Des Assises pour sauver la pédiatrie !

Paris, le jeudi 8 décembre 2022 – Le ministre de la Santé, François Braun a inauguré hier le comité d’orientation et de préparation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant qui doivent se dérouler au printemps prochain. Le Professeur Christèle Gras le Guen (CHU de Nantes), présidente de la Société Française de Pédiatrie, qui a été signataire de l’appel à Emmanuel Macron publié dans le Monde la semaine dernière et approuvé par 10 000 soignants et Adrien Taquet, ancien secrétaire d’état chargé de l’enfance et des familles animeront ce comité d’orientation.

Ce dernier « réunira des représentants de l’ensemble des parties prenantes concernées, et notamment : pédiatres hospitaliers et libéraux, médecins généralistes, pédopsychiatres, sages-femmes, infirmiers puériculteurs et professionnels paramédicaux, usagers et familles, collectivités territoriales, médecine scolaire, Protection Maternelle et Infantile (PMI). Il associera les administrations du ministère de la Santé et de la Prévention, l’Assurance maladie et les autres ministères concernés par les travaux des assises » énumère le ministère de la Santé.

Une épidémie qui n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond


Les cris d’alarme lancés par la profession désemparée par la violence de l’épidémie de bronchiolite actuelle ont fini de créer un déclic au sein des pouvoirs publics. Cependant, même si cette épidémie est d’une ampleur inégalée depuis dix ans, tous les pédiatres et soignants en pédiatrie rappellent qu’elle n’est qu’un symptôme supplémentaire.

En effet, c’est l’état de la pédiatrie ambulatoire et hospitalière qui favorise les engorgements, les transferts de patients à des centaines de kilomètres de chez eux et la prise en charge dégradée que déplore toute la profession. C’est notamment la pénurie de praticiens et plus encore d’infirmiers qui a empêché dans plusieurs services la mise en place des unités spéciales qui chaque année sont destinées à accueillir les enfants touchés par les épidémies hivernales.

Catastrophe en ville et chez les infirmiers, perte de vitesse pour la pédiatrie hospitalière


Les difficultés de la pédiatrie sont connues et sont l’objet de diagnostics depuis plusieurs années. Dans un rapport publié l’année dernière, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rappelait ainsi qu’en 2006 « le Pr Sommelet, dans son rapport de référence sur la santé de l’enfant et de l’adolescent, soulignait l’importance des problématiques démographiques en matière de médecine de ville de l’enfant ».

Le premier mal est en effet le manque d’effectifs et c’est en ville qu’il est le plus criant. « Actuellement, 8 départements connaissent une densité inférieure à un pédiatre pour 100 000 habitants et l’âge moyen des pédiatres libéraux laisse présager une aggravation de la situation puisque 44 % d’entre eux ont plus de 60 ans. Cette situation pose une question majeure d’accès aux soins pédiatriques pour certaines populations » écrivait l’IGAS. A l’hôpital, l’état des lieux est un peu moins critique en ce qui concerne les médecins (si l’on excepte le cas extrêmement préoccupant de la pédopsychiatrie).

Cependant, le déclin de la pédiatrie libérale rejaillit sur les établissements de santé, dégradant les conditions de travail, et favorisant les départs. Au-delà, l’IGAS notait : « La pédiatrie hospitalière reste globalement attractive, mais, d’après les interlocuteurs de la mission, cette attractivité diminue. Ainsi, le taux de vacance statutaire des praticiens hospitaliers en pédiatrie a progressé de 5 points entre 2009 et 2021, passant de 20 % à 25 %, même s’il reste inférieur à la moyenne des spécialités médicales (…). Selon un rapport récent sur la permanence des soins en établissement de santé, la pédiatrie est l’une des trois activités sous tension en la matière (avec l’anesthésie-réanimation et l’imagerie) ».

Concernant les infirmières, la situation est plus complexe encore. Le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a connu aucune évolution depuis 1983, tandis que depuis 2009, la formation initiale des infirmières généralistes ne suppose plus de stage obligatoire en pédiatrie. « Cette perte de compétences aurait pu conduire à une meilleure reconnaissance des infirmières puéricultrices à l’hôpital, mais les acteurs ont témoigné du mouvement inverse. Les compétences des infirmières puéricultrices, notamment en termes d’accompagnement et de prévention, sont sous-utilisées, en particulier en secteur ambulatoire, puisque leur exercice est limité aux PMI, en raison de l’absence de financement de leurs actes en ville » relève l’IGAS.

