Martin, directeur
général de l'ANSM (Agence nationale de sécurité du
médicament).
Le décret confirme aussi, comme annoncé par le ministre de la
Santé Olivier Véran, qu'à titre dérogatoire «
l'hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ritonavir
peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la
responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le Covid-19
(…) dans les établissements de santé qui les prennent en charge
». Cependant, le texte va plus loin que les déclarations initiales
du ministre, puisqu’il ne fait pas mention d’une limitation à des
cas sévères, et n’impose pas de décision collégiale. Par ailleurs,
il prévoit que les médicaments visés pourront être délivrés aux
patients ayant reçu une première prescription hospitalière «
pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et
sur autorisation du prescripteur initial, à domicile
».
Ces mesures s’écartent donc en partie de l'avis du Haut
conseil de la santé publique (HSCP) qui recommandait d’exclure,
hors protocole d'essai, l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour
la prise en charge du Covid-19 sauf « pour les cas présentant
des signes de gravité ».
Cette dernière restriction, qui n’a donc pas été reprise dans
le texte du décret, avait d’ailleurs fait bondir les fervents
partisans de la chloroquine, dont le plus célèbre, le Pr Raoult,
qui assure que c’est à la phase précoce de l’infection par le
SARS-CoV-2 que l'hydroxychloroquine est efficace.
La difficile mise sur orbite de Discovery
L'espoir qu'a fait naître l'infectiologue Didier Raoult
perturbe également la grande étude Discovery* qui est en
train de recruter des patients. Ainsi, comme ils en
témoignent dans les colonnes de l’Express, les
infectiologues de l’hôpital Bichat se sont heurtés au refus de
plusieurs malades. « Il y a un tel tapage médiatique irrationnel
que certains patients refusent d’être enrôlés dans l’essai
Discovery parce qu’ils ne veulent pour traitement que de
l’hydroxychloroquine » peste le professeur Xavier Lescure,
infectiologue à Bichat. « Malgré tout le respect que j’ai pour
lui, Raoult gêne la réalisation d’une recherche méthodologique
robuste. On ne peut colporter des certitudes et jouer avec l’espoir
des gens. Il nous fait perdre du temps » poursuit-il.
Directeur du consortium REACting, dédié à la réponse aux
maladies infectieuses, qui coordonne l’essai clinique européen, le
professeur Yazdan Yazdanpanah (CHU Bichat, Paris) confie sa
stupéfaction : « les refus viennent des patients mais aussi de
leurs médecins ! ». Une attitude incompréhensible pour l’expert
qui estime que les études sont très loin de prouver l’efficacité de
l’hydroxychloroquine : « in vitro, dans les tubes à essai, tous
les traitements marchent contre le Covid »,
insiste-t-il.
Rappelons en effet que si une étude du Pr Raoult et des
travaux d’une équipe chinoise ont mis en avant des résultats
positifs, d’autres, comme ceux commentés le 26 mars dans le JIM ont
conclu à l’inefficacité de ce traitement.
Ils en ont parlé
Au-delà des travaux de recherche, « l’affaire de la
chloroquine » perturbe également la pratique quotidienne.
Ainsi, dans le Nouvel Observateur, un réanimateur du centre
hospitalier régional Metz-Thionville, le Docteur Damien Barraud
fait part de sa colère et dit en vouloir au Pr Raoult pour ses
déclarations tonitruantes.
« Sa communication effroyable nous a fait perdre du temps,
elle a aussi désorganisé nos services. On essayait tous de tirer
dans le même sens et maintenant, il y a des soignants qui
s’enguirlandent pour avoir ou pas de la chloroquine (…). Il est
urgent que chacun se reprenne, garde la tête froide, que les gens
se mettent à travailler ensemble, dans des cadres clairs, pour
stopper cette fuite en avant du scoop scientifique qui ne produit
que de la science de mauvaise qualité ».
