Crise de la e-cigarette : une mauvaise nouvelle pour la santé publique

Paris, le jeudi 15 octobre 2019 – Mille-deux-cent-quatre-vingt-dix-neuf cas et vingt-neuf décès. Ce sont les derniers chiffres du bilan de l’épidémie d’atteintes pulmonaires sévères qui sévit actuellement aux Etats-Unis et qui semble continuer à progresser. Point commun entre tous les patients dont 80 % sont âgés de moins de 35 ans : un usage récent de la cigarette électronique, majoritairement avec des liquides contenant du THC, souvent non homologués.

Doubles inquiétudes

Cette crise sanitaire suscite des inquiétudes à plus d’un titre. D’abord, la complexité des investigations rend difficile l’identification des produits directement en cause. Or, sans cette détermination, l’endiguement de l’épidémie sera plus difficile, même si le recul de l’utilisation de produits artisanaux (et au-delà de la cigarette électronique) devrait conduire à une diminution du nombre de cas aux États-Unis. Mais parallèlement, les observateurs s’interrogent sur le risque que fait peser la situation actuelle sur la lutte contre le tabagisme.

Un rôle majeur contre le fléau du tabagisme

Les données se multiplient en effet partout à travers le monde pour confirmer le rôle majeur joué ces dernières années dans certains pays par la cigarette électronique dans la régression du tabagisme. Différents chiffres ont ainsi été rappelés hier lors du troisième Sommet de la vape, qui réunissait de nombreux médecins et spécialistes de la lutte contre le tabac, et qui était largement consacré aux conséquences de la crise américaine. Ainsi, selon les plus récentes informations de Santé publique France (SPF), présentées hier par Viêt Nguyen Thanh (responsable de l’unité Addictions de la Direction de la prévention et promotion de la santé) 32,8 % des Français auraient expérimenté la cigarette électronique en 2017 et 76,3 % des ex-fumeurs ou ex-vapoteurs déclarent que ce dispositif les a aidés à arrêter de fumer. Aux États-Unis, les analyses comparatives des tendances constatées chez les jeunes américains avant et après l’émergence du vapotage suggèrent très clairement qu’elle a contribué à une baisse de la prévalence du tabagisme.

Désaffection rapide

Cette belle dynamique pourrait-elle être stoppée par l’épidémie américaine ? Différents indices conduisent à le redouter. Ainsi, les fabricants de cigarette électronique ont révélé hier que, en France, les boutiques spécialisées ont connu une diminution de leurs ventes de 20 à 30 % à la rentrée, période qui les années précédentes avait pourtant été marquée par des hausses significatives (+ 15 % en 2017 et 2018). Cette diminution pourrait en particulier concerner les candidats au sevrage n’ayant pas encore franchi le pas, comme le signale la baisse des ventes des kits de démarrage. Le possible recul de la cigarette électronique comme mode de sevrage est également la conclusion d’enquêtes réalisées par les groupes Vape Info Service ou Je ne Fume plus, qui se basent sur leurs statistiques récentes. Des signaux préoccupants si l’on considère que les autres méthodes de sevrage n’ont jamais réussi à obtenir autant de succès que la e-cig.

La perspective d’une désaffection vis-à-vis de la cigarette électronique comme outil de sevrage préoccupe les spécialistes des addictions, dont certains, tel le Dr William Lowenstein, témoigne constater un retour de certains de leurs patients à la cigarette classique.

Idées fausses sur la nicotine

Or, cette attitude ne se fonde pas uniquement sur l’inquiétude suscitée par la situation américaine (inquiétude qui ne tient peut-être pas suffisamment compte du rôle probablement prépondérant joué par les liquides artisanaux). Elle repose également sur des idées erronées sur la nicotine. Ainsi, un sondage BVA réalisé auprès de 1 000 personnes dans le cadre du Sommet de la Vape révèle que 80 % des personnes interrogées pensent que la nicotine est cancérigène ce qui n’a jamais été démontré. Ils sont également 59 % à considérer que vapoter est aussi voire plus dangereux que fumer. Pourtant, en dépit des incertitudes qui demeurent, notamment quant aux risques à long terme, les spécialistes notamment au sein de l’Institut national du cancer (INCA) s’accordent pour affirmer qu’il n’y a pas de substances cancérigènes dans l’aérosol de la vape.

