Des douleurs (un peu) plus sages avec les cannabinoïdes

La douleur chronique est définie par une durée de plus de 3 à 6 mois. Elle affecte environ 100 millions d’individus aux Etats-Unis. Elle perturbe l’activité physique et mentale, l’efficacité et la qualité de vie. Elle est souvent réfractaire aux différentes thérapeutiques et a, enfin, un coût financier et économique substantiel. Les opioïdes sont souvent utilisés mais, comme les autres médicaments ou traitements non pharmacologiques proposés, ils apportent en règle un bénéfice modéré, couplé à de fréquents effets secondaires.

Le recours à des dérivés de plante, telles que le cannabis, peut être une alternative utile. On entend, sous le terme cannabinoïdes, des composés à base de cannabis actif, les 2 principaux étant le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Lors d’études précliniques, le THC et ses composés dérivés ont manifesté des propriétés antalgiques notables mais aussi des effets psychoactifs et un risque d’addiction qui tendent à limiter leur utilisation. Le CBD et d’autres cannabinoïdes agissent également, mais de façon plus modeste, sur la douleur sans être classés comme des molécules psychotropes et addictives. La réponse antalgique des différents produits proposés est fonction du ratio THC/CBD.

L’efficacité dépend du rapport THC/CBD

Mac Donagh et collaborateurs ont entrepris une revue systématique dans le but d’évaluer les bénéfices et les risques des cannabinoïdes dans la prise en charge des douleurs chroniques en fonction de l’importance du rapport THC/CBD. Ils ont sélectionné, pour cela, des essais contrôlés randomisés (ECR) et des études de cohorte après une recherche bibliographique dans MEDLINE, PsycINFO, EMBASE et autres bases de données, depuis leur création jusqu’ en Janvier 2022. N’ont été concernés que les seuls articles de langue anglaise ayant ciblé des patients souffrant de douleurs chroniques et traités par un dérivé du cannabis, en comparaison avec un placebo ou l’absence de traitement, durant au moins 4 semaines. Les principaux éléments analysés étaient le niveau de la douleur sous traitement, le retentissement fonctionnel et les potentiels effets secondaires tels que nausées, vertiges, sédation, psychose ou retentissement cognitif. L’impact sur la qualité de vie, la santé mentale, le sommeil et sur l’utilisation d’opioïdes a aussi été étudié dans un second temps. Les différents composés ont été analysés en fonction de leur rapport THC/CBD, après stratification en fonction de l’origine synthétique ou naturelle du produit, de son degré de purification et de la présence d’autres éléments, tels que des terpènes. La durée des études (courte, de 1 à 6 mois, moyenne ou longue, supérieure à 12 mois) ainsi que le mode d’absorption, oral ou sublingual ont été pris en compte.

Amélioration modérée

Dix-huit ECR vs placebo (nombre de participants = 1740) et 7 études observationnelles (n= 13 095) ont été inclus, dont 10 portaient sur des composés à forte teneur en THC. Les patients enrôlés souffraient généralement de douleurs chroniques neuropathiques. Ils étaient d’âge moyen, blancs et leur score de douleur à l’échelle visuelle analogique se situait vers 5-6 (un score de 10 témoignant des douleurs les plus intenses possibles). Le pourcentage de femmes dans les travaux variait considérablement, entre 3 et 89 %. Tous les ECR sélectionnées étaient de courte durée, au maximum de 4 à 8 semaines, 20 % seulement étant à faible risque de biais. Les études observationnelles ont eu un suivi plus long, allant de 12 à 208 semaines.

Il ressort de cette revue que les produits de synthèse à rapport THC/CBD élevé (> 98 % de THC) ont été associés à une amélioration modérée des douleurs chroniques, sur une échelle analogique de 0 à 10 dans 6 ECR ; n = 390 ; différence moyenne, DM = -1,15 ; intervalle de confiance à 95 % IC : - 1,92 à – 0,54 ; I2= 48 %. Ils ont aussi été associés à une fréquence plus grande d’effets secondaires, sans toutefois atteindre, dans ce cas, de signification statistique. Parmi les produits synthétiques, l’effet antalgique du nabilol a été plus important que celui du dronabinol. Concernant les dérivés purifiés issus de plantes, dont le rapport THB/CBC allait de 3,1 à 47,1, un effet antalgique a également été observé mais avec un risque notable d’arrêt du fait de la survenue d’effets secondaires, dont des vertiges et une sédation. Deux ECR, incluant 297 participants, ont détaillé l’effet des produits extraits de la plante entière, à haut rapport THC/CBD variant entre 4,8 et 60,1. Il a été noté dans ces cas également un effet antalgique mais avec une forte hétérogénéité dans les résultats. Les sprays sublinguaux à haut rapport THC/CBD ont été aussi efficaces, avec sédation des douleurs et amélioration de la fonction globale au prix, là encore, d’un risque important de vertiges, de somnolence et, de façon plus modérée, de nausées. Les données concernant d’autres produits, tout comme la possibilité d’effets secondaires à très long terme ont été insuffisantes pour être rapportées dans la revue.

