
Austin, le jeudi 16 mars 2023 – Alors que l’avortement est déjà interdit dans 13 Etats américains, les conservateurs veulent faire interdire la pilule abortive.
Ce week-end, au festival de cinéma South by Southwest à Austin au Texas, les spectateurs ont pu découvrir « Plan C », un documentaire de la réalisatrice Tracy Droz Tragos, qui raconte le combat d’un groupe de militantes pour permettre aux femmes d’avorter clandestinement. Un documentaire qui ne se passe pas dans les années 1960 mais bien de nos jours, alors que le droit à l’IVG subit des attaques incessantes des conservateurs américains depuis plusieurs années. Le plan C, c’est le recours à la pilule abortive ou mifépristone (RU 486), qui constitue le dernier recours après la contraception (plan A) et la pilule du lendemain (plan B) pour les femmes ne désirant pas avoir d’enfant.
Si l’association plan C, constituée essentiellement de femmes médecins, a été créé en 2015, le documentaire retrace son combat à partir de 2020, quand les mesures de confinements ont rendu particulièrement difficile l’accès à l’IVG. Les membres de plan C ont alors multiplié les démarches pour que des médecins acceptent de prescrire des pilules abortives par téléconsultation. Après avoir longtemps exercé dans un certain flou juridique, ces médecins ont finalement obtenu de la Food and Drug Administration (FDA, équivalent américain de l’ANSM) le droit de prescrire la pilule abortive à distance.
L’avortement interdit dans 13 Etats américains
Ces militantes ont subi un gros coup dur le 24 juin dernier, lorsque les juges conservateurs de la Cour Suprême des Etats-Unis, revenant sur une jurisprudence vieille de près de 50 ans, ont décidé que le droit à l’IVG n’était plus un droit constitutionnel. Désormais à nouveau libre de légiférer comme bon leur semble sur l’interruption de grossesse, 13 Etats américains ont totalement interdit l’avortement, dont le Texas, où la pratique est punissable en théorie de 99 ans de prison.
Désormais, pour les médecins et militantes de plan C, l’enjeu est de réussir à fournir en toute illégalité des pilules abortives aux millions de femmes américaines vivant dans cet Etat. « Malheureusement, les anti-avortement ont en partie gagné et nous n’avons pas encore touché le fond aux Etats-Unis, mais de plus en plus de gens entrent en résistance donc il y a une alternative, il y a une réponse possible » commente la réalisatrice du documentaire.
A 700 km au nord d’Austin, à Amarillo, la guerre de l’avortement qui divise l’Amérique se poursuit, sur le front judiciaire cette fois. Le juge fédéral Matthew Kacsmaryk doit s’y prononcer dans les jours qui viennent sur l’autorisation de la mifépristone. Se sentant poussés des ailes depuis la décision de la Cour Suprême, des militants « pro-vie » ont en effet attaqué en justice la décision de la FDA, datant de 2000, d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ce médicament. Ces militants conservateurs n’ont pas choisi Amarillo et le juge Kacsmaryk par hasard : chrétien ultra-conservateur, ce dernier a été nommé par le président Donald Trump en 2019.
Un juge ultra-conservateur doit décider du sort de la pilule abortive
Devant le juge, les militants pro-vie prétendent que le mifépristone présenterait un risque important d’effet secondaire et qu’en l’autorisant, la FDA avait fait passer « la politique avant la science ». Faux répond la FDA, qui précise que les effets secondaires sont le plus souvent légers et que sur les plus de 5 millions de femmes américaines qui ont eu recours au mifépristone depuis 2000, moins de 1 500 ont subi des complications graves sans qu’un lien de causalité avec la prise du médicament ait pu être établi.
Bizarrerie du droit américain, si le juge Kacsmaryk décidait de suspendre l’AMM du mifépristone, sa décision s’appliquerait à l’ensemble du territoire américain. Plus de la moitié (53 %) des avortements pratiqués chaque année aux Etats-Unis le sont par voie médicamenteuse. La décision du juge Kacsmaryk pourrait certes faire l’objet d’un appel devant la cour d’appel fédérale d’appel de la Nouvelle-Orléans puis devant la Cour Suprême fédérale, mais ses deux juridictions sont également dominées par les conservateurs.
A 18 mois de l’élection présidentielle américaine, l’avortement risque d’être un sujet clé du débat électoral. Alors que le président Joe Biden a ouvertement critiqué la décision de la Cour Suprême, les différents candidats républicains jouent désormais à celui qui se montrera le plus conservateur et intransigeant. Le gouverneur de Floride Ron de Santis, pressenti pour représenter le camp républicain à la prochaine élection, a ainsi promis de tout faire pour interdire l’avortement dans son Etat.
Grégoire Griffard