Un point de vue bien entendu contredit par d’autres
cliniciens. Ainsi, pour le Pr Perronne (CHU Raymond Poincaré,
Garches) : « il y a urgence sanitaire. C’est très bien de faire
des études, mais les malades en état grave ne peuvent pas attendre.
Il faut en donner dès maintenant aux patients. »
La polémique ne s’arrête nullement aux frontières françaises.
Outre-Atlantique, où l’épidémie commence à prendre des proportions
importantes, un médecin de ville qui a fait parler de lui ces
dernières heures, le Dr Zev Zelenko exerçant à Monroe dans l’état
de New York, vient d’écrire une lettre ouverte à l’intention du
président Trump dans laquelle il explique avoir traité par
hydroxycloroquine, azythromicine, et sulfate de zinc, 500 patients
présentant les symptômes du Covid-19.
Selon lui aucun de ces patients n’a nécessité de placement en
réanimation et aucune victime n’est à déplorer…Depuis, ce courrier
agite les débats aux Etats-Unis et Zev Zelenko pourrait devenir
dans les heures à venir le « Raoult » américain, celui qui
fait espérer et qui tout en même temps irrite par sa parole
publique.
Affaire à suivre, sans aucun doute.
EDIT (27 mars - 20h30) : Dans une nouvelle version, publiée
ce 27 mars en fin de journée, le texte du décret a été modifié une
nouvelle fois et précise désormais que les prescriptions doivent
être limitées aux cas graves, se rapprochant finalement de l'avis
du Haut conseil de la Santé publique.
Sans risque majeur et on a rien d'autre à proposer
Le 27 mars 2020
Je ne sais absolument pas si le traitement du Pr Raoult est efficace. Ce que je sais est qu'il est sans risque majeur et qu'on a rien d'autre à proposer. S'il est vraiment inefficace, le meilleur moyen de confondre le Pr Raoult est de laisser tout le corps médical le prescrire et dans 15 jours le Pr Raoult est scientifiquement tué; ses ennemis le savent bien, ce qui rend suspecte leur opposition farouche. Si en 39/45 on avait attendu l'invention de la bombe atomique pour se défendre...On en est pourtant là.
Dr Guy Alessandri
Une nuance qui n'est pas que sémantique
Le 27 mars 2020
"Rappelons en effet que si une étude du Pr Raoult et des travaux d’une équipe chinoise ont mis en avant des résultats positifs, d’autres, comme ceux commentés le 26 mars dans le JIM ont conclu à l’inefficacité de ce traitement." F Haroche
Il me semble que le CR fait le 26/03 dans le JIM de l'étude chinoise (que je n'ai pas lue) comparant divers traitements ne conclut pas et ne permet pas de conclure à l'inefficacité du traitement par Chloroquine, mais seulement qu'elle n'a pas montré de différence d'évolution entre les groupes. Dans un débat hélas devenu polémique et attristant la rigueur aidera peut être à revenir à l'essentiel, l'intérêt général des patients et de toute la communauté.
Dr VP
Dysfonctionnements irratrappables
Le 27 mars 2020
Encore une fois, l’action met en lumière l’idée, parfois implicite, qui court chez les décideurs, enfin tout du moins chez ceux qui écrivent les actes réglementaires et assurent effectivement la fonction d'information des pouvoirs publics élus et de mise en œuvre de leurs politiques.
La décision de faire de la prescription hors AMM du Plaquenil en cas de Covid19 un monopole hospitalier peut se lire à plusieurs niveaux.
Le premier, bien compréhensible, et louable, est de ne pas entraîner de pénurie pour ceux bénéficant de prescriptions conformes à l’AMM dans les cas de lupus ou de PR, soucis d’approvisionner correctement l’officine de médicaments indispensables. Soit.
Le second est bien entendu le monopole donné à l’hôpital qui, rappelons nous en, accueille les formes graves de Covid19 pour les prescriptions hors AMM, alors même qu’il est très clair que l’idée derrière l’intuition du Dr Raoult est de traiter les formes non encore compliquées, d’y réduire la durée de la charge virale détectable, quand celle ci est souvent nulle dans les cas sévères, avec l’espoir qu’une telle diminution permettra à la majorité des patients ainsi traités de ne pas faire de complications graves.