Les enfants sont moins rentables


Ces problèmes d’effectifs sont intrinsèquement liés à des défauts de financement, défauts de financement qui concourent à la dégradation des conditions de travail et donc à la fuite des personnels. En ville, tout d’abord, on sait que la pédiatrie est la spécialité la moins lucrative de toutes, ce qui ne peut qu’ajouter à son manque d’attractivité. A l’hôpital, le fonctionnement de la tarification à l’activité est défavorable à la pédiatrie. Si quelques « adaptations tarifaires ont été mises en place pour intégrer le surcoût lié à l’âge des enfants » une sous valorisation des actes continue à exister tandis que la réforme de financement des urgences entrée en vigueur en janvier 2022 a accru la différence de « rentabilité » entre un passage aux urgences d’un enfant de moins de 15 ans et celui d’un adulte.

Eviter un énième rapport ?


Ainsi, on le voit le diagnostic est déjà parfaitement connu. Aussi, beaucoup de pédiatres espèrent que cette nouvelle commission fera l’impasse sur ce travail et se concentrera sur les solutions. Beaucoup d’ailleurs estiment qu’il ne faut pas attendre le printemps pour prendre les premières mesures, afin de stopper le plus possible le mouvement de départ des soignants. « Nous attendons beaucoup de ces travaux préparatoires et de ces assises, en espérant qu’ils n’aboutissent pas, comme on l’a déjà vu, à un énième rapport avec des propositions qui ne seront pas mises en œuvre », témoigne dans les colonnes du quotidien Le Monde, Julie Starck, pédiatre réanimatrice à l’hôpital Trousseau.

A.H.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (2)

  • Réunions... sans résultat concret

    Le 08 décembre 2022

    Les Assises ne peuvent que constater ce qu'on sait déjà... il faut trouver des solutions.

    Dr A Wilk

  • Des pédiatres pour la pédiatrie : oui mais

    Le 09 décembre 2022

    La crainte d'un nouveau Nième "comité Théodule" est licite et relève du devoir de mémoire, QS Rapport Véran relatif à l'intérim médical : "Hôpital cherche médecins, coûte que coûte ; essor et dérives du marché de l’emploi médical temporaire à l’hôpital public." ... Décembre 2013.
    Et pour sa suppression, on attend le printemps aussi ?
    M Adrien Taquet nous fera profiter de son expérience... chez Havas.
    Il faut des pédiatres pour faire de la pédiatrie : place de la pédiatrie à l'issue des ECN 2021* ?
    28ème position (27ème en 2020) 44 spécialités, rang moyen des médecins : 3376.
    Quelle est la mise à contribution des pédiatres à diplôme étranger hors UE dans nos maternités et CH ? Pour rappel, médecine générale 39ème position (38ème en 2020), médecine d'urgence 38ème (39ème en 2020). Loin derrière la médecine nucléaire (13), devant Santé publique-Biologie médicale-Médecine du travail bons derniers en 2021 comme 2020 (42-43-44).
    Le podium 2022, 2021 était identique à celui de 2020 : Plastique-Ophtalmo-Dermato... allez savoir les vraies clefs de l' "attractivité".
    Il fallait anticiper , c'est fait : l'impact des délégations de taches (calendrier vaccinal) sur les pratiques de ville sera à évaluer.
    Le changement de paradigme sera difficile à digérer : il appartient (maintenant) à la demande de s'adapter à la paucité durable de l'offre (médicale). Sélection des urgences ultramédiatisée en pédiatrie, transferts extra-régionaux (depuis des années en période VRS), transformation adaptative de lits chirurgicaux pédiatriques (idem), déprogrammations, et l'impact potentiel sur la qualité.
    Radio-pédiatres (Le Monde 28/11/2021) et réanimateurs pédiatres avaient déjà tiré la sonnette d'alarme.
    Rappelons les bienfaits masques-SHA redécouverts durant l'hiver 2020 (bronchiolites-grippe-gastros mais aussi maladie de Kawasaki). Notons les perspectives vaccinales (VRS) prénatales**.
    Et dans les transports, on attend le printemps aussi ?
    Reste à noter la hausse nationale de la mortalité infantile***, notamment au cours du premier mois, depuis 2014 : mystérieux , "multifactoriel" ... mais urgent à élucider.

    *https:
    /www.whatsupdoc-lemag.fr/classement/2020-2021/specialites
    **Simões EAF et coll . Prefusion F Protein-Based Respiratory Syncytial Virus Immunization in Pregnancy. N Engl J Med. 2022 Apr 28;386(17):1615-1626. doi: 10.1056/NEJMoa2106062
    ***Trinh NTH et coll . Recent historic increase of infant mortality in France: A time-series analysis, 2001 to 2019. Lancet Reg Health Eur. 2022 Mar 1;16:100339. doi:10.1016/j.lanepe.2022.100339

    Dr JP Bonnet

Réagir à cet article