
Les altérations du gène ALK (anaplastic lymphoma kinase) sont impliquées dans la pathogénie de plusieurs cancers humains. Diverses modifications génétiques sont possibles, amenant à l’expression d’un puissant inducteur d’oncogènes. Au cours du cancer pulmonaire non à petites cellules (NSCLC), les réarrangements ALK (ALK-R) surviennent dans environ 5 % des cas. Il existe alors une sensibilité thérapeutique aux inhibiteurs de l’ALK tels que le crizotinib. Le taux de réponse est d’environ 60 % et la médiane de survie sans progression de 8 à 10 mois. Malheureusement, la majorité des patients rechute dans l’année, de par l’émergence de résistances de mécanismes divers, non forcément liées à l’acquisition de mutations. Les options thérapeutiques sont alors restreintes : chimiothérapie cytotoxique, radiothérapie palliative ou soins de support.
Une molécule 20 fois plus puissante
Le céritinib (LDK 378, Novartis Pharmaceuticals) est une petite molécule, tyrosine kinase, inhibitrice de l’ALK, ATP- compétitive, administrable par voie orale. Elle est surtout environ 20 fois plus puissante que le crizotinib et a fait la preuve, dans des modèles d’hétérogreffes de NSCLC ALK-R, d’une activité anti- tumorale à la fois sur les tumeurs sensibles et sur celles résistantes au crizotinib.
A T Shaw et ses collègues ont conduit une étude de phase 1 en vue de déterminer la tolérance, la dose maximale tolérée (MTD), la pharmacocinétique et l’activité anti-tumorale du céritinib. Pour être éligibles, les malades devaient avoir un cancer localement avancé ou métastatique avec altérations génétiques d’ALK mises en évidence, sur au moins 15 % des cellules tumorales, par technique d’hybridation in situ en fluorescence (FISH). Ils devaient également être âgés de 18 ans ou plus, être encore en bon état général avec un score de 0 à 2 sur l’échelle de l’Eastern Cooperative Oncology Group Performance. Ils pouvaient par ailleurs être porteurs de métastases cérébrales asymptomatiques, traitées ou non et avoir reçu préalablement un traitement par ALK inhibiteur. Tous ont donné leur consentement écrit à l’entrée dans le protocole.
L’objectif primaire était la détermination de la MTD, celle-ci étant définie comme la posologie assortie de la plus haute probabilité d’apparition d’effets toxiques. Les autres objectifs étaient l’appréciation de la tolérance, la détermination du profil des effets secondaires, la pharmacocinétique de la molécule et son efficacité anti-tumorale.
L’essai a comporté 2 phases, l’une d’escalade thérapeutique à partir de la dose de 50 mg/J, l’autre, de développement, en plateau, à la plus forte posologie tolérable. Il a été maintenu jusqu’à progression tumorale, effets secondaires majeurs ou refus du patient de la poursuite du protocole. Le suivi a consisté en examens tomodensitométriques thoraco-abdominaux et d’imagerie cérébrale toutes les 6 semaines, selon les critères habituels de réponse des tumeurs solides (RECIST-1.0). Une biopsie de la tumeur a été pratiquée avant l’entrée dans l’essai chez tous les patients en progression ayant déjà reçu du crizotinib, afin d’étudier les réarrangements ALK et d’avoir une amplification génétique par FISH.
Dose de céritinib maximale tolérée : 750 mg/j
Au 12 Octobre 2012, 130 malades avaient reçu du céritinib, 59 en phase d’augmentation progressive et les 71 autres à dose pleine ; 94 % (122/ 130) étaient porteurs d’un NSCLC à un stade avancé et avaient déjà reçu une chimiothérapie cytotoxique ; 68 % (83/122) des patients traités préalablement avaient pris du crizotinib. Parmi les 8 autres cancers non NSCLC, on relevait 4 cancers du sein, un rhabdomyosarcome alvéolaire, un adénocarcinome rectal, un lymphome anaplasique à grandes cellules et une tumeur inflammatoire myofibroblastique. Durant l’essai, les posologies ont varié de 50 à 750 mg/j.
Les effets pathologiques dose-limitants ont été la diarrhée (pour une posologie égale au moins de 600 mg/j), des vomissements et des nausées (à la dose de 750 mg/j), une déshydratation (à la dose de 600 mg/j), une élévation des alanine amino transférases (ALAT) et la survenue d’une hypophosphatémie dès 400 mg/j.
