
Quatre fois moins de fumeurs parmi les patients atteints de Covid-19
Pour tenter d’apporter quelques éclaircissements, la base de données PubMed a été appelée à la rescousse ; 432 études évoquant l’épidémie de Covid, enregistrées jusqu’au 1er avril 2020, ont été identifiées ; 13 seulement décrivaient les caractéristiques cliniques –notamment le tabagisme- des patients inclus. Leur nombre total est de 5 960 (hommes : 55,1 % ; âge médian < 59 ans) hospitalisés en raison d’un Covid-19. Aucune étude n’a fourni d’informations sur l’usage de la cigarette électronique. La prévalence du tabagisme par cigarettes classiques s’est avérée faible, comprise entre 1,4 % et 12,6 % selon les études, ce qui est effectivement très bas si l’on compare aux chiffres enregistrés en Chine, tout au moins si l’on se réfère aux hommes. En poolant les résultats dans le cadre d’une méta-analyse à effets aléatoires, la prévalence peut être alors estimée à 6,5 % (intervalle de confiance à 95 % : 4,9-8,2 %) … soit le quart de celle observée dans la population générale masculine.Des hypothèses plus ou moins fumeuses
Que penser de ces chiffres préliminaires ? En premier lieu : le tabagisme ne serait pas un facteur de risque du Covid-19. En second lieu mais en filigrane, le tabagisme pourrait être un rempart face au SARS-CoV-2. En faveur de cette hypothèse pour le moins audacieuse, figurent les chiffres recueillis aux Etats-Unis qui sont devenus en peu de temps le nouvel épicentre de la maladie. La faible prévalence du tabagisme –1,3 %- chez 7 162 patients hospitalisés en raison du Covid-19 vient s’ajouter aux estimations précédentes : est-ce suffisant pour prétendre que la nicotine protégerait de l’infection ? Cette théorie pourrait s’appuyer sur les effets immunomodulateurs de la nicotine qui interagirait en outre avec le système rénine-angiotensine-aldostérone selon des mécanismes subtils qui ne sont pas tous connus.Ainsi, il semblerait que le tabac ou la nicotine puissent interférer avec l’expression du gène codant pour le récepteur de l’ACE2 dans les tissus pulmonaires ou bronchiques (2), lequel est mis à contribution par le SARS-CoV-2 pour s’attaquer au poumon. Selon certaines études expérimentales in vitro qui ne font pas l’unanimité, les effets délétères du SARS-CoV et du SARS-CoV-2 sur l’ACE2 pulmonaire et les lésions tissulaires induites par ces virus pourraient être atténués ou neutralisés par ceux de la nicotine ou du tabac de manière assez paradoxale (1). De ce fait, les auteurs préconisent d’évaluer rapidement l’intérêt thérapeutique potentiel de la nicotine (ou du tabac…) face aux formes sévères du Covid-19, ce qui témoigne d’un certain aplomb.
Des limites évidentes
Au-delà de ces spéculations, il faut s’interroger sur le rôle de facteurs de confusion multiples qui compliquent l’étude des données, d’autant qu’aucune analyse multivariée n’a été utilisée pour le faire. Il s’agit notamment de l’âge, du statut socio-économique, de la définition et de l’importance du tabagisme etc. En outre, la prise en compte des habitudes tabagiques dans le contexte des formes sévères de la maladie ne saurait prétendre être exacte.Dans ces conditions, il convient d’attendre d’autres études plus précises et plus complètes avant de se perdre en conjectures. Le tabagisme chronique protégeant des infections pulmonaires virales ? Ce serait une première, car c’est habituellement le contraire qui est observé, mais il y a un début à tout. En attendant d’autres preuves en faveur de cette position théorique, le wait and see est de rigueur…
Dr Philippe Tellier