Décès de Naomi Musenga : un rapport de l’IGAS étrille le SAMU de Strasbourg
Strasbourg, le jeudi 21 juin 2018 - Après la diffusion, en
avril dernier, d’enregistrements mettant en évidence des
dysfonctionnements dans la prise en charge, par le SAMU de
Strasbourg, de Naomi Musenga, une patiente décédée le 29 décembre
2017, le ministre de la santé avait diligenté une enquête de
l’IGAS, qui vient de publier ses conclusions.
Ces travaux ont consisté en une quarantaine d’auditions, mais
aussi en l’étude du dossier médical et d’autopsie (qui n’a
d’ailleurs pas permis de poser un diagnostic clair) ainsi qu’en
l’écoute des conversations téléphoniques entre Mlle Musenga et
différents services de secours.
« Un retard global de prise en charge de près de 2h20
»
Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga est mise en relation une
première fois avec le Samu à 11h28, « après avoir échangé avec
l'opératrice » des pompiers, et ce transfert d'appel « se
fait sur un ton moqueur », note l'IGAS.
A son tour, l'assistante de régulation médicale (ARM) «
emploie un ton dur, intimidant et déplacé face à des demandes
d'aide réitérées » et ne transfère pas l'appel à un médecin, «
bien que deux médecins soient présents ». Elle ne pose alors
« aucune question permettant d'éclairer l'état clinique de la
patiente » et conseille plusieurs fois à la jeune femme
d'appeler SOS Médecins, bien qu'elle ait dit « explicitement
qu'elle n'était pas en mesure de le faire » ce qui provoquera
encore une fois les railleries de l’ARM.
On apprend, par ailleurs, dans ce rapport qu’un autre appel au
Samu a ensuite été passé par un proche de la jeune fille. Comme
dans le premier cas, l’assistante de régulation, qui n’a pas fait
alors le rapprochement entre les deux interlocuteurs, ne transmet
pas l’appel à un médecin régulateur et elle le dirige de nouveau
vers SOS Médecins. Ce n’est qu’après un troisième coup de
téléphone, passé cette fois par SOS Médecins et pris par une autre
assistante, que des secours sont envoyés.
Au total, l’IGAS estime que « les réponses non adaptées de
l’assistante de régulation médicale ont conduit à un retard global
de prise en charge de près de 2h20 ».
Les conditions de travail ne sont pas en cause
La charge importante de travail dans les centres de régulation
du SAMU avait, un temps, été considérée comme responsable de cette
mauvaise prise en charge, mais pour l’IGAS, il n’en est rien et
l’institution estime que son enquête révèle une forte activité mais
des conditions normales d’organisation. L’assistante de régulation
n’était, quant à elle, qu’à sa troisième journée de 12 heures
de travail dans la semaine (la deuxième consécutive). Néanmoins, il
est noté que la plateforme de régulation fonctionnait selon la
procédure dite « dégradée » en raison de deux absences mais
les effectifs étaient néanmoins conformes à ceux dit « cible
».
Concernant le nombre d’appels, ils ont même été, ce jour
là, en deçà de la moyenne (1 664 contre 1 882), bien qu’au sortir
d’une période très dense correspondant aux fêtes de Noël.
Au total, l’IGAS considère donc que les conditions de travail
de l’ARM ne sont pas en cause, et qu’elle doit être suspendue, ce
qui a d’ailleurs était fait, un mois après que les hôpitaux aient
eu connaissance de l’événement. Elle est en outre, l’objet d’une
procédure disciplinaire.
Les règles du SAMU de Strasbourg étaient contraires aux
recommandations
L’IGAS s’étonne également que Naomi Musenga n’a pas pu parler
à un médecin régulateur, comme préconisé par les recommandations de
la Haute autorité de santé : « alors que tout appel à caractère
médical devrait être régulé par un médecin, la procédure en vigueur
au Samu de Strasbourg permettait aux assistants de régulation
médicale, dans certains cas, de traiter seuls ce type d’appels
».
