
Paris, le lundi 20 avril 2020 - S’il est admis que le
bon contrôle des symptômes de l’asthme limite les risques de
présenter une poussée inflammatoire en cas d’infection virale,
qu’en est-il avec le Sars-CoV-2 ? La Docteure Marie-Pascale
Schuller pneumologue et membre de l’association Santé Respiratoire
France nous éclaire sur les possibles raisons de l’apparente
résistance des patients asthmatiques. Marie-Pascale Schuller est
également responsable scientifique de la Gregory Pariente
Foundation, qui depuis le début de l'épidémie, insiste notamment
auprès des jeunes patients asthmatiques afin de leur rappeler
l'importance d'une bonne observance de leurs traitements en cette
période particulière sans craindre notamment le recours aux
corticoïdes inhalés.
JIM.fr : Les patients asthmatiques sont-ils plus à risque
de contracter le Sars-CoV-2 ?
Docteure Marie-Pascale Schuller : Avec les données que
nous avons actuellement, nous pouvons dire qu’être un patient
asthmatique n’est pas un facteur de risque d’une infection à
Covid-19. Les corticoïdes inhalés sont des facteurs d’équilibre de
l’asthme et donc avoir un asthme équilibré est un facteur de
moindre risque de développer une forme grave. Un asthmatique bien
équilibré avec un corticoïde inhalé va réduire la réaction
inflammatoire et va être comme quelqu’un de non asthmatique. Il ne
réagira pas de façon disproportionnée par rapport à l’inflammation
de ses bronches.
Des données expérimentales et observationnelles
JIM.fr : La fréquence des formes cliniques sévères de la
Covid-19 est-elle plus importante chez les patients asthmatiques ?
Les corticoïdes ont-ils un effet bénéfique ou au contraire sont-ils
un facteur aggravant ?
Docteure Marie-Pascale Schuller : Pour l’instant, nous
avons deux niveaux de réponses. Le premier niveau est expérimental.
Nous avons quelques arguments venant d’études in vitro indiquant
que le traitement des asthmatiques pourrait être protecteur
vis-à-vis de l’infection à Covid-19. Il s’agit en particulier de
deux molécules, le budésonide, corticoïde qui diminue la réponse
inflammatoire de l’épithélium bronchique. L’association du
budésonide au formotérol serait efficace pour diminuer la
réplication du coronavirus (mais pas démontré spécifiquement avec
le SARS-CoV-2). Une recherche clinique est en cours actuellement
pour valider cette hypothèse expérimentale. Plus récemment encore
des chercheurs japonais du National Institute of Infectious
Diseases ont montré l’effet du ciclésonide, autre corticoïde
inhalé, qui bloque la prolifération du SARS-CoV-2 dans des cellules
humaines. Ceci nécessite confirmation et surtout évaluation des
potentiels bénéfices chez l’être humain. Le deuxième niveau
provient d’autres études chinoises portant sur le suivi de patients
hospitalisés. La première étude publiée par nos collègues chinois
ne retrouve aucun patient allergique ni asthmatique parmi les 140
patients infectés par le Sars-CoV-2 et hospitalisés. Nous savons
qu’en Chine, la prise en charge de l’asthme se fait principalement
par corticoïdes inhalés. Cela va ainsi dans le même sens que les
expérimentions in vitro. Après ces premières données
chinoises, nous commençons aujourd’hui à avoir des premiers retours
épidémiologiques au niveau de l’Europe. Bien que cela ne soit pas
encore publié dans les grandes revues scientifiques, nos collègues
italiens communiquent sur la faible proportion de patients
asthmatiques hospitalisés. De même, nos collègues du Grand Est
n’ont pas eu plus de patients asthmatiques hospitalisés parmi les
patients Covid-19 hospitalisés, à la différence de ce qui est
habituellement observé avec d’autres viroses comme la grippe. Les
patients asthmatiques ne font pas de formes plus graves que les
autres.
Le Sars-CoV-2 s’attaquerait plus spécifiquement aux cellules profondes du poumon : les pneumocytes
Le Pr De Blay, pneumo-allergologue, évoque dans une interview
les découvertes très récentes du mécanisme d’infection spécifique
du Sars-CoV-2 qui s’attaquerait plus spécifiquement aux cellules
profondes du poumon (les pneumocytes), alors que le virus de la
grippe et les autres virus respiratoires s’attaquent
préférentiellement à celles qui recouvrent les parois des bronches
(épithélium bronchique), celles-là mêmes qui sont inflammatoires
dans l’asthme. Et donc, il ne faut pas inclure les patients
asthmatiques dans la même catégorie que les patients insuffisants
respiratoires qui eux sont à risque de développer une forme grave
d’infection à Covid-19, comme j’ai pu voir cela dans un communiqué
de la HAS sur son site en date du 10 avril. A partir des études
expérimentales et des premiers retours que nous avons, un patient
asthmatique n’a donc pas plus de risque d’avoir une infection à
Covid-19 que chez un autre patient et nous n’avons pas plus de
patients asthmatiques dans les formes sévères. Bien entendu, nous
parlons de patients asthmatiques légers à modérés et non des
patients asthmatiques immunodéprimés suite à une consommation trop
fréquente de corticoïdes oraux.
JIM.fr : Vous suivez en téléconsultation les patients
infectés par le Sars Cov2 qui sortent d’une hospitalisation.
Qu’avez-vous remarqué concernant les patients asthmatiques
?
Docteure Marie-Pascale Schuller : L’effet protecteur
des corticoïdes inhalés, je le ressens aussi en consultation. J’ai
très peu de patients asthmatiques parmi l’ensemble de mes patients
sortant d’hospitalisation. L’asthme en soit ne représente pas un
problème s’il est bien traité chez les patients asthmatiques
hospitalisés.
JIM.fr : Par rapport aux corticoïdes inhalés, quels
conseils donnez-vous aux patients Covid + et aux patients Covid -
?
Docteure Marie-Pascale Schuller : Que des patients
asthmatiques soient infectés par le Sars-CoV-2 ou pas, il n’y a
aucun changement dans leur traitement. Ils doivent être traités
pour leur asthme afin que leur niveau d’hyper réactivité bronchique
soit contrôlé.
JIM.fr : La période pollinique s’installe en pleine
pandémie et s’ajoute, avec le confinement, à une forte exposition
des patients asthmatiques à la pollution intérieure et aux
acariens. Que leur recommandez-vous ?
Docteur Marie-Pascale Schuller : Je recommande à mes
patients de prendre un traitement antihistaminique et un traitement
avec une bithérapie inhalée pour qu’ils ne soient pas gênés au
niveau de leur asthme car tous les facteurs sont là pour que leur
asthme s’aggrave en cette période de confinement. Je préfère
traiter mes patients un peu plus que ce que les recommandations
internationales nous disent de faire mais au moins cela permet de
les protéger sur cette exposition des bronches aux allergènes. Les
patients reçoivent bien ce message. En leur expliquant que les
données préliminaires indiquent que les corticoïdes auraient un
effet protecteur sur les bronches vis-à-vis d’un risque
inflammatoire, cela permet de réduire leur peur habituelle
vis-à-vis de ces médicaments.
JIM.fr : Quels messages souhaiteriez-vous transmettre
?
Propos recueillis par Alexandra Verbecq