Courage politique

Ces différents éléments devraient-ils conduire les décideurs à proposer un discours plus incisif qui insisterait sur l’importance du sevrage, y compris grâce à la cigarette électronique ? C’est ce que semblent considérer les responsables politiques (ou anciens responsables politiques) présents hier. Ainsi, le député et médecin Olivier Véran, qui a regretté la confusion qui existerait autour de la communication concernant la crise américaine, a manifesté sa volonté de relancer le groupe ministériel autour de la cigarette électronique, afin qu’elle soit davantage reconnue comme un outil de réduction des risques.

Paradoxe légitime

L’ancien directeur général de la Santé, le professeur Benoît Vallet, désormais magistrat à la Cour des comptes, a de son côté tenté de déterminer les freins qui aujourd’hui empêchent un discours plus percutant des décideurs sur la cigarette électronique. Ils concernent selon lui entre autres la persistance d’inquiétudes sur la dangerosité à long terme, la prolongation du vapotage au-delà du sevrage tabagique et le risque de créer une nouvelle addiction chez les jeunes (voire de "renormaliser" le tabagisme). Sur ces différents points, les spécialistes réunis ont tenu à apporter des éléments souvent rassurants : des données britanniques suggèrent ainsi que la part d’utilisateurs de la cigarette électronique n’ayant jamais expérimenté le tabac reste très faible. Le professeur Dautzenberg a pour sa part insisté sur le fait qu’en France les jeunes qui vapotent recourent minoritairement à des liquides contenant de la nicotine selon des données en cours de publication de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) (ce qui n’est pas pleinement rassurant si l’on s’inquiète de la dangerosité propre des liquides et si on redoute des usages détournés, à base notamment de THC). Demeurent cependant des obstacles politiques complexes à résoudre, résumés par Benoît Vallet comme le « paradoxe d’un principe de précaution qui s’applique à une méthode de réduction des risques ». Mais de fait comment reprocher complètement à des pouvoirs publics quotidiennement sommés d’une gestion des risques prenant le plus largement en compte la moindre suspicion de s’inquiéter d’éventuels dangers à longs termes alors que certains signaux inquiétants (et plus inquiétants que de simples démonstrations sur la souris qui suffisent parfois à faire interdire d’autres produits) existent ? En tout état de cause, on pourrait considérer comme légitime que sans méconnaître l’objectif premier de la lutte contre le tabagisme, les pouvoirs publics choisissent de considérer qu’il ne serait pas inopportun de doper également l’efficacité des autres méthodes, car quel qu’ait été son rôle jusqu’à aujourd’hui, la cigarette électronique n’est pas le seul outil existant en la matière.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Comment arrêter de fumer...

    Le 20 octobre 2019

    J'ai 2 amis fumeurs invétérés depuis toujours (plus de 30 ans) qui ont réussi à arrêter complètement à fumer grâce au vapotage et après quelques temps finalement ne vapotent plus! C'est un indice sérieux d'efficacité chez certains irréductibles, chez lesquel le patchs et autres substituts n'ont pas marché. Certes ce n'est pas la panacée, mais c'est une méthode qui marche chez certains très gros fumeurs.
    Quant à la crise américaine, elle met en lumière qu'il faut strictement contrôler ce qui est proposé au vapotage, rien de plus !

    Dr Astrid Wilk

  • Campagne anti e-cigarette et industriels du tabac

    Le 20 octobre 2019

    Ne pensez vous pas que cette campagne de dénigrement de la e-cigarette va servir les industriels du tabac ?
    Titre anxiogène y participant: Cigarette électronique le bilan s'aggrave aux états unis.
    Il ne faut pas oublier le nombre de mort à la cigarette par rapport aux morts de la cigarette électronique avec des liquides très douteux et contenant du THC.

    Dr Bernard Stefani

  • Ne seraient-ce pas les mêmes?...

    Le 21 octobre 2019

    ...les industriels du tabac et ceux des e-cigarettes ?
    Aucun des industriels ne sera perdant.

  • Campagne anti e-cigarette

    Le 17 septembre 2020

    Le titre est anxiogène et fallacieux car ce n'est pas la e-cig qui est en cause mais les mauvais produit "à interdire" utilisés. On devrait compter dans ces comparaisons les effets selon les produits utilisés et non tout confondre dans quelle fin ?
    La e-cig bien utilisée est un bon outil de réduction voire de sevrage de l'usage de la cigarette dont les dégâts sont bien connus.
    Le rôle des politiques n'est pas de se substituer à la liberté des citoyens mais d'encadrer les usages et d'informer clairement des risques encourus. Cet article embrouille au contraire les usagers.
    La e-cig n'est pas faite pour la drogue !

    GLV (psychothérapeute)

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