
Paris, le mercredi 11 mai 2016 – Les appels en faveur de la dépénalisation du cannabis n’ont jamais cessé depuis l’adoption de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Mais leur tonalité a évolué. Hier discours exaltant la liberté et l’absence de toxicité (prétendue) des paradis artificiels, l’argumentation est aujourd’hui toute autre. Constant l’inefficacité de la prohibition pour limiter la progression de la consommation, des voix de plus en plus nombreuses prônent une autorisation réglementée, qui permettrait notamment un contrôle de la qualité des produits et qui faciliterait la prévention. Plusieurs médecins défendent aujourd’hui cette orientation, dont le professeur Bertrand Dautzenberg ou le ministre Jean-Marie Le Guen, tandis que la Fédération Addiction s’est également récemment prononcé en ce sens.
Les professionnels de santé et les Français sur la même ligne
Cette évolution du discours en faveur d’un changement de règle
s’est accompagnée dans la population générale et chez les
professionnels de santé dans leur ensemble d’une hostilité
croissante vis-à-vis de l’idée d’un assouplissement de la loi face
au cannabis. L’argumentation « sanitaire » qui défend que des
actions de prévention plus efficaces pourraient être mises en œuvre
si la répression était atténuée ne semble guère convaincre les
Français et les professionnels de santé, pas plus que l’idée d’un
meilleur contrôle des produits et donc d’une limitation de leurs
effets délétères. Un sondage réalisé dans ces colonnes du 17 avril
au 1er mai révèle en effet que seuls 39 % des professionnels
seraient favorables à la dépénalisation de la consommation de
cannabis, quand 57 % s’y déclarent opposés. Ces résultats sont très
proches de ceux d’un sondage réalisé par Odoxa pour France Inter et
le Figaro cette semaine qui permet de constater que six Français
sur dix sont opposés à la dépénalisation du cannabis.
Sondage réalisé du 3 au 17 avril 2016 |
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Des arguments peu convaincants et un refus de la stratégie de l’échec
Cette position des Français et des professionnels de santé témoigne sans doute d’une défiance vis-à-vis des discours tendant à faire de la fin de la prohibition une réponse aux trafics. Beaucoup d’observateurs estiment en effet que ces derniers persisteraient en dépit d’une dépénalisation, afin notamment de distribuer des produits plus fortement dosés que ceux légalement en circulation. Ces marchés illégaux se nourriraient également des différentes interdictions qui subsisteraient (vente aux mineurs par exemple). Par ailleurs, les professionnels de santé et les Français ne sont guère sensibles à l’idée (paradoxale) selon laquelle l’interdit favoriserait la consommation. L’exemple de l’important recours aux produits psycho-actifs autorisés ne plaide pas en faveur de cette thèse, tandis que la rare application des peines les plus lourdes prévues dans les textes a considérablement atténué la notion "d’interdit" en ce qui concerne le cannabis. Enfin, nombreux sont les praticiens qui refusent de croire qu’une politique de prévention et de prise en charge efficaces soit réellement freinée par la loi actuelle. Dès lors, les éléments mis en avant pour prôner la dépénalisation se révèlent peu convaincants.
Par ailleurs, outre un refus de cette stratégie de l’échec, beaucoup de praticiens partagent avec les Français la crainte qu’une dépénalisation transmette un signal contre-productif concernant la toxicité de ce produit. Or, de plus en plus d’études tendent à confirmer la nocivité du cannabis, publications qui sans doute auront en partie influencé nos répondeurs au moment de participer à ce sondage.
Aurélie Haroche