
Le fait de penser avoir eu la Covid plus souvent prédictif que le résultat sérologique
Nous l’avons évoqué dans nos colonnes (voir Covid long : un pavé dans la mare publié le 15 novembre 2021) une équipe de l’Hôtel Dieu, qui a mis en place une consultation spécifique pour accompagner les patients présentant des symptômes persistants après une infection (avérée ou supposée) par SARS-CoV-2 a mené une enquête auprès de 30 000 personnes participant à la cohorte Constances (constituée en 2012). Les sujets étaient invités à préciser s’ils pensaient avoir eu la Covid (et si le diagnostic avait été confirmé biologiquement) et s’ils avaient présenté ou présentaient encore des symptômes persistants après plusieurs semaines. L’étude suggère après confrontation avec les données sérologiques que le risque de présenter des signes persistants est plus souvent associé au fait de penser avoir eu la Covid qu’à un test sérologique positif.Des faux positifs et négatifs en nombre si nombreux qu’ils invalideraient l’étude
Les nombreuses critiques sur cette étude se sont d’abord concentrées sur le manque de fiabilité des tests sérologiques. « Le problème se résume facilement : les tests ne fonctionnent pas comme le décrivent les auteurs. Les chercheurs reconnaissent que la procédure a généré des faux négatifs, et qu'environ 140 des participants avec des résultats de test d'anticorps négatifs avaient probablement néanmoins eu la COVID. Cependant, ce qu'ils omettent de reconnaître, c'est qu'il y avait également un taux important de faux positifs. Les auteurs signalent eux-mêmes qu’au moins 40 % de tous les résultats positifs d'anticorps pourraient probablement être erronés. Comme toute l’étude repose sur la comparaison des cas de COVID « confirmés en laboratoire » avec ceux « autodéclarés », de tels taux sont loin d’être négligeables. Près de la moitié des participants d’un des deux groupes comparés auraient dû être dans l'autre. C'est considérable », remarque le chercheur irlandais en psychologie Brian Hugues sur le site The Science Bit.Une réponse immunitaire altérée chez les patients atteints de Covid longue
D’autres experts, tant dans le monde qu’en France (ainsi que des lecteurs du JIM !) lui ont fait écho. Ainsi, cité par le Science Media Center britannique, le virologue Jeremy Rossman rappelle «Un test sérologique (...) n'est pas fiable comme marqueur d'une précédente infection». De son côté, le médecin interniste Jérôme Larché, qui prend en charge à Montpellier des patients atteints de Covid longue et qui a consacré sur Linkedin un article aux travaux publiés dans le JAMA relève pour Marianne : « On sait que les patients "Covid long" ont généralement une réponse immunitaire, humorale et cellulaire, déficiente. Ce qui rend la condition d’une sérologie positive bancale ».Si ce n’est pas la Covid, c’est peut-être autre chose avant d’être une croyance
L’autre biais méthodologique signalé par Brian Hugues concerne l’absence de recherche d’une autre cause virale par les chercheurs. « Et comme l'a souligné David Strain de l'Université d'Exeter, même si un participant n’avait en effet pas été atteint de Covid, cela ne signifie pas qu’il n’avait pas été infecté par un autre virus. Or, les symptômes rapportés pourraient avoir été causés par une autre infection. Mais les auteurs n'ont pas recherché d'autres infections, donc leur conclusion selon laquelle les symptômes de longue durée de ces personnes étaient probablement causés par des "croyances" tombe totalement à plat. Ils ne peuvent pas mettre en avant l’hypothèse d’une « croyance » à moins d'exclure d'abord d'autres explications, plus probables », s’indigne l’expert.Biais de confirmation
C’est en effet cette référence marquée à l’idée d’une « croyance » qui a, plus encore que les biais méthodologiques, suscité l’indignation. Jérôme Larché ironise : « Citant 44 fois le mot «beliefs » (croyances) dans leur article, les auteurs n’ont pourtant pas eu le courage d’afficher ouvertement leur opinion (le fait que les patients Covid long ne font que « croire » à leurs symptômes) mais n’hésitent pas à faire comprendre que cette hypothèse leur parait tout à fait probable ». Il regrette ainsi fortement cette «psychologisation implicite ». Certains spécialistes des troubles psychiques ont eux aussi regretté cette orientation, soutenue par la participation de psychiatres à l’étude, qui selon eux décrédibilise la psychiatrie et la psychologie. Ainsi, l’auteur du compte Twitter La psy révoltée (qui serait elle-même atteinte d’une Covid longue) s’est fortement irritée : « Notre boulot c’est d’écouter les gens, pas de les juger. Or quand vous jouez sur les mots en disant : « Non, mais on dit pas que les patients.e.s mentent, on dit juste que les symptômes ne sont réels par qu’iels les font exister », vous citez précisément la définition du psychosomatique et je tiens à vous rappeler que la psychosomatique est un diagnostic d’élimination (…). Ça veut dire que quand une pathologie est récente, est étayée par plus de 1000 publications scientifiques avec imageries à l’appui, même si on n’arrive pas bien à la comprendre ou la circonscrire, on a l’humilité de fermer sa (…) gueule avant de dire que c’est psychosomatique » s’emporte-t-elle, avant d’accuser l’une des auteurs de l’étude de vouloir principalement servir « la grande œuvre de sa vie : à savoir la refonte de la théorie psychosomatique ». Le sentiment que les présupposés des auteurs de l’article ont altéré leur objectivité transparaît également dans le commentaire du Dr Jérôme Larché : « Je ne prends aucun plaisir à afficher publiquement mon désaccord avec les auteurs de cette étude car elle aurait pu dégager de précieuses informations sur cet enjeu psychologique. Mais le biais de confirmation flagrant qui traverse cet article du JAMA, comme ses biais méthodologiques, lui enlève ce crédit ».Dénialisme
