
Une étude transversale réalisée dans les USI de trois hôpitaux hollandais s’avère à cet égard riche en enseignements. Elle a inclus, entre le 7 mars et le 5 avril 2020, 184 patients (âge moyen 64 ± 12 ans ; hommes : 76 %), tous atteints d’une forme grave d’un Covid-19 biologiquement confirmé. Un critère global de jugement a été retenu regroupant les diagnostics suivants : embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde, AVC ischémique, infarctus du myocarde, embolie artérielle systémique. Dans tous les centres participant à cette étude, la même stratégie a été adoptée : les tests diagnostiques n’ont été utilisés que face à une thrombose artérielle ou veineuse cliniquement probable ou possible. La fréquence cumulée du critère global a été calculée, ainsi que celle des thromboses artérielles ou veineuses considérées séparément. Le suivi a été assuré jusqu’à la sortie de l’USI, au décès ou encore à la date de clôture de l’étude fixée au 5 avril 2020. Les facteurs prédictifs de ces complications ont été étudiés au moyen d’une analyse par régression logistique conditionnelle.
Près d’un patient sur trois est concerné par une complication thrombotique
Vingt-trois décès (13 %) ont été déplorés, cependant que 22 patients (12 %) ont quitté les USI. Au 5 avril, la majorité des participants (n = 139 ; 76 %) était encore hospitalisée. La durée médiane de la période d’observation par patient a été de 7 jours (écart interquartile, EIQ, 1-13). Dans tous les cas, un traitement anticoagulant a été prescrit à des doses au moins prophylactiques compte tenu de l’alitement prolongé, mais les protocoles étaient un peu différents d’une USI à l’autre. Par ailleurs, les doses administrées ont augmenté avec le temps dans la plupart des cas.La fréquence cumulée de toutes les complications thrombotiques réunies dans le critère global a été estimée à 31 % (intervalle de confiance à 95 % IC 95 % 20-41 %). Dans la majorité des cas (27 % ; IC 95 % ; 17-37 %), il s’est agi d’une embolie pulmonaire confirmée par angioscanner ou d’une thrombose veineuse profonde (dont deux sur un cathéter implanté au niveau d’un membre supérieur) évoquée par écho-doppler. Les thromboses artérielles ont été le fait de 3,7 % (IC 95 % 0-8,2 %) des participants, donc fréquentes, ce qui ne saurait être attribuée au décubitus prolongé, mais bien au tropisme vasculaire de la maladie.
L’embolie pulmonaire surtout
De toutes les complications thrombotiques enregistrées, c’est l’embolie pulmonaire qui l’emporte en termes de fréquence puisque ce diagnostic a été posé chez 25 patients (81 %). En analyse multivariée, deux variables indépendantes se sont avérées prédictives de ces thromboses éparses. En premier lieu, l’âge avec un hazard ratio ajusté (HRa) de 1,05 par année (IC95 % 1,004- 1,01). En second, l’existence d’une coagulopathie évoquée devant une prolongation du temps de prothrombine > 3 s ou un temps partiel de thromboplastine activé > 5, 1 s : dans ce cas de figure, le HRa a été estimé à 4,1 (IC 95 % 1,9-9,1).Cette étude transversale confirme la grande fréquence des complications thrombo-emboliques chez les patients hospitalisés en USI du fait d’une forme grave de Covid-19. Certes, la réanimation lourde incluant une ventilation assistée est propice à de telles complications, mais il faut souligner leur survenue alors même qu’une anticoagulation prophylactique a été instaurée. Le tropisme vasculaire du SARS-CoV-2 n’est probablement pas étranger à cet état de fait.
En pratique, plutôt que forcer sur le traitement anticoagulant-ce qui n’est pas sans risque- il convient d’être vigilant sur le plan clinique en recherchant le moindre signe de thrombose périphérique ou d’embolie pulmonaire… ce qui n’est pas toujours aisé chez les patients intubés et ventilés. L’écho-doppler veineux des membres inférieurs s’avère précieux dans un tel contexte mais l’angioscanner pulmonaire l’est tout autant en cas de forte suspicion clinique ou biologique d’embolie.
Dr Philippe Tellier