
Paris, le jeudi 23 février 2023 – Deux médecins ont comparu ce mercredi devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre pour avoir aidé à la transition d’un homme transgenre.
C’est une affaire particulièrement sensible, notamment en ce qu’elle touche à la question complexe et polémique de la transidentité, que les membres de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins ont examiné ce mercredi. Deux médecins, le Dr Jean-Guilhem Duquenne, psychiatre et le Dr Frédéric Bompard, endocrinologue, tous deux exerçant à Montpellier, sont jugés en appel pour avoir manqué à leur obligation de « soins consciencieux » et d’information dans la prise en charge d’un homme transsexuel désormais âgé de 26 ans. En janvier 2021, le Dr Duquenne et le Dr Bompard avaient été sanctionnés par la chambre disciplinaire du conseil de l’Ordre d’Occitanie de respectivement un mois d’interdiction d’exercice avec sursis et trois mois d’interdiction ferme.
Le patient transgenre soutient les médecins
L’affaire est d’autant plus intrigante
que ce n’est pas le patient qui poursuit les deux praticiens, mais
ses deux parents, qui estiment que les médecins ont manipulé leur
fils et ont « eu peu d’empathie » à leur égard.
Le jeune homme transgenre, au contraire, soutient les médecins
contre l’avis de ses parents. « Je ne me suis jamais senti
aussi heureux et libre, j’espère juste que mes parents n’auront pas
de gain de cause, ce serait tellement injuste pour ces deux
médecins, sans même parler des conséquences pour d’autres soignants
et leurs patients » explique le jeune homme, qui a entamé
sa transition sexuelle en 2018, au journal Mediapart,
dont un article de Julie Chansel révèle
l'information.
Dans sa décision, la chambre disciplinaire d’Occitanie avait jugé que les deux médecins « n’ont pu sérieusement en si peu de temps diagnostiquer un trouble de l’identité sexuelle, n’ont pas expliqué les conséquences du traitement hormonal engagé, pas respecté les recommandations habituelles en la matière et ont établi un certificat de complaisance ».
En réponse, toujours cités par Mediapart, les deux médecins et leurs avocats estiment que les juges ordinaux se sont basés sur une vision passéiste de la transsexualité. « Ce qui est choquant dans cette affaire, c’est la manière dont la juridiction de première instance a considéré qu’il existait une norme et qu’elle s’imposait alors que nous avons vu que la norme n’est en pas une, qu’elle est contestable scientifiquement » estime Maître Jérémy Balzarini, avocat du Dr Duquenne, qui dénonce « une décision qui se fonde sur un réflexe corporatiste, il y a une norme, elle n’est pas respectée donc on sanctionne ».
Des recommandations de la HAS qui datent
Cette « norme » dont parle l’avocat, ce sont les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la prise en charge des personnes transgenres, qu’il est reproché aux deux médecins de ne pas avoir respectées et qui datent de…1989. Depuis, le regard médical et sociétal sur le transsexualisme a grandement évolué, ce qui a eu des conséquences certaines sur la prise en charge adéquate des personnes transgenres, qui suscite cependant toujours des interrogations. Depuis 2010, comme nous l'avons déjà évoqué, le transsexualisme n’est plus considéré en France comme une maladie mentale (et est prise en charge selon une ALD spécifique) et depuis décembre dernier, il n’est plus nécessaire d’avoir un certificat psychiatrique pour entamer un traitement hormonal. La HAS a finalement émis de nouvelles recommandations de bonnes pratiques actualisées en septembre dernier.
Lors de l’audience de ce mercredi, qui
s’est tenue à huis clos en raison du caractère sensible de
l’affaire, les deux avocats des médecins ont, outre leur arguments
sur le fond, demandé que la plainte des parents du patient soit
rejetée pour irrecevabilité, puisque ce dernier était déjà majeur
lorsqu’il a entamé sa transition sexuelle. La chambre disciplinaire
nationale rendra son verdict dans environ un mois. En cas de
confirmation de leurs condamnations, les Dr Duquenne et Bombard ont
déjà prévu d’aller devant le Conseil d’Etat, comme ils l'ont confié
à Mediapart.
Grégoire Griffard