La machine conseilleuse-décideuse, c’est à dire les conseillers qui donnent les idées administrativo-compatibles et les instances administratives tout unis, délivre encore une fois un signal, fruit, comme je le disais précédemment, d’une perception partielle de ce qu’est un système de santé, avec l’idée que son vrai centre est l’hôpital. Ainsi je crains que le « choix » de faire peu de test PCR découle de cette idée, de n’utiliser que ce sur quoi on croit avoir la main.
L’autre option, outre certainement des difficultés logistiques importantes, mais d’autres pays les ont surmonté, aurait entraîné la dissémination des ressources PCR bien au-delà de « centres référents » hospitaliers.
De telles idées préconçues, sous-jacentes et probablement inconscientes ont de multiple effets, et, chaque fois qu’une décision doit être éclairée par la machine administrative, il joue.
La tactique imaginée par Didier Raoult implique une dissémination du diagnostic PCR et de la prescription du traitement préconisé (hydroxychloroquine + azythromycine), qui ne peut plus être centralisé ni confinées au seul Hôpital. Elle heurte de plein fouet la préconception administrative, propagée aux décideurs politiques administrativo-requérants (ce qui est toujours le cas, surtout s’ils manquent d’inspiration). La ténacité des préjugés, l’opiniâtreté de la couche administrative à persévérer dans une vision partielle de la réalité des ressources du système de santé étonne... Je prends connaissance à la minute d’une interview du Pr Raoult ( https://marcelle.media/2020/03/26/covid-19-entretien-avec-celui-qui-est-au-coeur-des-polemiques-didier-raoult/ ). J’en extrais ceci :
Question :Qu’est-ce qui, selon vous, empêche de généraliser ces tests et ces examens au scanner à l’ensemble du pays ? Réponse :C’est d’abord une question de volonté politique et de mise en place logistique. Les moyens, nous les avons. Entre les laboratoires d’analyses privés, les laboratoires vétérinaires de très grande qualité que nous possédons, les médecins de ville et les infirmières libérales, tous qualifiés pour faire des prélèvements, ainsi que nos ressources hospitalières, il y a de quoi faire. Ici, nous ne sommes pas des extra-terrestres. Si nous arrivons à faire 2 000 tests par jour à l’IHU de Marseille je ne peux pas croire que la France entière ne soit pas capable de faire comme en Allemagne ou en Corée du Sud. 100 000 tests par jour, c’est ce dont nous aurions besoin et nous en sommes capables. Des tests PCR de base, hors épidémie, nous en faisons 300 000 par an à l’IHU.
Raoult évoque un panoramique de ressources mobilisables, qui vont bien plus large que la seule base hospitalière. Il voit large, et hors le cadre convenu.C'est ce qui convient en ces heures tragiques devant l'inconnu et l'exceptionnel.
Il faudra, le moment venu, faire la révision de ce qui s’est passé, et du pourquoi ça c’est passé ainsi, et au-delà des seuls lampistes élus. Pourquoi une procédure TINA (sans autre alternative) s’est imposée, et a diffusé, et pourquoi s’y est-on accroché.
Ceci que le Pr Raoult ait eu raison ou qu’il ait eu tort. La seule chose à retenir étant, s’il avait eu raison, est-ce que le plan qu’il proposait (et a mis partiellement en pratique) aurait pu, compte tenu des limitations conceptuelles constatées, être effectivement déployé.
Une grande partie des dysfonctionnements du système de santé a des racines conceptuelles, et sont le fruit de préjugés doctrinaux qu'aucune épreuve ne parvient, et on en a hélas la preuve, à dépasser. En conséquence aucune réforme de ce système pourra être efficace si les présupposés doctrinaux de l’organisation actuelle ne sont pas mis sur la table.