Ecole inclusive : derrière la polémique Zemmour, réflexions sur les enjeux et limites de l’école inclusive
Paris, le lundi 17 janvier 2022 – Ainsi, le candidat à l’élection
présidentielle du parti Reconquête, Eric Zemmour, a une nouvelle
fois réussi à faire l’unanimité contre lui ce week-end. Répondant à
la réflexion d’une interlocutrice sur la question de l’inclusion
des enfants handicapés à l’école « ordinaire », il a
souligné qu’à ses yeux il « faut effectivement des
établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement
handicapés évidemment », avant d’ajouter : « Pour le reste,
oui, je pense que l'obsession de l'inclusion est une mauvaise
manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont les
pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je
pense qu'il faut des enseignants spécialisés qui s'en occupent
». Face au tollé qu’ont provoqué ces propos, dont a été
principalement retenue la notion « d’obsession de
l’inclusion », l’indignation ayant été partagée par l’ensemble
des candidats à l’élection présidentielle, par plusieurs
personnalités porteuses de handicap et par la secrétaire d’Etat
chargé du handicap, Sophie Cluzel, Eric Zemmour tout en regrettant
une nouvelle déformation de ses propos a tenu à préciser : «
Bien sûr, il y a des cas où le fait de les mettre dans un
établissement ordinaire est une bonne chose car ça leur permet de
progresser, de se socialiser. Et puis il y a d'autres cas, réels,
plus nombreux qu'on ne le dit où c'est une souffrance pour ces
enfants. Ce que j'ai voulu dire, c'est que je ne veux pas que
l'obsession de l'inclusion nous prive et nous conduise à négliger
la nécessité d'établissements spécialisés ». Plus tard, dans
une vidéo s’adressant aux parents d’enfants handicapés il a encore
ajouté : « Vouloir traiter (tous les enfants) de la même façon
n'efface pas les inégalités, cela les aggrave et peut même les
rendre irréparables » avant d’exposer son projet : «
multiplier et renforcer les solutions alternatives à l'école,
afin d'offrir aux enfants un accueil digne de la mission
universaliste de la France ».
ULIS, AVS… et ascenseurs
Les explications du candidat permettent de mesurer les nuances
possibles de son propos, comme toujours d’abord masquées par une
forme d’outrance regrettable. Néanmoins, si les réactions hostiles
ont été si nombreuses, c’est outre la facilité de s’indigner sur un
sujet aussi consensuel, parce que les déclarations d’Eric Zemmour
paraissaient renvoyer à une époque heureusement révolue où les
enfants porteurs de handicap étaient « cachés », comme «
soustraits à la société ». Or, la politique suivie ces deux
dernières décennies, sous l’impulsion de Jacques Chirac est
résolument différente. Le nombre d’enfants porteurs d’un handicap
intégrés à l’école ordinaire a triplé en 20 ans passant de 90 000
en 1998-1999 à 361 174 en 2019-2020. Les conditions de cette
inclusion sont cependant très hétérogènes. Parallèlement à des
aménagements qui ont enfin permis de faire entrer les fauteuils
roulants dans les écoles, collèges et lycées, les unités localisées
pour l’inclusion scolaire (ULIS) ont offert des solutions adaptées
qui permettent des passerelles entre les institutions spécialisées
et les écoles « classiques ». Les aides de vie scolaire
(AVS) représentent également un pilier de cette inclusion, même si
le dispositif reste perfectible en raison du manque de formation de
certains assistants et de la précarité de leur statut.
Des bénéfices pour tous
Les bénéfices de l’inclusion scolaire tant pour les enfants
concernés que pour les autres sont l’objet d’évaluations régulières
en France et à l’étranger. Dans un article publié en janvier 2020
sur le site The Conversation, Caroline Desombre, professeur
de psychologie sociale à Lille rapportait : « Une méta-analyse
(…) réalisée par Ruijs et Peetsma en 2009, tend à montrer que, de
manière générale, l’inclusion a des effets soit positifs (dans la
plupart des études), soit neutres sur le développement cognitif des
élèves à besoins éducatifs particuliers. (…) Une étude de Sermier
et ses collaborateurs montre des effets contrastés en fonction des
compétences travaillées. Ces auteurs se sont intéressés aux effets
de l’inclusion en classe ordinaire sur les progrès d’élèves suisses
présentant une déficience intellectuelle. Pour ce faire, deux
groupes d’enfants (similaires en termes d’âge, de QI, de statut
socio-économique et de performances scolaires avant l’étude)
étaient comparés un groupe d’enfants inclus dans des classes
ordinaires à plein temps et bénéficiant de quelques heures par
semaine avec un enseignant spécialisé et un groupe d’enfants
scolarisés en classe spécialisée. Ces élèves ont été suivis pendant
deux ans, et leurs performances scolaires ont été évaluées à trois
reprises sur cette période. Les résultats indiquent que les élèves
inclus en classe ordinaire ont plus progressé en lecture,
expression écrite, vocabulaire, orthographe et grammaire que les
élèves en classe spécialisée. En revanche, les deux groupes
présentaient une progression similaire en mathématiques
».
Parallèlement, concernant les enfants des classes qui
accueillent ces enfants souffrant de handicap, les données sont
plus rares. Néanmoins, « Une méta-analyse autour de 47 études
réalisées en Europe, aux États-Unis, et au Canada montre que
l’inclusion a un effet faible, mais globalement positif sur les
apprentissages des élèves « ordinaires ». (…) L’effet de
l’inclusion sur les compétences socio-affectives des élèves
ordinaires a fait l’objet d’une investigation très limitée. Il
semblerait cependant que les élèves ordinaires scolarisés dans une
classe inclusive présentent moins de préjugés à l’égard des élèves
souffrant de handicap, soient plus enclins à jouer avec eux, et
aient des attitudes plus positives à leur encontre
».