Dans la même veine « il pouvait être proposé à l'appelant
de composer lui-même le numéro d'un médecin pendant la journée
» dans certains cas, ce qui n'est conforme ni « aux
recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de
Santé », ni « au référentiel de la Société française de
médecine d'urgence ».
Enfin, il apparaît qu’alors que les procédures en vigueur à
Strasbourg prévoyaient le transfert de l’appel à un médecin
régulateur en cas de « douleur abdominale », ce dont se
plaignait précisément Naomi Musenga, l’appel n’a pas été transmis «
bien que deux médecins soient présents ».
L’IGAS conclut donc que « la procédure générale de
régulation » appliquée par le Samu de Strasbourg au moment du
décès fin décembre de Naomi Musenga n'était « pas conforme aux
recommandations de bonnes pratiques » et « source de risque
pour les patients ».
Même les suites ont laissé à désirer
Le rapport de l’IGAS pointe également la prise en charge de la
famille de Naomi Musenga après sa mort. Il estime ainsi que
l’annonce de son décès « n’a pu se tenir dans des conditions
satisfaisantes en l’absence de lieu dédié et adapté pour recevoir
les familles au sein du service de réanimation », la famille en
ayant « gardé le souvenir d’une annonce précipitée dans des
conditions non satisfaisantes ».
Par ailleurs, « la transmission de l’enregistrement de
l’appel au père de Madame Naomi Musenga n’a pas été assortie d’une
proposition d’accompagnement, pourtant indispensable compte tenu de
l’immense choc que pouvait constituer cette écoute. »
Autre erreur : le décès de Naomi Musenga « n'a pas donné
lieu à une déclaration formelle, selon la procédure prévue pour les
'événements indésirables graves » à l’ARS.
Concernant l’autopsie il est souligné que sa transmission à la
famille ne s’était pas faite dans les délais prévus par la loi
(plus d’un mois au lieu de huit jours) et qu’elle était en outre
incomplète.
Enfin, ce compte-rendu aurait abusivement utilisé le
terme de putréfaction avancée, alors que l’IGAS souligne, que, sur
ce point, le corps de Mlle Musenga a été correctement
conservé.
Et maintenant ?
Face à cette situation, les inspecteurs ont appelé les HUS à
élaborer « sans délai » un « plan d’action » que le
directeur de l’établissement s’est engagé à mettre en œuvre «
complètement ».
Le ministre de la santé a demandé aux urgentistes de lui faire
des propositions d’ici le 1er juillet pour
« améliorer les pratiques » dans trois domaines : la
formation des assistants de régulation, la refonte et
l’harmonisation des procédures du Samu au niveau national et
l’instauration d’une « démarche qualité ».
Après la publication de ce rapport accablant, les Hôpitaux
universitaires de Strasbourg (HUS) ont aussi annoncé avoir accepté,
conformément aux recommandations de l’IGAS, la démission du
responsable du Samu de la ville en précisant que « cette demande
de démission a été déposée spontanément au début de l'enquête,
début mai ».
L'enquête démontre donc que ce n'était pas un problème de moyens ni un problème de surcharge de travail. Comme on pouvait s'en douter, la faute est d'origine humaine. L'ARM par son ton cynique et sa désinvolture porte une lourde responsabilité mais les "consignes locales" probablement destinées à décharger le travail de certains sont très justement pointées par le rapport. Bref tout ceci est lamentable ! Tous ces manquements dans un monde gouverné par les "réseaux sociaux" se traduisent une nouvelle fois par la perte de confiance des patients envers les soignants.
La "démission" du responsable du SAMU est-elle méritée ?
Le 24 juin 2018
La prise en charge de la petite Naomi a certes été catastrophique,un engrenage infernal lui a couté la vie mais la "démission" du responsable du SAMU est-elle vraiment méritée ?