Demain, tous masqués ?

Paris, le lundi 6 avril 2020 – Les vidéos d’amateurs décrivant comment fabriquer soi-même un masque de protection s’étaient déjà multipliées sur internet ces dernières semaines. Ce week-end cependant, une nouvelle étape a été franchie, avec l’adoubement et la participation d’autorités sanitaires prestigieuses, telles l’Académie de médecine en France ou le Surgeon général aux Etats-Unis. Parallèlement à la diffusion par ces institutions de clips vidéo promouvant la fabrication de masques artisanaux, ces autorités se sont également positionnées en faveur d’une obligation du port du masque. « L’Académie nationale de Médecine recommande que le port d’un masque “grand public”, aussi dit “alternatif”, soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement » peut-on ainsi lire dans l’avis des sages.

Communication particulièrement confuse

Cette position ne pouvait qu’embarrasser le gouvernement dont la communication sur les masques a été plus erratique encore que l’organisation préliminaire de leur distribution. En effet, après avoir défendu il y a quelques semaines par la voix de son porte-parole Sibeth Ndiaye (ou même de son Directeur général de la Santé) que le port du masque était inutile en population générale et devait être réservé aux professionnels de santé et aux patients symptomatiques, les pouvoirs publics ont vu leur position clairement remise en question.

D’ailleurs, beaucoup ont vu dans les déclarations de Jérôme Salomon vendredi soir un revirement clair : « Nous encourageons effectivement le grand public, s’il le souhaite, à en porter, en particulier ces masques alternatifs qui sont en cours de production » a-t-il répondu, interrogé sur le port des masques en population générale. Cette déclaration a été perçue comme les prémices d’une recommandation impérieuse, voire d’une obligation. Aussi, les proches du ministère de la Santé ont dû tempérer la portée de cette déclaration du Directeur général de la Santé, reprochant aux médias une surinterprétation et rappelant que « Ça fait deux semaines qu’on parle des masques alternatifs pour les personnes qui travaillent ». De fait, quelques jours auparavant, à l’occasion de son audition par les députés, le premier ministre Édouard Philippe avait confirmé que la France avait pour objectif une production de cinq millions de masques alternatifs par semaine, grâce à la mobilisation des industries textiles notamment. Cette annonce n’avait d’ailleurs pas une fois de plus échappé à des signaux contradictoires, puisque que parallèlement Édouard Philippe rappelait que l’utilité du port d’un masque en population générale ne demeurait pas parfaitement établie.

Transmission par les aérosols et les asymptomatiques

Si les preuves scientifiques demeurent faibles et si les pays étant parvenus à une meilleure maîtrise de l’épidémie que certains états européens ne se caractérisent pas uniquement par un port plus généralisé du masque (mais aussi par des politiques de dépistage massif et de traçage rigoureux des cas contacts), le changement de doctrine est lié aux incertitudes qui demeurent sur la transmission du SARS-CoV-2. Des travaux publiés dans la revue Nature en fin de semaine dernière suggèrent en effet une possible transmission du virus dans les aérosols et non pas seulement dans les gouttelettes émises lors de la toux. Cependant, les données sur le sujet demeurent contradictoires et imprécises pour déterminer les risques de contagion par les seuls aérosols. Au-delà de ces interrogations, la proportion de sujets asymptomatiques demeurant particulièrement difficile à déterminer (en l’absence notamment de dépistage à large échelle) et compte tenu d’un risque de transmission (même si le niveau de ce risque n’est pas parfaitement évalué) par ces porteurs pré ou asymptomatiques ou asymptomatiques, le port du masque généralisé peut être considéré comme un geste civique utile (notamment dans certaines circonstances tels les achats en milieu confiné plus que lors de promenades au grand air).

