Cornée synthétique : une première européenne à Montpellier
Paris, le lundi 15 novembre 2021 – Montpellier est mondialement
connu pour être une ville historiquement liée à la médecine. C’est
d’ailleurs un médecin montpelliérain, Pellier de Quengsy, qui fut
l’un des premiers à évoquer la possibilité de traiter les patients
atteints de kératocône grâce à une kératoprothèse en
1789.
Il imaginait pour ce faire, comme nous le rappelle le Syndicat
national des ophtalmologistes français (SNOF), d’utiliser un
fragment de verre placé dans un anneau d’argent, tandis que le
dispositif serait suturé à la sclère. Plusieurs planches illustrent
cette technique en germe dans Précis ou Cours d’Opération sur la
Chirurgie des Yeux, publié en 1789.
Inéligible à la greffe
Plus de 230 ans après cette révolution (théorique), l’équipe
du Pr Vincent Daien, chef du service de chirurgie ophtalmologique
du CHU de Montpellier a réalisé une prouesse ce 10 novembre : la
première implantation européenne d’un nouveau type de cornée
artificielle, une cornée synthétique conçue par l’entreprise
israélienne CorNeat vision. Le patient âgé de 38 ans souffre d’une
kératite herpétique et était inéligible à la greffe : plusieurs
refus lui avaient été opposés. Cependant, le CHU de Montpellier
s’est tourné vers la société CorNeat vision afin d’intégrer un
essai clinique récemment lancé et qui doit inclure 45 patients dans
le monde : au Canada, aux Pays-Bas, en Israël et en
France.
Biomimétique
La cornée artificielle mise au point par CorNeat vision
utilise un matériau polymère-bio-intégrant « 100 % synthétique
non dégradable qui mime la microstructure de la matrice
extracellulaire (ECM), le maillage de collagène naturel (…).
Lorsqu’il est implanté, ce matériau stimule la prolifération
cellulaire conduisant à une intégration tissulaire progressive
», explique l’entreprise de biotechnologie sur son site. Ne
nécessitant donc le recours à aucun tissu exogène, l’autre atout de
la CorNeat KPro est qu’elle « s'intègre parfaitement à la paroi
du globe oculaire, sous la conjonctive » signale le CHU de
Montpellier. Cette conformation de la prothèse permet de limiter
considérablement le nombre de sutures nécessaires, tandis que la
récupération est rapide. La première CorNeat KPro a été implantée
au tout début de l’année en Israël, chez un patient âgé de 78 ans.
Les résultats ont été remarquables, puisque très rapidement Jamal
Furani, souffrant de cécité bilatérale (liée à un kératocône), a
été de nouveau capable de distinguer les silhouettes de ses proches
et de reconnaître des chiffres sur un diagramme
oculaire.
De longues années de recherche
Comme le rappelaient les écrits du Dr Pellier de Quengsy, les
travaux sur les cornées artificielles ont débuté il y a de
nombreuses décennies. Aujourd’hui, pour les patients non éligibles
à la greffe, des kératoprothèses sont parfois utilisées. Cependant,
« les résultats visuels sont médiocres, aussi rares sont les
situations où l’on a recours à ces kératoprothèses » nous
rappelait le Dr Jean-Philippe Théron (Institut ophtalmologie de
Solmain, établissement ELSAN) il y a quelques mois dans les
colonnes du JIM. Il relevait encore que « Les difficultés qui
sont liées au développement de cornées biologiques résident dans le
fait que l’on greffe le stroma cornéen et l’endothélium, des tissus
différents. Il faut donc trouver un protocole qui permette de
développer les deux tissus. (…) Même s’il y a des recherches, elles
sont encore limitées, ce qui rappelle l’importance des dons
d’organes et de tissus ». Dans cette course, l’élaboration et
l’implantation avec succès de la CorNeat KPro est une étape
importante.
Des besoins importants
Ces cornées artificielles répondent en effet à des besoins
importants rappelés par le CHU de Montpellier. « Certaines
pathologies ne sont pas éligibles à une greffe de cornée du fait
d'un risque de rejet trop élevé du greffon (néovascularisation
cornéenne, insuffisance en cellules souches limbiques…). Des
problématiques de durée de vie des greffes (82 % à 10 ans pour une
1èregreffe et 41% pour une 2èmegreffe transfixiante), de rejet de greffe, d'astigmatisme des
greffons, et dans de nombreux pays d'accès aux greffons, ont incité
au développement de cornées artificielles. Celle-ci pourrait être
dénuée de risque de rejet, avoir une durée de vie supérieure, et
offrir de meilleures performances optiques que les greffons de
donneurs », signale l’établissement. Par ailleurs, dans les
pays industrialisés, même s’il n’existe pas pour la cornée les
mêmes problématiques de pénurie que pour les autres greffons, «
on sait que les familles (de sujets décédés NDLR) ne sont pas
toujours enclines à donner les cornées, c’est un don symboliquement
plus complexe », nous rappelait le docteur Théron.