Les produits avec un rapport THC/CBD faible ont été associés à un effet antalgique plus modeste : 7 ECR ; n = 702 ; DM : -0,54 ; IC : - 0,95 à – 0,19 ; I2= 39 % avec, toutefois, un risque accru de vertiges et de sédation. Quatre études seulement ont retrouvé une amélioration de la qualité du sommeil. Enfin, la qualité de vie n’a pas semblé fondamentalement différente sous traitement par cannabinoïdes.

Avec quelques effets secondaires

Au total, la notion la plus remarquable de ce travail est que ce sont les produits de synthèse a rapport THC/CBD élevé qui ont l’impact le plus favorable sur les douleurs chroniques. Les dérivés extraits de plante avec fort rapport ont aussi un effet antalgique patent. Mais tous sont à haut risque de vertiges, de sédation et de nausées. D’autres effets iatrogènes, dont la survenue de psychoses, de déficits cognitifs et de troubles liés à la consommation de cannabis n’ont pas pu être analysés ou alors de façon par trop imprécise. Mais plusieurs réserves sont à noter. Les spécifications des produits en cause ont été souvent très réduites, tout comme les informations sur les posologies ou la voie d’administration utilisées. De même, les données sur les populations de malades souffrant de douleurs chroniques ont été, en règle très parcellaires quant au type de patients, leur âge, les affections et les comorbidités…

En conclusion, les dérivés du cannabis d’origine synthétique à rapport THC/CBD élevé tout comme les extraits de plante et les produits sublinguaux similaires sont associés, à court terme, à une amélioration des douleurs chroniques de type neuropathique, avec, en contrepartie, un risque accru de vertiges et de sédation. Des études restent à mener pour en préciser les effets plus à distance et mieux détailler l’impact des différentes formulations.

Dr Pierre Margent

Référence
Mac Donagh MS et coll. : Cannabis-Based Products for Chronic Pain. A Systematic Review. Ann Intern Med. 2022 ; publication avancée en ligne le 7 juin.  doi: 10.7326/M21-4520.

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Vos réactions (2)

  • Qui finance l’étude ?

    Le 21 juin 2022

    C’est sûr que pour le profit des laboratoires les molécules de synthèse sont nettement plus intéressantes car plus facilement brevetables qu’une plante que l’on peut faire pousser naturellement.
    Les effets secondaires seront toujours beaucoup moins importants qu’une gélule de Tramadol prescrite trop largement et dont les effets addictifs et secondaires sont très graves.
    Continuez à ne pas admettre ce qui se fait ailleurs et allez voir en Israël les avancées de la médecine grâce à cette plante millénaire.

    Anna Cannavacciuolo (IDE)

  • A priori sur le cannabis

    Le 28 juin 2022

    Le problème avec le cannabis, c'est que toutes les données sont faussées par les a priori soit négatifs soit positifs à son égard. D'une part on a ceux qui sont convaincus d'avoir trouvé la panacée (une de plus), d'autre part on a ceux qui le considère comme un produit satanique addictogène. Ce que je retiens de toutes les études citées, c'est que l'action est effectivement meilleure avec un plus haut taux de THC (mes patients consommateurs me l'avaient bien dit !) ; qu'il y a bien des effets secondaires (logique, car tout produit efficace a généralement des effets secondaires, déjà que même les placebos peuvent en avoir...) ; et que l'effet antalgique fonctionne mieux quand il y a des problèmes psychologiques sous-jacents. Enfin, ça ne fonctionne pas chez tout le monde ni contre toutes les douleurs. En clair, on a exactement le même type de problème et de solution qu'avec les opioïdes. C'est un outil de plus dans notre arsenal antalgique, mais pas plus pas moins.
    Reste le calcul des coûts efficacité économiques, en considérant touts les aspects de ce produit, y-compris politiques.

    Dr Marie-Ange Grondin

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