Un rapport bénéfice/risque probablement favorable mais des risques pas totalement nuls

Si les scientifiques rappellent que les données probantes manquent pour affirmer l’utilité du port du masque par des sujets non symptomatiques, beaucoup considèrent que cette préconisation répond à un rapport bénéfice/risque favorable. Cependant, ses effets contre-productifs ne seraient pas totalement nuls. Beaucoup mettent en garde contre un risque de relâchement des autres mesures barrière, et notamment du lavage des mains, vis-à-vis duquel les données favorables sont bien plus robustes. Par ailleurs, les réserves concernant les limites des masques alternatifs ne sont pas toutes caduques. « Sur la question des foulards, est-ce que c’est mieux ou est-ce que c’est pire? Parfois ça peut être pire. Si vous portez un linge et que vous parlez avec une personne qui vous postillonne dessus, ce linge est alors imprégné du virus. Quand vous allez rajuster ce linge sur votre visage, vous allez vous en mettre sur les doigts et après vous allez toucher votre visage une fois par minute comme n’importe quel Français » avait ainsi analysé il y a déjà plus de deux semaines le ministre de la Santé Olivier Véran. Si sans doute, un tel discours ne serait aujourd’hui plus tenu de la même manière, les réserves demeurent. En tout état de cause, les données sont rares sur l’efficacité des masques alternatifs.

Des travaux publiés en 2013

Néanmoins, des travaux avaient été publiés dans Disaster Medicine and Public Health Preparedness en 2013 qui avaient consisté à comparer le niveau de filtration de différents types de protection et tissus (foulard, tee-shirt, serviette, lin, coton…) face à Bacillus atrophaeus et le bactériophage MS2. Si le masque chirurgical se révélait toujours plus efficace, les autres protections n’étaient pas toujours inefficaces. Néanmoins, ces données demeurent restreintes et ne concernent pas des virus tels que SARS-Cov-2.

Utile pour préparer le déconfinement

Même imparfaits, le recours aux masques alternatifs pourrait être aujourd’hui fortement encouragé, notamment dans le cadre d’une préparation au déconfinement, comme le relève encore l’Académie de médecine. « Dans le cadre de cette levée du confinement, le port obligatoire d’un masque “grand public” ou “alternatif” par la population devrait être maintenu. En France, l’habitude n’a pas été prise de constituer un petit stock de masques anti-projection dans chaque foyer. La pénurie de masques risquant de durer encore quelques semaines, force est de recourir, actuellement et en vue de la sortie du confinement, à l’utilisation d’un masque “grand public” ou “alternatif” », insistent les sages.

Distribution chaotique

La multiplication de ce type de messages et le revirement qui s’opère au sein des pouvoirs publics pourraient, si le gouvernement tardait (une fois encore…) à imposer un message clair, rendre plus complexe encore la tâche des professionnels de santé et notamment des pharmaciens d’officine. Ainsi, ce week-end, la Fédération des syndicats de pharmaciens de France (FSPF) constatant la multiplication des demandes a tenu à rappeler que pour l’heure il n’existait aucune instruction officielle concernant une délivrance des masques sur ordonnance et que les appareils respiratoires de type FFP2 restaient réservés aux professionnels de santé. Le syndicat attend rapidement des recommandations claires des pouvoirs publics.

Cette difficulté des pharmaciens s’ajoute au désordre de la distribution des masques au cours des dernières semaines (liée notamment à la dualité des prestataires et au fait que chaque professionnel puisse s’approvisionner dans n’importe quelle officine), qualifiée de chaotique par la présidente de l’Ordre des pharmaciens. Dans un communiqué commun, de nombreuses organisations de professionnels de santé libéraux ont une nouvelle fois exprimé leur colère. « À titre d’exemple, les 8 millions de masques promis pour le milieu de cette semaine par le Premier ministre et le ministre de la Santé lors de leur conférence de presse, samedi 28 mars, sont arrivés de façon très hétérogène et de nombreuses officines » n’étaient toujours pas livrées vendredi 3 avril écrivaient ces syndicats qui « dénoncent une gestion inefficace du stock et de la livraison des masques par l’État ». Des enseignements inquiétants si demain devait s’ajouter une distribution à l’ensemble des Français, avec de nouveaux ordres de priorité (avec par exemple une préférence pour les sujets fragiles et à risque).

