Enfants sous psychotropes : l’échec de la pédopsychiatrie ?

Paris, le mardi 14 mars 2023 – Un rapport révèle que les prescriptions de psychotropes ont explosé chez les enfants ces dix dernières années.

Si l’on dit régulièrement que la psychiatrie est le parent pauvre du système de santé français, la pédopsychiatrie est un parent abandonné. Année après année, les rapports s’accumulent (par l’Igas en 2018, le Défenseur des droits en 2021, la Cour des Comptes en 2021…) pour souligner les importantes difficultés du secteur, miné par un manque de moyens et de personnel, alors même que la santé mentale des enfants et des adolescents s’est dégradé ces dernières années, notamment en raison de la crise sanitaire. « Il y a un déséquilibre croissant entre la demande de soins et l’offre de soins pédopsychiatriques, médicosociaaux sur le territoire » constate le psychanalyste Sébastien Ponnou.

Un déséquilibre qui aurait pour conséquence d’augmenter sensiblement la consommation de psychotropes par les mineurs. Selon un rapport publié ce lundi du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), un organisme consultatif placé auprès du Premier Ministre, la prévalence de la consommation de psychotropes chez les enfants âgés de 6 à 17 ans a explosé entre 2010 et 2021 : + 179 % pour les antidépresseurs, + 114 % pour les antipsychotiques, + 148 % pour les psychostimulants. Pour la seule année 2021, l’augmentation est de 16 % pour les anxiolytiques, 224 % pour les hypnotiques, 23 % pour les antidépresseurs. « C’est un phénomène de fond qui continue de s’accentuer et concerne des dizaines de milliers d’enfants » commente Sébastien Ponnou, qui a contribué à l’élaboration du rapport.

Deux fois plus de consommateurs de Ritaline en 10 ans

Une hausse de la consommation et de la prescription qui est directement due à la faiblesse de l’offre de soins en pédopsychiatrie selon les auteurs du rapport. « Cet écart entre la demande et l’offre de soin créé un effet ciseau : l’offre pédiatrique, pédopsychiatrique et médicosociale est en recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables les enfants (délai d’attente de 6 à 18 mois pour une consultation pédopsychiatrique) ; faute de spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est réalisée par le médecin généraliste » qui, par manque de temps et d’expertise, prescrit des psychotropes à l’enfant en souffrance, estiment les auteurs du rapport. « Les médicaments sont une solution de facilité, ils ont souvent des effets secondaires importants et ne sont parfois pas très adaptés au cerveau de l’enfant, la plupart du temps le suivi et l’accompagnement ne sont pas suffisants » résume le Dr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre à Paris.

Un phénomène illustré par la problématique de la Ritaline : entre 2010 et 2019, le nombre d’enfants prenant ce traitement est passé de 31 000 à 73 000, tandis que le nombre de consultations en centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) pour ces patients a diminué de 21 000 à 10 000.

Sans relancer l’éternel débat sur les bienfaits respectifs des médicaments et de la psychothérapie en psychiatrie, l’HCFEA s’inquiète de cette consommation jugée excessive de psychotropes. « Le médicament est nécessaire, cela n’est pas remis en question, le problème est quand il se substitue à la thérapie de première intention » explique Sébastien Ponnou.

Des prescriptions souvent réalisées hors AMM

Selon les recommandations en vigueur, les pratiques psychothérapeutiques, éducatives et de prévention doivent être privilégiés par rapport aux traitements médicamenteux dans la prise en charge des enfants et adolescents souffrant de troubles psychiatriques. Peu de médicaments psychiatriques bénéficient d’ailleurs d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les enfants. Sur ce point, le rapport de l’HCFEA souligne que 68 % des prescriptions de psychotropes à des enfants se font hors AMM, les mineurs se voyant prescrire des médicaments normalement réservés aux adultes « alors qu’aucune étude n’a porté sur cette population et avec des phénomènes de poly prescription qui n’ont jamais été évalués non plus » alerte Sébastien Ponnou.

« Il faudrait être aveugle aujourd’hui pour ne pas faire de la santé mentale des enfants et adolescents une priorité et une urgence des politiques de santé » martèle Sylviane Giampino, psychologue et présidente du conseil de l’enfance et de l’adolescence au sein du HCFEA. Si la crise de la pédopsychiatrie est bien connue des spécialistes, peu a été fait pour le moment par les pouvoirs publics pour tenter d’y remédier. Chacun espère que les assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, qui auront lieu en juin prochain, permettront de lancer une dynamique et de sortir le secteur de l’ornière.

Nicolas Barbet

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Vos réactions (7)

  • Crime d’État

    Le 14 mars 2023

    La pédopsychiatrie est à l’agonie et cela est un choix politique. Le choix voulu par le gouvernement pour vendre au privé la psychiatrie qui ne rapporte pas de plus-value
    Laisser les parents en souffrance et dans l’ignorance de ce qui ce joue. Sacrifier la vie de ces enfants en souffrance et les endormir avec des psychotropes.
    C’est un crime d’État ! C’est très grave, mais personne n’en parle.
    Les plus heureux resteront les labos qui fabriquent les médicaments, ils devraient d’ailleurs être taxés pour reverser leur bénéfice pour aider les CMP et structures publiques.
    Elle est où la psychiatrie que j’ai connue et qui m’a fait choisir mon métier ? Celle qui était humaniste, publique et gratuite.

    A Cannavacciuolo, IDE

  • Encore un déplorable exemple

    Le 14 mars 2023

    ... de l'emprise de l'industrie pharmaceutique sur la pratique médicale.
    Les médecins sont, pour la plupart, totalement persuadés que leur métier consiste à prescrire des médicaments. Quant aux patients, ils en exigent avant toute chose.
    La population, les pouvoirs publics, les médias, les soignants, tous croient que la solution aux problèmes de santé est l'ingestion de médicaments, une mythologie qui est aggravée par la méconnaissance généralisée de la pharmacologie et du bon usage.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Time is money

    Le 14 mars 2023

    Ne pas prescrire devant une situation impose du temps pour l'évaluer, puis du temps pour y répondre dans la durée avec des moyens non médicamenteux.
    En outre la compréhension par troubles définis par les symptômes auxquels on prête une origine neuro-scientifique ou neurodéveloppementale n'incite pas à prendre tous ces temps, d'allure nettement moins "scientifique", même si beaucoup de prescriptions médicamenteuses ne sont pas vraiment justifiées ou d'efficacité démontrée.
    Le temps c'est de l'argent, c'est un autre mur.

    Dr G Bouquerel

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