Enfin, les critiques se sont également portées sur les répercussions possibles d’un tel article, non seulement pour la prise en charge des patients, mais aussi au-delà vis-à-vis de la crédibilité de la science. Ainsi, l’association Citizen4Sciences dont les commentaires concernent autant l’article du JAMA que sa recension dans Le Monde dénonce : « Très vite, les complotistes sur les réseaux sociaux se ravissent de ce dénialisme : pandémie inventée, maladie inventée, vaccin inutile, tout cela rentre on ne peut mieux dans la théorie conspirationniste. Nous avons fustigé tout au long de la crise les médias coupables d’avoir fait tribune au complotisme, au dénialisme, à la pseudoscience et à leurs gourous. 18 mois plus tard, il faudrait espérer que des leçons soient enfin tirées ».L’accusation de complotisme ne peut suffire
Peut-on cependant complètement assimiler l’évocation de zones d’ombre concernant la Covid longue (notamment en ce qui concerne sa réelle prévalence compte tenu notamment du flou de sa définition) et les théories complotistes sur la Covid et les vaccins ? Outre le fait que cette critique rappelle la difficulté de pouvoir toujours facilement distinguer ce qui relève du complotisme et ce qui relève du doute, on sait que certains scientifiques et médecins, qui sont pourtant les premiers à systématiquement rappeler l’importance du vaccin et la dangerosité du virus, ont également pu émettre des réserves vis-à-vis de la Covid longue (ce fut par exemple le cas du professeur Yonathan Freund, qui face aux attaques que ces réticences avaient entraînées a préféré pendant quelques temps se mettre en retrait des réseaux sociaux). L’accusation de «complotisme » ne peut suffire à elle seule à décrédibiliser la parole de l’autre.Éviter les erreurs de diagnostic
D’autant plus que les auteurs décriés de l’étude avancent plusieurs arguments contre leurs détracteurs. D’abord, concernant le manque de fiabilité des tests sérologiques, ils estiment (même si cela peut également être discuté) que le lien solide qui existe a contrario entre tests sérologistes positifs et persistance de l’anosmie renforce la confiance que l’on peut accorder à leurs observations. Surtout, les signataires de l’étude ont (apparemment en vain) insisté sur le fait qu’il ne s’agissait nullement de nier l’existence des symptômes rapportés, mais de mettre en garde contre le risque de les associer trop systématiquement à la Covid. Ce réflexe pourrait être facilité par l’omniprésence de la maladie dans l’actualité et pourrait conduire à des retards de diagnostic dommageables (cela a par exemple pu être observé quand des pathologies ont faussement été attribuées à la borréliose de Lyme, quand cette dernière était sur le devant de la scène médiatique). Sur ce point, ceux qui prennent en charge les patients suspects de Covid longue estiment qu’il s’agit d’une évidence. « Les auteurs français de cet article concluent doctement au fait qu’il faut examiner les patients pour éliminer d’autres pathologies (merci, cela fait partie de la définition de la HAS depuis février 2021…) » ironise le docteur Larché.Une nouvelle marque du tabou de la maladie mentale ?
Or ce risque d’erreur diagnostique (qu’il n’était peut-être pas totalement inutile de rappeler) peut entre autres consister à passer à côté d’une souffrance psychologique (qui ne serait pas une conséquence de la Covid longue, mais bien en réalité l’étiologie initiale). Face à la levée de boucliers que suscite une telle piste, n’assite-t-on pas une nouvelle fois à une sous-estimation, à une forme de tabou concernant les troubles psychiques ? A un refus d’accepter qu’ils puissent être associés à des troubles somatiques importants et qu’ils doivent susciter la même attention que des troubles organiques ? L’hypothèse d’un trouble psychique est en effet rejetée avec une certaine forme de mépris. Pourtant, à l’instar des chercheurs français publiant dans le JAMA et ce dès le mois de mai, le pédopsychiatre auteur du blog Pedospy : nos futurs, le blog de Dr BB (hébergé par Mediapart) remarquait : « Les relais médiatiques, politiques, militants sont d’ailleurs unanimes pour condamner a priori tout ce qui pourrait relever d’un éventuel trouble affectif témoignant d'un vécu face à des circonstances. Par exemple, voici ce que peut affirmer « Libération » : « déroutés par une maladie mal identifiée, les praticiens de ville sont, eux, prompts à mettre le mal-être de leurs patients sur le compte d’une dépression passagère ». En quoi cette hypothèse devrait-elle être éliminée de façon systématique ? Pourquoi faudrait-il évacuer d’emblée une réaction sur un mode dépressif à une situation évidemment très éprouvante, sur le plan individuel et social ? En tout cas, ce type de formulation tend à sous-tendre que l’éventualité d’une souffrance psychique réactionnelle serait au mieux un pis-aller, au pire un désaveu, alors qu’un trouble organique avéré serait manifestement plus acceptable. L’avantage, c’est qu’ainsi, on jette le bébé et l’eau du bain : il n’y a plus à prendre en considération les conditions d’environnement, les enjeux socio-politiques, les responsabilités collectives…c’est viral, c’est physiologique, point. De fait, les patients cherchent manifestement à trouver une réponse qui satisfasse leur désir plus ou moins conscient d’être reconnus à travers une problématique groupale à même de les inclure dans une communauté de vécus, et dans la certitude d’une « inscription » reconnue, instituée, légitime, et acceptable sur le plan narcissique et identitaire » analyse l’auteur.Quand c’est flou…
- Brian Hugues
- Jérôme Larché
- Citizen4Science
- Jérome Larché
- Le blog Pedospy : nos futurs, le blog de Dr BB
- F. Perry Wilson
Aurélie Haroche