
La plupart du temps, le diagnostic de fibrillation auriculaire (FA) débouche sur la prescription d’un traitement anticoagulant dans le but de réduire le risque d’AVC. Les anticoagulants oraux directs (AOD) occupent une place croissante dans cette indication comme dans d’autres, au détriment de la classe des AVK. Le rapport bénéfice/risque des AOD est en effet plus favorable notamment chez certains patients à haut risque, ceux par exemple atteints d’une insuffisance rénale chronique.
Qu’en est-il en cas de maladie hépatique chronique, voire de simple élévation des taux sériques des enzymes hépatiques ? Il est difficile de répondre à cette question, car ces situations ont le plus souvent été des critères d’exclusion dans les essais thérapeutiques ayant évalué l’efficacité des AOD. Les données issues du monde réel sont rares et parcellaires, en tout cas insuffisantes pour répondre. Celles obtenues à partir d’études d’observation portant sur des effectifs conséquents proviennent en général de pays asiatiques, ce qui limite leur généralisation à d’autres populations. Par ailleurs, force est de constater que les quatre AOD autorisés aux Etats-Unis n’ont pas été comparés entre eux. Cette problématique est importante car les anticoagulants exposent à un risque hémorragique qui dépend en partie de leur pharmacocinétique, en sachant que les AOD sont en partie éliminés (à des degrés divers) par voie hépatique.
Ces constatations soulignent l’intérêt d’une étude de cohorte rétrospective étatsunienne de grande envergure qui a reposé sur une grande base de données administratives nationales, pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2017. La méthodologie est du type cas-témoins, l’objectif étant de comparer, chez des patients atteints à la fois d’une maladie hépatique chronique (cirrhose compensée ou non, stéatose hépatique non alcoolique, maladie hépatique alcoolique) et d’une FA, le rapport bénéfice/risque des anticoagulants suivants : warfarine, apixaban, rivaroxaban et dabigatran. Dans tous les cas, il existait une altération des fonctions hépatocellulaires biologiquement patente. Deux critères de jugement ont été définis, respectivement les hospitalisations pour accident vasculaire cérébral ischémique ou embolie systémique et celles imposées par la survenue d’un accident hémorragique majeur. Les groupes comparés ont été équilibrés selon la méthode du score de propension avec pondération inverse en fonction de la probabilité d’être traité.
L’analyse a finalement porté sur 10 209 participants, répartis en trois groupes : warfarine (n = 4 421 ; 43,2 %), apixaban (n = 2 721 ; 26,7 %), rivaroxaban (n = 2 211 ; 21,7 %) et dabigatran (n = 851 ; 8,3 %).
Plutôt des AOD, notamment l’apixaban
Les taux d’incidence des AVC ischémiques et des embolies systémiques (pour 100 sujets-années) ont été estimés respectivement à 2,2 avec les AOD combinés et 4,4 avec la warfarine. Pour l’apixaban et le rivaroxaban, les valeurs correspondantes ont été respectivement de 1,4 et 2,6. Quant aux accidents hémorragiques majeurs, les taux d’incidence (pour 100 sujets-années) ont été respectivement estimés à 7,8 pour les AOD et 15,0 pour la warfarine, versus 6,5 et 9,1 pour l'apixaban et le rivaroxaban.
Après pondération selon probabilité inverse d’être traité, le risque d'hospitalisation pour AVC ischémique/embolie systémique s’est avéré significativement plus faible avec les AOD combinés (hazard ratio [HR], 0,64 ; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %], 0,46-0,90) ou l'apixaban (HR, 0,40 ; IC à 95 %, 0,19-0,82), comparativement à la warfarine. En revanche, aucune différence significative n’a été mise en évidence entre rivaroxaban et warfarine (HR, 0,76 ; IC à 95 %, 0,47-1,21) ou entre rivaroxaban et apixaban (HR, 1,73 ; IC à 95 %, 0,91-3,29).
La même tendance favorable aux AOD a été observée quant au risque d’hospitalisation pour hémorragie majeure, avec un HR estimé à 0,69 [IC à 95 %, 0,58-0,82]) (versus warfarine), ce qui s’est vérifié pour l'apixaban (HR, 0,60 ; IC à 95 %, 0,46-0,78) et le rivaroxaban (HR, 0,79 ; IC à 95 %, 0,62-1,0). Cependant, le risque d'hospitalisation pour hémorragie majeure s’est avéré plus élevé avec le rivaroxaban versus apixaban (HR, 1,59 ; IC à 95 %, 1,18-2,14).
Chez les patients atteints à la fois d’une FA et d’une maladie hépatique chronique, le rapport bénéfice/risque des AOD semble être supérieur à celui des AVK incarnés par la warfarine, selon les résultats de cette étude rétrospective conséquente par son effectif (plus de 10 000 participants). Cependant, il existe des différences notables entre les AOD comparés entre eux, l’apixaban se distinguant des autres représentants de cette classe pharmacologique. D’autres travaux sont nécessaires pour affiner les conclusions, mais cette étude est la première à aborder la problématique du traitement anticoagulant dans le contexte clinique particulier que crée la survenue d’une FA en cas de maladie hépatique chronique.
Dr Catherine Watkins