Aurélie Haroche

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Vos réactions (3)

  • La pénurie fait la recommandation

    Le 12 avril 2020

    En chirurgie nous avons toujours porté des masques et cela était obligatoire dans les blocs. Quel serait l’inconvénient éventuel de les porter dans l'espace public ? Il existera toujours des personnes stupides ou mal intentionnées mais si les personnes se protègent et vous protègent, on ne comprend pas leur hésitation. Si ce n'est qu'il n'y a pas de masques en quantité suffisante.

    Dr Elie Cadji
    en quantité suffisante !!!.

  • Évidence based médecine

    Le 12 avril 2020

    Tant qu il y a des debiles mentaux au gouvernement à la tête de services hospitaliers ou dans la population générale qui ne comprennent pas que nous protégeons les autres en mettant un foulard ce qui signifie que chacun protège tout le monde et ainsi tout le monde est protégé et que Singapour avec cela a pu éviter le confinement général qui est pire que le mal, qui est une réaction moyenâgeuse, qui n’avait plus cours depuis des siècles de progrès !
    Pas comprendre que 1 m c’est pas de la distanciation c’est du rapprochement social c’est à croire que tout était fait pour qu’on l’attrape et c’est vrai que vont faire les hôpitaux si plus personne ne se contamine...
    Ils sont capables de dire cela qu’ils savaient qu’on pouvait tuer l’épidémie mais qu’on a favorisé une immunisation de masse.

    Tout ça sous tendu par cette idée encore plus idiote qu’il faut deux ans de concurrence effrénée entre 20 équipes internationales différentes pour fabriquer un vaccin alors qu'on a mis 4 mois pour le grippe À h1n1 !
    En fait ils passent pour des arrièrès contestant de petits progrès thérapeutiques en n’ayant rien en face dans le bras placebo.
    Oui un placebo plutôt qu’un produit sans danger utilisé depuis des dizaines d’années ça se jugerait pas éthique du tout si un comité d’éthique existait mais ce comité des tiques a été tué par l’ivermectine et par un haut comité scientifique qui change de président comme de chemise où est passé le prix Nobel ? C’est pas Delfraissy le prix Nobel on en est loin !

    Dr François Roche

  • Des ambitieux, inconséquents et incompétents

    Le 14 avril 2020

    Comme je l'ai dit depuis février à mes proches: Tous masqués et hydroalcoolisés, tous protégés.

    Seulement voilà quand la maternité de Vannes a généralisé les masques dans le service le 9 mars le directeur de l'ARS nous est tombé dessus en disant que ça servait à rien et quand il y a 15 jours j'ai imposé le masque pour les patientes aussi dans le service la cadre m'a dit avec un air de cadre: "Vous savez Monsieur Leblanc ce ne sont pas les recommandations...."
    Je vous laisse deviner ma réponse avec les gros mots aussi.

    Quand à la réunion de crise quotidienne avec tous les directeurs de l'hôpital, quand la directrice des soins fait passer un sac de chouquettes, le directeur des achats et de l'hôtellerie plonge sa main dans le sac après avoir enlevé son masque et s'être essuyé le nez. Les quelques médecins présents (1 médecin pour 4 directeurs à ces réunions) restèrent pétrifié et la directrice des soins à peine gênée.

    Le jour du transfert des patients parisiens vers Vannes le directeur de l'hôpital et le maire de Vannes posent sans masque avec les équipes (tous masqués) qui vont récupérer les patient pour être beau sur les photos.

    Voilà comment est organisé la médecine de ce pays autour de prétentieux, d'ambitieux, d'inconséquents et d'incompétents.

    Dr Marc Leblanc

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