Et si Zemmour n’était pas le seul à penser ce qu’il pense…
Ces données encourageantes ne doivent cependant pas masquer
les difficultés et les limites de l’école inclusive. L’un des
premiers obstacles est le manque de formation et de temps des
enseignants. D’ailleurs sur ce sujet, en 2017, le Syndicat national
unifié des instituteurs, professeurs des écoles et directeurs Force
ouvrière (FO) avait publié un communiqué qui évoquait des
situations parfois difficilement gérables, liées à une «
inclusion systématique » (qui rappellera à certains une
forme « d’obsession ») sans préparation. Et si des moyens
supplémentaires permettraient sans doute de répondre à de
nombreuses situations, il existe des cas, peut-être moins nombreux
que dans l’esprit d’Eric Zemmour mais néanmoins réels, où
l’inclusion apparaît si ce n’est impossible, fortement complexe,
tant pour l’enfant que pour ses camarades et l’équipe enseignante.
Dans ce cadre, offrir des réponses adaptées est indispensable. Or,
en France, si l’inclusion n’est pas encore parfaite, les
institutions spécialisées souffrent plus encore de
dysfonctionnements et défauts. D’ailleurs, dans une tribune publiée
en mai 2021 dans le Monde, les membres de deux collectifs de
professionnels et de parents s’alarmaient des conséquences de la
réforme Sérafin-ph qui tendent à diminuer le recours en
institutions médico-sociales pour enfants, jeunes et adultes
handicapés. Dans ce texte, les auteurs constataient : « Alors
qu’on évalue à 45 000 les places manquantes en institutions,
proposer des « parcours » hors-sol, dont la famille sera finalement
le seul garant, n’est rien d’autre qu’une régression de la
politique solidaire du handicap, une mystification. L’inclusion
fonctionne comme un mantra, sans aucun débat sur l’évolution en
cours du secteur médico-social ».
De là à voir dans ce constat une ressemblance avec la remarque
d’Eric Zemmour : « je ne veux pas que l'obsession de l'inclusion
nous prive et nous conduise à négliger la nécessité
d'établissements spécialisés », il n’y a peut-être qu’un pas.
Enfin, outre l’inclusion ou le recours aux institutions
spécialisées, une autre voie est possible : l’école à domicile
adaptée aux enfants porteurs d’un handicap que nous évoquons dans
un autre article aujourd’hui dans nos colonnes.
J'ignorais qu'un enseignant à été formé à enseigner des enfants dyslexiques, dyspraxiques, autistes, hyperactifs, dysgraphiques, atteints d'une IMC, à haut potentiel, et j'en oublie, et aussi des enfants "normaux" de même que les AVS ? Alors qu'il n'y a plus de médecine scolaire, je suppose que cela coûte moins cher de faire de l'"inclusion"? Que de réformer l'éducation spécialisée.
Dr Marie Segonnes
L’inclusion des handicaps intellectuel est beaucoup plus difficile
Le 18 janvier 2022
Il y a bien sûr des limites à l’inclusion. L’inclusion des enfants en fauteuil roulant, celle mise en avant par la publicité ministérielle, est facile. L’inclusion des handicaps intellectuel est beaucoup plus difficile. On insiste beaucoup sur elle et beaucoup moins sur les causes et la prévention des atteintes intellectuelles. Le SAF en est un exemple.
Dr Alain Fourmaintraux
Plus de moyens pour l'école inclusive
Le 20 janvier 2022
La loi du 11 février 2005 sur l'égalité des chances n'a jamais eu pour but de dépenser moins d'argent au détriment des enfants handicapés comme on le lit souvent, mais de se mettre en conformité avec la Convention Relative aux Droits des Personnes Handicapées de l'ONU. La France est le pays où les PH, enfants et adultes sont le plus institutionnalisées et l'Europe, comme l'ONU nous enjoignent d'y remédier le plus vite possible.
Il faut faire un peu de bench-marking auprès de nos voisins. Les nordiques n'ont jamais eu d'institutions et l'Italie s'est donné 5 ans pour désinstitutionnaliser et elle l'a fait. Mais là où la France emploie des Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH, les AVS n'existent plus depuis des années) non formées pour la plupart ou titulaires d'un DE AES de niveau 3, l'Italie divise par 2 les effectifs des classes accueillant des élèves avec troubles sévères des apprentissages ou du comportement et les enseignants sont secondés par l'équivalent de nos maîtres spécialisés.
L'Éducation Nationale n'a toujours pas pris cette loi suffisamment en considération, d'une part parce que des syndicats d'enseignants n'en veulent pas (notamment celui qui est cité dans l'article et encourage ses adhérents à faite remonter tous leurs vécus d'enfants violents, agités, perturbateurs...), les enseignants se retranchent derrière leur manque de formation, malgré les modules qui leur sont dédiés, et autres MOOC gratuits, et d'autre part parce qu'il faudrait y mettre un tout autre budget : réduire les effectifs, professionnaliser les AESH, rendre l'actualisation des connaissances de tous les enseignants obligatoire...
Parler "d'écoles spécialisées" n'a aucun sens : en établissements médico-sociaux, réservés aux enfants ayant un trouble du développement intellectuel sévère plus ou moins d'autres handicaps cognitifs, sensoriels ou physiques, l'enseignement (théoriquement dépendant de l'EN) y est la portion congrue, entre ½ heure à 4 heures par semaine. On comprend que les parents se battent pour maintenir leurs enfants le plus longtemps possible en milieu ordinaire. Ce sont aussi des gouffres : si on retire le coût du ramassage quotidien en taxi et les frais structurels du prix de journée, il reste à peine un tiers des fonds pour les actions éducatives proprement dites !