Tous ces effets secondaires ont régressé à l’arrêt du traitement. La MTD a été calculée à 750 mg/j de céritinib per os. Les événements pathologiques les plus souvent observés en cours de traitement ont été des nausées (83 % du collectif), de la diarrhée (65 %), de la fatigue (47 %) et une augmentation des ALAT (35 %).
Les effets secondaires majeurs de stade 3- 4 ont consisté en une élévation des ALAT (21 %), des ASAT (11 %), de la diarrhée (7 %) et en une augmentation des lipides plasmatiques (7 %). Il a été également noté 4 cas de pneumopathie interstitielle diffuse, possiblement liés au céritinib et un cas de prolongation asymptomatique de l’intervalle QTc ; 51 % des participants ont nécessité, au moins, une réduction posologique (62 % des patients ayant atteint la dose de 750 mg/j) et 6 % un arrêt définitif de l’essai thérapeutique. Aucun décès en liaison avec le traitement n’a dû être déploré.
L’étude pharmacologique a permis de préciser que la Cmax du céritinib était atteinte approximativement vers la 6ème heure et que sa durée de vie moyenne était de 40 heures. L’état d’équilibre en plateau se situait vers le 15ème jour.
Taux de réponse entre 58 % et 62 %
Huit patients ont été traités à doses faibles, comprises entre 50 et 300 mg/j : il a été observé 2 réponses partielles sur 8. Cent quatorze malades avec NSCLC évolué ont reçu plus de 400 mg/j avec 1 % de réponse complète (n = 1), 57 % de réponses partielles confirmées (n = 65) et 22 % de stabilisations (n = 25). Le taux de réponse globale dans ce groupe a été de 58 % (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 48- 67). Il s’est situé à 59 % (IC : 47- 70) chez les 78 participants ayant reçu 750 mg/j. La plupart de ces patients avaient préalablement été traités par du crizotinib. Dans ce sous groupe, le taux de réponse, pour une posologie de 400 mg/j de céritinib, a été de 56 % (IC : 45- 67) alors qu’il était 62 % (IC : 44- 78) chez les malades qui n’avaient pas eu antérieurement d’inhibiteurs. Dans le groupe hétérogène des 8 cancers autres que pulmonaires, il a été observé 2 réponses thérapeutiques pour le lymphome anaplasique à grandes cellules et la tumeur myofibroblastique inflammatoire. Parmi les 66 NSCLC répondeurs et avec une posologie dépassant 400 mg/j, 64 % (IC: 50- 74) ont eu une durée de réponse d’au moins 6 mois. Pour les 114 malades traités avec 400 mg/j ou plus, la médiane de survie sans progression s’établit à 7,0 mois (IC : 5,6- 9,5). Elle a été d’environ 3 mois supplémentaires dans le sous groupe de patients qui n’avaient pas reçu antérieurement du crizotinib. On n’a pas noté de différence de survie sans progression selon que les patients présentaient ou non des métastases du système nerveux central (respectivement, 6,9 mois vs 7). Sur l’ensemble du collectif, la survie globale à 12 mois a été de 65 %. On n’a pu mettre en évidence, chez les patients ayant progressé sous crizotinib de déterminant moléculaire particulier spécifique d’une réponse au céritinib.
Action antitumorale même chez les patients résistants à un autre inhibiteur de l’ALK
Cet essai de phase 1 démontre que le céritinib possède une action antitumorale dans les NSCLC ALK-R, que les patients aient ou non reçu antérieurement du crizotinib. Une large majorité de malades déjà traités par cet inhibiteur et devenus résistants restent en effet ALK dépendants, sensibles à un inhibiteur plus puissant et structurellement distinct tel que le céritinib dont les effets secondaires sont essentiellement digestifs et en règle modérés, de grade 1-2.
En conclusion, chez des patients porteurs de NSCLC à un stade tardif, ALK-R, en échappement au crizotinib, l'emploi d’un autre inhibiteur kinase ALK plus puissant comme le céritinib peut entraîner des réponses thérapeutiques importantes et durables, qu’il y ait ou non présence de mutations secondaires. Des travaux complémentaires restent toutefois nécessaires pour confirmer l’activité antitumorale du céritinib dans les NSCLC, déjà traités par inhibiteur ou non.
Dr Pierre Margent