
L’implication d’une atteinte myocardique dans la mortalité
associée au Covid-19 reste sujette à caution. Certes il existe des
arguments épidémiologiques plaidant en faveur d’une possible
localisation cardiaque, mais cette dernière est-elle à l’origine
d’une surmortalité ou aggrave-t-elle essentiellement le tableau
clinique ? Une étude de cohorte prospective menée au sein de
l’hôpital universitaire de Wuhan (Hubei, Chine) entre le 20 janvier
et le 10 février 2020 (avec suivi jusqu’au 15 février 2020) apporte
des réponses à ces interrogations.
Juste une élévation de la troponine plasmatique
Ont été inclus 416 patients (âge médian 64 ans, extrêmes 21-95
; femmes : 50,7 %) présentant tous une forme sévère ou cliniquement
patente du Covid-19 confirmée sur le plan biologique. Les
principaux symptômes de la maladie étaient les suivants : fièvre (n
= 334 ; [80,3 %]), toux (n = 144 [34,6 %]), et dyspnée (n =117
[28,1%]). Une atteinte myocardique a été diagnostiquée chez 82
patients (19,7 %) devant une élévation significative des
concentrations plasmatiques de la troponine cardiaque
ultrasensible, hs-TnI (> 99ème
percentile de la limite supérieure de référence), indépendamment de
toute anomalie ECG ou échocardiographique.
Le groupe caractérisé par une atteinte myocardique se
distinguait du reste de la cohorte sur le plan démographique et
clinique :
(1) âge médian plus élevé, soit 74 ans [34-95] vs 60
[21-90] ans ; p < 0,001) ;
(2) comorbidités plus fréquentes, par exemple HTA (49/82 [59,8
%] vs 78/334 [23,4 %] ; p < 0,001).
La valeur médiane des concentrations plasmatiques de
nombreuses variables biologiques différait (p < 0,001 dans tous
les cas) :
(1) leucocytose : 9 400/ml [écart interquartile 6900-13 800]
vs 5 500 [4200-7400] ;
(2) C-reactive protein : 10,2 [6,4-17,0] vs 3,7
[1,0-7,3] mg/dl ;
(3) procalcitonine :0,27 [0,10-1,22] vs 0,06
[0,03-0,10] ng/ml ;
(4) créatinine kinase : 3,2 [1,8-6,2] vs 0,9 [0,6-1,3]
ng/ml ;
(5) myoglobine : 128 [68-305] vs 39 [27-65] μg/l ;
(6) hs-TnI : 0,19 [0,08-1,12] vs < 0,001.
De graves conséquences pronostiques
Le recours à la ventilation assistée a été cinq fois plus
fréquent en cas d’atteinte myocardique, intéressant 18/82 (22,0 %)
versus 14/134 (4,2 %) patients (p < 0,001).
Les complications tant cliniques que biologiques ont été
également beaucoup plus fréquente en cas d’atteinte myocardique
:
(1) syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA): 48/82
[58,5 %] vs 49/334 [14,7 %] ; p < 0,001) ;
(2) insuffisance rénale aiguë : 7/82 [8,5 %] vs 1/334
[0,3 %]; p < 0,001) ;
(3) désordres hydro-électrolytiques (13/82 [15,9 %] vs
17/334 [5,1%]; p = 0,003) ;
(4) hypoproteinémie (11/82 [13,4 %] vs 16/334 [4,8 %]; p =
0,01 ) ;
(5) troubles de la coagulation (6/82 [7,3 %] vs 6/334 [1,8 %]
; p = 0, 02).
Par ailleurs, l’atteinte myocardique a été associée à une
surmortalité hospitalière, soit 42/82 [51,2 %] vs 15/334
[4,5 %] ; p < 0,001). L’analyse des données selon la méthode des
risques proportionnels de Cox a fait apparaître que cette
surmortalité était significative aussi bien à partir du début des
symptômes (hazard ratio, 4,26 [IC95 % 1,92-9,49]) qu’entre
l’admission et la fin du séjour hospitalier quel qu’en soit le mode
(hazard ratio, 3,41 [IC95 %, 1,62-7,16]).
Dr Philippe Tellier